Rapprochement turco-égyptien : « la République tchèque a un rôle à jouer »
La Tchéquie pourrait bien s’ériger en un acteur clé du rapprochement qui s’opère entre la Turquie et l’Egypte. C’est ce qu’évoque une publication de l’Institut des relations internationales de Prague, rédigée par Clément Steuer, Pelin Ayan Musil et Sinan Arda. Intitulée « The Diplomatic Rapprochement between Turkey and Egypt: Implications and Recommendations for the Czech Presidency of the EU », elle traite de l’opportunité qui se présente à Prague suite au dégel des relations entre les deux pays du Moyen-Orient. Décryptage de la situation actuelle et des opportunités futures en cette année de présidence tchèque du Conseil de l’UE.
Inconstantes, volatiles, changeantes et dernièrement tendues, les relations entre Le Caire et Ankara sont depuis des siècles difficiles à suivre, mais fascinent les observateurs internationaux. Déjà à l’époque de la Guerre froide, les deux pays se faisaient face : la Turquie, soutien des Etats-Unis, et l’Egypte de Nasser d’abord proche de l’URSS, puis leader du mouvement des non-alignés. Les révolutions du Printemps arabe, durant lesquelles de nombreux peuples de la région se sont soulevés contre l’autoritarisme, n’ont pas arrangé les choses et ont abouti à une véritable paralysie de toute relation entre les deux puissances régionales. Revenons sur ces événements pour comprendre l’état de la relation actuelle et le rôle de la République tchèque dans ce conflit.
En janvier 2011, l’Egypte devient le théâtre d’un soulèvement populaire d’une grande ampleur qui emporte avec lui la dictature de Moubarak, au pouvoir depuis presque trente ans. Face au vide politique, les premières élections libres depuis l’Egypte antique sont organisées. Les islamistes en sortent vainqueurs et Mohamed Morsi, issu des Frères Musulmans, un mouvement transnational panislamiste, devient président du pays. La Turquie, dirigée par Erdogan qui cherche à réislamiser son pays, ne tarde pas à se rapprocher de l’Egypte, qu’elle voit dès lors comme un nouvel allié. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu.
Après seulement un an à la tête de l’Egypte, le pouvoir de Morsi est contesté et un coup d’Etat militaire renverse les islamistes le 3 juillet 2013. Le général Al-Sissi devient alors chef de l’Etat. La Turquie condamne le putsch et à partir de ce moment, les relations turco-égyptiennes se dégradent et les tensions atteignent leur apogée. La Turquie vient en aide aux Frères Musulmans, poursuivis en Egypte car considérés comme une organisation terroriste. Cela déplaît fortement au Caire et de fil en aiguille, cette discorde vient polariser tout le Moyen-Orient. Les conflits en Libye ou en Syrie sont les théâtres de cette polarisation, la Turquie et l’Egypte soutenant chacun des camps opposés dans ces conflits. Pour autant, la situation s’améliore en 2021. Un rapprochement diplomatique s’opère notamment avec la réouverture de l’ambassade turque au Caire. Les médias turcs qui relayaient la propagande des Frères Musulmans en direction de l’Egypte sont fermés, et la Turquie se dit même prête à négocier un accord bilatéral de délimitation des zones maritimes. Le rapprochement reste cependant fragile et loin d’être totalement acquis.
Une fois cette remise en contexte faite, vous vous demanderez sûrement quel rapport existe-t-il entre ce conflit au Moyen Orient et les intérêts de la République tchèque. Clément Steuer, un des auteurs de la publication de l’Institut de relations internationales de Prague, nous éclaire à ce sujet :
« Evidemment, on est dans le cadre de la présidence tchèque de l’Union européenne et la stabilisation des relations entre les pays à l’est de la Méditerranée est dans l’intérêt stratégique de l’Union européenne. D’abord, parce que ça permet de réduire les conflits à ses portes et donc aussi de potentielles crises de réfugiés en provenance de la région, et en particulier de la Libye. Les chances d’une paix et d’une stabilisation de la Libye seraient grandement améliorées grâce à un rapprochement entre la Turquie et la Libye. C’est la polarisation régionale qu’on a vue entre ces deux courants qui maintient cet état de conflit dans lequel la Libye est plongée depuis 2011. Enfin, évidemment, la question de l’approvisionnement en gaz est un des autres points qui intéresse l’Union européenne en ce moment. Il y a du gaz et du pétrole en Libye mais aussi en Egypte. »
L’Union européenne a donc intérêt à œuvrer pour que ce dégel des relations entre Turquie et Egypte soit durable si elle veut éviter une nouvelle crise de réfugiés, des affrontements plus violents en Libye, ou encore une pénurie de gaz et de pétrole. Toutefois, l’Union européenne travaille aussi avec l’Egypte sur des questions de transitions énergétiques et d’énergie solaire et se doit donc de conserver de bons rapports. Pour cela, la Tchéquie a certains avantages que n’ont pas les pays qui ont succédé et suivront à la présidence du Conseil de l’Union européenne. Clément Steuer :
« L’avantage de la République tchèque est qu’elle est perçue plutôt comme un pays neutre dans la région du Moyen-Orient, donc elle a des relations stables aussi bien avec l’Egypte que la Turquie. Je pense que cette présidence peut être l’occasion de poser les bases d’un futur rapprochement. C’est une fenêtre d’opportunité dans le sens où c’est un pays qui est perçu comme beaucoup plus neutre que la France, qui évidemment, a des intérêts au Moyen-Orient et qui a été très opposée à la Turquie ces dernières années même si des rapprochements ont eu lieu ces dernières années, et que la Suède puisque la Turquie avait mis son veto à son entrée dans l’OTAN. La République tchèque a ici un rôle à jouer. »
La Tchéquie entretient effectivement de bonnes relations tant avec la Turquie qu’avec l’Egypte. Pas seulement diplomatiques d’ailleurs, car des échanges commerciaux ont également lieu avec les deux pays, en en particulier avec l’Egypte comme le souligne Clément Steuer :
« La République tchèque a des échanges commerciaux avec l’Egypte depuis l’époque de la crise du canal de Suez et du début de la politique du non-alignement de l’Egypte. Ce sont donc des relations qui sont assez anciennes, et la Tchécoslovaquie à l’époque était largement perçue comme un pays ami par l’Egypte. »
Des relations qui ont perduré dans le temps, bien après la fin du bloc soviétique. Cet engagement pour le rapprochement entre Turquie et Egypte peut par ailleurs constituer l’occasion pour la Tchéquie de réapparaître comme un acteur clé sur la scène internationale et au Moyen-Orient. Le chercheur reconnaît qu’en tant que grand promoteur d’une politique basée sur le respect des droits de l’Homme, Prague pourrait ouvrir la voie à une coopération plus approfondie avec cette région du monde.
Malgré cela, la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne reste marquée par un enjeu de taille qui risque de faire de l’ombre à ce projet au Moyen-Orient. La guerre en Ukraine et ses conséquences économiques et humanitaires préoccupent davantage les Européens et est donc au cœur des priorités de cette présidence tchèque.
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