La vie quotidienne des enfants de Husák

'Bonjour, camarade institutrice'

Husákovy děti - Les enfants de Husák, c’est ainsi qu’est désignée la génération des Tchèques et des Slovaques nés dans les années 1970 et 1980. Le journaliste et écrivain Ondřej Horák est né en 1976 et il en fait donc partie. Il a été, lui aussi, « enfant de Husák », il a connu intimement la vie quotidienne des jeunes à cette époque et il peut faire resurgir de l’oubli ses différents aspects.

Bonjour, camarade institutrice

Ondřej Horák | Photo: Druhé město

Le livre d’Ondřej Horák sorti aux éditions Mladá fronta est intitulé Dobrý den, soudružko učitelko - Bonjour, camarade institutrice, et déjà ce titre illustre le climat idéologique dans lequel ont grandi les écoliers des années 1970 et 1980. C’est de cette façon que les élèves étaient obligés de saluer leurs enseignants sous le régime communiste. Dans cette période entrée dans l’histoire sous le nom de « normalisation », la Tchécoslovaquie occupée par l’armée soviétique connaît un baby-boom qui contraste avec la baisse du taux de natalité dans les pays occidentaux. C’est à la vie de ces enfants, donc à ses contemporains, qu’Ondřej Horák a consacré son livre :

« Evidemment il ne s’agit pas d’un livre d’historien mais c’est le livre de quelqu’un qui se souvient. Je l’ai écrit parce qu’une maison d’édition me l’a proposé. L’éditeur Stanislav Škoda qui a été longtemps directeur du Centre tchèque à Madrid, a trouvé en Espagne un livre sur l’école espagnole vers la fin du régime du général Franco. Il y en a qui comparent parfois les régimes de Franco et de Salazar avec ce qu’il y avait chez nous mais moi je ne sais pas dire dans quelle mesure c’est comparable. En tous les cas, ce n’était pas très plaisant. »

'Bonjour,  camarade institutrice' | Photo repro: Ondřej Horák,  'Dobrý den,  soudružko učitelko'/Mladá fronta

Le baby-boom des années de la normalisation

'Bonjour,  camarade institutrice' | Photo repro: Ondřej Horák,  'Dobrý den,  soudružko učitelko'/Mladá fronta

Pourquoi appelle-t-on donc cette génération « les enfants de Husák » ? On explique parfois cette explosion des naissances dans les années 1970 et 1980 par la politique familiale et les mesures en faveur de la natalité adoptées par le régime du secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque devenu plus tard président de la République, Gustáv Husák. Cependant, il est évident que ce n’était là qu’un des facteurs ayant favorisé cette recrudescence de la natalité. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque est également en âge de procréer la forte génération des baby-boomers nés de l’optimisme des années suivant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Quoi qu’il en soit, « les enfants de Husák » ont été et sont toujours un phénomène démographique important qui n’est pas resté sans conséquences dans l’évolution postérieure de la société. Ondřej Horák évoque dans son livre entre autres le climat psychologique dans les écoles tchèques de cette époque :

« Je me souviens de la pression que nous avons tous subie. A l’âge de 14 ans, lorsque nous devions passer les examens d’admission dans le secondaire, nous étions convaincus que c’était un examen décisif pour notre avenir et que si nous n’étions pas reçus dans telle ou telle école, cela influencerait tout le reste de notre vie. C’était très frustrant et même douloureux et je suis très content que cela ne se soit pas confirmé grâce à la révolution de Velours. »

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Une vie d’ambiguïté

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L’enfance et l’adolescence de cette génération sont profondément marquée par l’ambigüité. Ces enfants et ces adolescents vivent dans une société où on ne dit pas publiquement ce qu’on pense et où les paroles ne correspondent pas aux actes. Ce qu’on dit à l’école est très souvent en contraste avec ce qu’on dit à la maison. Les gens n’ont pas envie de risquer un conflit avec les autorités communistes et leurs enfants vivent dans un monde où le mensonge est présenté comme la vérité. Officiellement, l’occupant soviétique est donc présenté comme l’ami du peuple tchèque et l’occupation elle-même est qualifiée d’aide fraternelle. Les enfants s’habituent, eux aussi, à ce régime d’ambigüité et à cette hypocrisie générale qui infuse toutes les couches de la société. Ondřej Horák rappelle encore un autre aspect de cette situation ambiguë :

« En écrivant ce livre j’ai réalisé que nous avions vécu sous les slogans socialistes mais dans une adoration des marchandises occidentales. Il faut s’en rendre compte quand on dit que certaines choses étaient meilleures sous la normalisation. Ceux qui le disent font déjà partie de tout un courant d’opinion parce que nous vivons actuellement dans une grande désillusion. »

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L’attrait du fruit défendu

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Sous la normalisation, l’Occident est stigmatisé comme un monde hostile et décadent où les capitalistes exploitent les masses de travailleurs. Dans cette optique, il va de soi que l’accès à ce monde dangereux soit interdit à la majorité de la population tchèque et slovaque. Seules, des personnes soigneusement choisies ont le privilège de pouvoir traverser les frontières occidentales du pays et de connaître la vie au-delà du rideau de fer. Evidemment, toutes ces interdictions ne font que raviver l’intérêt des Tchèques et de leurs enfants pour ce monde inaccessible auquel elles donnent l’attrait du fruit défendu. Ondřej Horák a subi, lui aussi, cette fascination pour un monde interdit :

« Il faut se rendre compte qu’à cette époque nous ne disposions que de mauvaises copies des produits occidentaux ou de rebuts soviétiques. Seuls les apparatchiks pouvaient se permettre de posséder de belles voitures occidentales. Nous disions que les impérialistes étaient mauvais, mais nous acceptions, imitions et singions avidement tout ce qui venait de leur part. Aujourd’hui cela paraît tout à fait ridicule. »

'Bonjour,  camarade institutrice' | Photo repro: Ondřej Horák,  'Dobrý den,  soudružko učitelko'/Mladá fronta

Ces objets qui font rêver

'Bonjour,  camarade institutrice' | Photo repro: Ondřej Horák,  'Dobrý den,  soudružko učitelko'/Mladá fronta

Le livre d’Ondřej Horák démontre cependant aussi que malgré toutes les entraves politiques et idéologiques la vie des enfants de Husák a été quand même assez riche et ne manquait pas d’esprit ludique et d’humour. Le livre retrace les nombreuses activités des enfants et des jeunes organisées par le régime mais aussi leurs jeux et distractions quand ils échappaient au contrôle des autorités. Il évoque les chansons, les films et les émissions télévisées qu’ils aimaient, les livres qu’ils lisaient et qui les ont marqués à vie, les bandes dessinées qu’ils adoraient mais qui ne devaient pas être appelés « comics » parce que ça faisait trop américain.

'Bonjour,  camarade institutrice' | Photo repro: 'Ondřej Horák,  'Dobrý den,  soudružko učitelko'/Mladá fronta

D’innombrables photos réunies dans le livre représentent des objets d’usage quotidien qui encadraient la vie de tous les jours de ces enfants et de ces adolescents et aussi les objets plus exclusifs qui les faisaient rêver. Ondřej Horák n’est pas prêt d’oublier le jour où l’on a exaucé un de ses désirs d’adolescent :

« Je me rappelle très bien le moment où on m’a offert mon premier jean. J’étais écolier en première année d’école primaire et j’ai pu recevoir mon premier jean parce que ma grand-mère avait été autorisée à rendre visite à son amie à Vienne. C’était donc un certain privilège mais cela avait encore un autre aspect qui montre combien nous étions intérieurement divisés. Avec mon jean, j’ai enfilé aussi sans broncher ma chemise de jeune pionnier. »

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Rappelons dans ce contexte que l’Organisation des jeunes pionniers avait été conçue pour contrôler les activités des enfants et les éduquer dans l’esprit du marxisme-léninisme et aussi pour combler le vide laissé par l’interdiction du mouvement scout.

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Ondřej Horák évoque les activités sportives des jeunes pionniers et leurs séjours en colonies de vacances et nous amène aussi à l’école. En classe les enfants apprennent sans doute beaucoup de choses utiles mais sont obligés de subir également des méthodes d’enseignement discutables tout en étant exposés à la manipulation idéologique. Ensuite ils mangent dans des cantines scolaires où la nourriture n’est pas toujours appétissante et où ces enfants prennent souvent de mauvaises habitudes alimentaires.

La nostalgie de l’enfance

'Bonjour,  camarade institutrice' | Photo repro: 'Ondřej Horák,  'Dobrý den,  soudružko učitelko'/Mladá fronta

Ce système manipulateur conçu pour maintenir au pouvoir le régime autoritaire s’effondre en novembre 1989 comme un château de cartes. De nouvelles possibilités, de nouveaux défis et de nouveaux dangers surgissent devant la génération des enfants de Husák qui ne sont pas du tout préparés à un changement aussi profond. Mais c’est déjà un autre chapitre de l’histoire de leur pays qui se scindera en deux Etats indépendants - la Tchéquie et la Slovaquie.

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Pour beaucoup, leur enfance et adolescence dans les années 1970 et 1980 resteront quand même les plus belles étapes de leur vie. Et une certaine nostalgie de cette époque embellie par les souvenirs se fera sentir dans la société tchèque encore au début du nouveau millénaire. Même aujourd’hui les chansons de cette période sont aimées et diffusées à la radio et les téléspectateurs ne sont toujours pas rassasiés des contes de fées et des séries réalisées jadis en accord avec les critères idéologiques de la Tchécoslovaquie socialiste. Cela nous rappelle que les enfants et déjà aussi les petits-enfants de Husák sont toujours parmi nous.

Auteur: Václav Richter
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