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2) Statuaire celtique : la tête de Mšecké Žehrovice, un trésor national tchèque

La tête celtique de Mšecké Žehrovice

A l’instar de la grotte de Lascaux, découverte par hasard en plein régime pétainiste dans la France de 1940 et immédiatement classée monument national, la tête celtique dite de Mšecké Žehrovice a été mise au jour de manière fortuite par un mineur au plus fort de l’occupation nazie en Tchécoslovaquie. La statue est restée cachée jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour éviter d’être confisquée par les occupants allemands. D’une valeur inestimable, elle aussi est depuis considérée comme un des plus grands trésors archéologiques de République tchèque.

La tête celtique de Mšecké Žehrovice | Photo: Oto Palán,  e-Sbírky,  Musée national,  CC BY-NC 4.0

Haute de 25 centimètres, cette tête humaine d’une statue probablement à l’origine de grandeur nature a été découverte fragmentée en quatre morceaux dans une carrière située à proximité de Mšecké Žehrovice, village de 650 habitants situé à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Prague, comme nous l’explique Natalie Venclová, archéologue tchèque spécialisée dans la période préhistorique du second Age du fer :

« Cette tête celtique a été découverte en 1943. C’était pendant la guerre et l’archéologue Ivan Borkovský, qui a été appelé sur le site, a immédiatement réalisé qu’il s’agissait d’une découverte importante. La tête a ensuite été confiée au Musée national et on n’en a plus parlé jusqu’à la fin de la guerre. On craignait que les Allemands ne s’emparent de la découverte. Ce n’est qu’après la guerre que les premières publications sur le sujet ont paru. La découverte a été très bien accueillie, et pas seulement dans le monde archéologique. Elle a été mise au jour dans une carrière de sable par un mineur. Un jour, les ouvriers ont trouvé un fragment, le lendemain, ils en ont trouvé trois autres. Ils ont compris qu’il s’agissait de quelque chose d’important et ont fait appel à Ivan Borkovsky. Il manque un morceau d’une oreille, bien que nous ayons fait de notre mieux dans nos recherches et que nous ayons tout examiné, nous n’avons rien trouvé d’autre. »

Les fragments de la tête celtique peu de temps après la découverte | Photo: Musée national

Après cette découverte fortuite, l’archéologue a toutefois pu effectuer des fouilles archéologiques sur le site-même, mettant au jour une sorte d’ensemble clôturé et quadrangulaire dont les vestiges semblaient être ceux d’un rempart et d’un fossé. Poussant ses recherches, Ivan Borkovský réalise que ces traces de peuplement appartiennent à la culture dite de La Tène et qu’elles sont contemporaines de la tête celtique.

Des artefacts de la culture de La Tène | Photo: Robarts - University of Toronto; Die Österreichisch-ungarische Monarchie in Wort und Bild/Wikimedia Commons,  public domain

La culture de La Tène, ou second Age du fer, est une culture archéologique qui s’est développée en Europe entre environ 450 et 25 avant Jésus-Christ. Considérée comme l’apogée de la culture celtique, elle doit son nom au site de La Tène en Suisse, lieu d’un village sur pilotis qui a fait l’objet de fouilles intensives à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Cette culture a essaimé dans toute l’Europe, de la Gaule à l’Espagne, en passant par les Balkans, la Grèce et l’Asie mineure. Et donc l’Europe centrale également.

« Les recherches menées sur le site de Mšecké Žehrovice ont révélé que celui-ci a une histoire assez riche. Il y avait auparavant un établissement celtique sur le site de la zone clôturée. Ce n’était pas un village ordinaire, car on y fabriquait des bracelets en sapropélite noire, ce qui est également une caractéristique de la culture de La Tène. C’est très beau car cela ressemble à du bois d’ébène. Ils avaient probablement une signification symbolique et étaient fabriqués dans la région de Mšecké Žehrovice. On y produisait encore du fer, ce devait être une sorte de colonie industrielle. Lorsque cette colonie s’est arrêtée pour une raison quelconque, la première phase de l’enceinte clôturée a commencé à être construite à cet endroit mais nous ne savons pas exactement ce qu’elle contenait. En théorie, on suppose que la tête aurait pu être placée sur une sorte de socle. La tête est brisée et une partie du cou s’est conservée, mais on pense qu’il s’agissait d’un buste et non de la statue entière, ce qui est rare. Dans la phase suivante, le site a été divisé en deux parties. Dans une partie se trouvait une communauté d’exception où vivait l’élite. Ce n’était pas très grand, il y avait quelques maisons et une famille de moins de 30 personnes y vivait. »

Les recherches menées sur le site de Mšecké Žehrovice | Photo: Natalie Venclová,  Institut d'archéologie de l'Académie des Sciences

Les archéologues considèrent ce site archéologique comme exceptionnel, notamment dans sa deuxième phase. Cette enceinte qui ressemblait à une cour aurait pu être une sorte de sanctuaire selon les premières conclusions des scientifiques, même si aujourd’hui, cette interprétation est sujette à caution : en tout état de cause, il s’agissait d’un lieu réservé à une élite.

Le lieu du découvert de la tête celtique  (le point noir) | Photo: Archives de la ville de Mšecké Žehrovice

La tête a toutefois été retrouvée à l’extérieur de l’enceinte clôturée : elle était enterrée dans une fosse avec d’autres objets suggérant qu’elle avait été déposée là au IIe ou au Ier siècle avant J.-C., probablement brisée.

Les objets trouvés sur la site de Mšecké Žehrovice | Photo: Musée régional d’Olomouc

« Soit des gens qui venaient d’ailleurs sont venues et ont fait tomber la tête de l’endroit important où elle était certainement exposée, et l’ont ainsi brisée. Soit elle s’est cassée accidentellement, ce qui semble plus probable. Elle semble ensuite avoir été placée délibérément et avec déférence dans la fosse avec d’autres objets tels que des récipients brisés, des outils, des os d’animaux, soit un échantillon d’artefacts couramment utilisés à l’époque. Mais hormis la tête elle-même, il n’y a pas d’autres objets exceptionnels dans cette fosse. »

La tête celtique de Mšecké Žehrovice | Photo: Musée régional d’Olomouc

Datée du IIIe siècle avant J.-C., cette tête celtique stylisée en pierre de marne se distingue par sa généreuse forme ronde, sa torsade de cheveux très marquée, sa moustache et ses sourcils à la forme courbée, ses yeux gonflés et le torque, ce collier typique qui était porté par les Celtes, qui orne le cou. Mais quelle personnalité pouvait-elle bien représenter ? Tentative de réponse avec Natalie Venclová :

« Peut-être représentait-elle un héros celte, une personne éminente célèbres pour un fait particulier et qui était vénérée par leur famille et leur communauté pendant des générations. Il y avait peut-être un groupe humain qui vivait à Žehrovice et dont l’ancêtre était peut-être un druide : ils auraient pu le vénérer dans le cadre d’un culte domestique. Nous ne pensons pas que ce lieu un sanctuaire. Peut-être avaient-ils cette statue chez eux et qu’ils se rassemblaient à cet endroit. La zone clôturée comporte une section où se trouvent des maisons et une autre section vide, à l’exception d’une structure en bois qui servait plutôt à se rassembler. C’est très grand, c’est inhabituel. Il n’y a aucune trace de logement à cet endroit. Clairement, une petite communauté vivait dans cette enceinte et peut-être que des communautés de toute la région s’y rassemblaient. Cette sculpture y faisait l’objet d’une dévotion, mais ce n’était pas nécessairement un dieu. »

L’exposition au Musée régional d’Olomouc | Photo: Musée régional d’Olomouc

Seules une vingtaine de têtes de ce type ont été retrouvées dans toute l’Europe, en Allemagne et en France notamment, même si celles-ci ont des caractéristiques un peu différentes. Natalie Venclova précise qu’en France notamment, des têtes ont également été mises au jour dans des enceintes quadrangulaires comme c’est le cas à Mšecké Žehrovice. Pour l’archéologue tchèque, cette similitude renforce les interprétations des scientifiques qui estiment qu’il s’agissait là d’une personne éminente de la communauté.

Photo: Kozuch,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Preuve du caractère exceptionnel de cette sculpture celtique retrouvée en Bohême et de sa valeur archéologique, elle n’a fait l’objet de prêts à l’étranger que deux ou trois fois. Même en République tchèque, elle n’est montrée au public qu’en de très rares occasions, la dernière en date remontant à février 2020 où elle a été exposée une dizaine de jours à peine au Musée régional d’Olomouc en Moravie.

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Cet article a vu le jour en collaboration avec l'Institut d'archéologie de l'Académie des Sciences de République tchèque.

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