Quand des lycéennes tchèques préparent leur bac au lycée de Nîmes
Depuis 1924, le lycée Alphonse Daudet de Nîmes accueille chaque année des élèves tchèques qui y suivent leurs études secondaires, à partir de la seconde jusqu’à la terminale. Une section tchèque existe également, depuis 1920, au lycée Carnot de Dijon. Fruit du rapprochement politico-culturel entre la France et la Tchécoslovaquie après la Première Guerre mondiale, ce dispositif reste sans équivalent en Europe, unique par sa conception et sa longévité. Jusqu’à présent, plus de 300 élèves tchèques ont ainsi passé leur baccalauréat français au lycée Daudet de Nîmes. En début d’année scolaire 2018-2019, Radio Prague a rencontré les douze jeunes filles qui constituent actuellement la section tchèque, exclusivement féminine depuis 1990. Elles nous font part de leur expérience.
Klára, originaire de la ville morave de Prostějov, ainsi que Tereza, Anežka, Natálie, Viktorie et leurs copines qui viennent de Prague, ainsi que de Brno, Olomouc, Plzeň et d’autres villes tchèques encore, font partie des plus de 2 000 élèves de l’un des plus anciens lycées de France. Situé boulevard Victor Hugo, en face des fameuses Arènes de Nîmes, le lycée Alphonse Daudet se trouve dans un immense bâtiment de style néo-classique qui a servi d’hospice pendant et après la Révolution française. Le lycée et l’internat, destinés à l’époque uniquement aux garçons, y ont été aménagés à la fin du XIXe siècle. Le proviseur du lycée, Frédéric Pagneux, nous fait visiter les lieux :
« Nous nous trouvons dans ce que nous appelons la Cour d’honneur. C’est la cour principale du lycée qui est la plus importante d’un point de vue architectural. Les arcades rappellent à la fois les arènes de Nîmes et les déambulatoires d’un monastère, étant donné que dans l’ancien hospice travaillaient des religieux. Aujourd’hui, l’ensemble des cours sont complètement investies par les élèves. Nous y avons mis des bancs pour qu’ils puissent travailler dehors et profiter de la météo clémente dont nous bénéficions à Nîmes une grosse partie de l’année. »
Au début des années 1920, trois sections tchèques voient le jour en France : alors que le lycée Daudet de Nîmes et le lycée Carnot de Dijon accueillent des garçons, les filles suivent leur scolarité au lycée de Saint-Germain-en-Laye, dans la banlieue parisienne. Les trois sections tchèques ont connu plusieurs périodes d’interruption liées aux grands événements du XXe siècle et aux changements politiques en Tchécoslovaquie : elles ont été fermées pendant la Deuxième Guerre mondiale, entre 1948 et 1965 et à partir de 1974 jusqu’à la chute du régime communiste en 1989.Si le lycée de Saint-Germain-en-Laye n’a plus jamais rouvert la section tchèque, après 1990, les élèves tchèques ont de nouveau l’occasion de préparer leur baccalauréat français à Nîmes et à Dijon. Tandis que la section tchèque du lycée Carnot et mixte, le lycée Alphonse Daudet accueille uniquement les filles, comme nous le raconte le proviseur Frédéric Pagneux :
« Nous avons douze élèves en tout. Nous accueillons chaque année quatre élèves en seconde qui ensuite passent en première et en terminale. J’ai le plaisir d’aller chaque année, au printemps, à Prague, pour recruter les quatre jeunes filles qui vont rentrer en classe de seconde l’année scolaire suivante. »
Nous aimerions accepter toutes les candidates tchèques
Le concours est organisé en deux parties. A l’issue d’un examen écrit de langue française notamment, une quinzaine de filles sont sélectionnées pour passer un test oral. Parmi elles, la direction du lycée Daudet et les représentants de la ville de Nîmes doivent choisir les quatre futures élèves tchèques. Frédéric Pagneux explique quels sont les critères du concours :« C’est extrêmement difficile, parce que nous n’avons que des candidates assez extraordinaires. Si l’on pouvait, on les accepterait toutes. Nous essayons de recruter de jeunes filles qui ont déjà des perspectives à la fois de poursuite de d’études et de carrière qui vont toucher à l’international. »
Pourquoi alors ces jeunes filles décident-elles à l’âge de 15, 16 ans, de quitter leur famille et leurs amis pour aller vers l’inconnu ? La majorité d’entre elles sont motivées par le désir d’acquérir de nouvelles expériences, d’améliorer leur français et d’avoir accès à un enseignement supérieur de qualité.
Pour faciliter leur intégration, les élèves tchèques sont réparties dans des classes différentes. Mais rien n’est gagné d’avance, comme ces jeunes filles nous le racontent elles-mêmes :
Les difficultés d’intégration
« Mon intégration dans la classe a été justement le principal obstacle auquel j’ai été confronté lorsque je suis entrée au lycée. Je suis quelqu’un d’assez timide ce qui ne m’a pas facilité la tâche… Je ne savais pas trop comment me comporter, comment m’adresser à mes camarades de classe. Je parlais déjà assez bien français pour comprendre les professeurs, mais quand même, je me suis heurtée à pas mal d’obstacles dans la communication. »« Je suis en seconde et ce qui est le plus difficile pour moi, c’est l’espagnol, je ne l’ai jamais étudié auparavant. Je m’aperçois qu’il est assez compliqué, pour un Tchèque, d’apprendre une langue étrangère via le français… »
« Moi aussi, je viens de commencer mes études à Nîmes et j’ai également des difficultés au niveau de l’apprentissage de l’espagnol. L’intégration n’est pas facile non plus : les élèves français parlent d’une manière différente de ce que j’ai appris à l’école, parfois, je ne comprends pas, tout simplement… »
Une autre difficulté est liée à la différence des systèmes d’éducation tchèque et français. Mais finalement, celle-ci représente plutôt une richesse, un atout supplémentaire pour les élèves tchèques en France :« Ce sont les travaux pratiques qui m’ont posé des difficultés majeures au début. Il fallait appliquer le cours ce que nous ne faisons pas forcément en République tchèque. Je pense que le meilleur système scolaire serait la combinaison des systèmes tchèque et français. A mon avis, les élèves français n’ont pas de bases solides de leurs connaissances, par exemple en mathématiques ou en histoire. En République tchèque, au contraire, nous n’avons pas assez de travaux pratiques. Ce qui me gêne aussi, c’est que les cours finissent très tard en France, généralement à 18h. Or je pense que cela n’a pas vraiment un impact positif sur nos performances… »
Les week-ends à l’internat
Les élèves tchèques du lycée Daudet logent à l’internat où elles disposent d’un dortoir qui leur est exclusivement réservé.« Nous avons des chambres individuelles, équipées d’un lavabo. Les chambres pont peintes de différentes couleurs, chacune de nous peut choisir si elle veut habiter dans une chambre orange, verte, grise, rose ou violette. Nous partageons les douches et les toilettes, ainsi qu’une petite cuisine dont nous nous servons surtout le week-end. Cela nous suffit largement. Surtout, il y a une très bonne ambiance à l’internat, nous nous entendons biens entre filles. »
« Pendant le week-end, nous pouvons rester à l’internat ce qui est un privilège : les autres internes qui ne sont pas tchèques sont obligés de rentrer chez eux. Souvent, nous révisons les cours, mais nous allons aussi nous promener dans la ville, dans les Jardins de la Fontaine par exemple. Ou alors nous organisons des soirées ensemble… Nous pouvons également passer les week-ends dans des familles d’accueil, mais ce n’est pas une activité ‘officielle’ et obligatoire, comme c’est le cas à la section tchèque de Dijon. Par conséquent, il n’est pas toujours facile de trouver des familles d’accueil ici. Mais une fois que l’on en trouve, cela se passe généralement bien, elles s’intéressent à la vie en République tchèque et à notre culture. »
Pendant les trois années qu’elles passent dans la cité gardoise, les filles sont accompagnées par une assistante tchèque qui loge, elle aussi, dans l’établissement. Ludmila Pěničková a enseigné pendant une vingtaine d’années à la section franco-tchèque du Lycée slave d’Olomouc. En obtenant, il y a plus d’un an, le poste de lectrice au lycée Daudet, cette professeure tchèque a, elle-aussi, accompli son rêve de jeune fille :
« Quand j’étais jeune, je voulais étudier en France, c’était mon rêve. Cela n’était pas possible, vu que je suis née en 1956 et que j’ai passé ma jeunesse sous le régime totalitaire. Même étudier et ensuite enseigner le français n’était pas facile à l’époque. En fait, j’ai eu l’impression de recommencer mon apprentissage à zéro après la révolution de Velours. Lorsque l’occasion s’est présentée d’obtenir ce poste en France, je n’ai pas vraiment hésité. »J’assiste les filles pendant tout leur parcours à Nîmes. Je les accompagne tout au long de l’année scolaire, je sers d’intermédiaire entre les élèves tchèques et la direction du lycée. Aussi, j’accompagne les filles chez le médecin et je signe de différents documents à la place de leurs parents. Je suis également chargée de leur donner des cours de langue, de littérature et d’histoire tchèques. Car pour que leur baccalauréat français soit reconnu en République tchèque, elles doivent également passer, à Montpellier, l’examen du baccalauréat tchèque, étant donné que le tchèque est ici considéré comme leur première langue étrangère. »
L’indépendance est notre atout
Selon les statistiques de l’Association des anciens élèves des sections tchèques et tchécoslovaques, environ 60% des jeunes Tchèques qui ont passé le bac à Nîmes et à Dijon depuis 1990 ont poursuivi leurs études supérieures en France. Quels sont les projets des élèves qui préparent actuellement leur bac au lycée Daudet ?« Je trouve que le système scolaire français et la France en général sont quelque peu désorganisés comparé au reste de l’Europe, plus précisément à la République tchèque. Les trois années que je viens de passer ici ont été une belle expérience pour moi. Maintenant, je veux aller ailleurs, je voudrais faire des études de médecine en Norvège ou dans un autre pays européen. »
« Moi, je voudrais retourner en République tchèque après le bac. Je souhaite intégrer une université tchèque, car notre système scolaire me convient le mieux. Aussi, je voudrais être plus proche de ma famille et de mes amis. »
Malgré la nostalgie qu’éprouvent parfois ces jeunes étudiantes tchèques à Nîmes, elles mettent en avant une expérience particulière qui apparaît comme un des principaux avantages de leur séjour à l’étranger : elles se sentent désormais plus indépendantes, plus matures et ont davantage confiance en elles :
« Bien sûr que nos familles nous manquent. Mais je dirais qu’actuellement, dans nos sociétés mondialisées, l’indépendance représente un gros avantage. Par exemple, une fois tous les deux mois, nous faisons un aller-retour en République tchèque. Personne ne nous accompagne, il faut que nous nous débrouillions à l’aéroport. A force, ça devient une habitude. Pour notre génération, il est tout aussi important de vivre l’échange international. A Nîmes, nous avons cette opportunité, car nous ne sommes pas les seules étrangères dans ce lycée, il est aussi fréquenté par des élèves américains, espagnols et portugais, ainsi que par des Français d’origine espagnole ou portugaise. Alors nous ne nous sentons pas seules ! »