Le tchèque du bout de la langue : « ledňáčci », les drôles d’oiseaux du mois de janvier

Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague International, et plus particulièrement à ceux qui se sont donné comme bonne résolution pour la nouvelle année de faire plus d’exercice. Mais alors qu’approche la fin du mois de janvier, combien de fois êtes-vous réellement allés à la salle de sport depuis le Nouvel an ? et combien de fois pensez-vous que vous y mettrez les pieds en février ? Si vous avez répondu « beaucoup » à la première question, mais qu’à la deuxième, c’est plutôt « euh… », la conclusion est évidente : vous êtes un « ledňáček » !

Un « ledňáček », c’est en premier lieu un volatile : un martin-pêcheur, oiseau de la famille des Alcénidés facilement reconnaissable par son plumage bleu vif pour la partie supérieure et roux pour la partie inférieure, avec une tête mouchetée et des yeux très sombres. Si « martin-pêcheur », son nom français, fait référence à sa présence au bord des eaux – stagnantes ou courantes, mais surtout poissonneuses –, le nom tchèque, quant à lui, est dérivé de l’adjectif « lední », « de/sur la glace », qui renvoie a priori au fait que la ponte de cet oiseau a lieu au tout début du printemps.

Bonnes résolutions… et motivation

Photo illustrative: Sammy-Sander,  Pixabay,  Pixabay License

Mais ce n’est pas tant le sens propre que le sens figuré de ce mot qui nous intéresse aujourd’hui : un « ledňáček », dans le vocabulaire contemporain, c’est donc une personne qui commence à fréquenter assidûment les salles de sport début janvier… mais dont la motivation fondra comme glace au soleil, ne durant pas plus longtemps que les 31 premiers jours de l’année. Et ce en dépit du dicton « Jak na Nový rok, tak po celý rok » – littéralement « comme au jour de l’an, alors tout au long de l’année », à savoir que ce qui se passe ou ce que l’on fait le jour du nouvel an présage de quoi sera faite l’année toute entière… Pour en revenir à notre « ledňáček », précisons toutefois que ce terme familier et plein d’ironie n’est pas forcément connu du grand public : il relève plutôt du jargon des coachs sportifs et des adeptes du fitness – entendons par là les vrais, ceux qui fréquentent la salle de musculation toute l’année, pas comme les « ledňáčci » !

Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Dans ce sens, le terme « ledňáček » renvoie donc au terme « leden » – janvier. Pas besoin d’être une lumière pour identifier la racine du nom du premier mois de l’année : rien à voir avec une diode électroluminescente (LED) ; « led » signifie « glace » ! Mais attention : pas au sens de « miroir » – « zrcadlo », cet objet dans lequel on peut admirer son visage ou son corps… à la salle de muscu, par exemple !

Les Glacières de Braník

Ledaři | Photo: ČT

Outre « leden » et « ledňáček », d’autres mots ont pour racine « led » – la glace, l’eau solidifiée par le froid, donc. Un phénomène naturel que l’homme a su mettre à profit depuis des siècles, notamment pour la conservation des aliments dans des « ledárny » – des glacières, à savoir des installations et constructions présentant des propriétés isothermes. A Prague, on trouve un bel exemple de « ledárna » de style Art nouveau dans le quartier de Braník, sur les bords de la Vltava. Elle a été en activité de 1911 à 1954, date à laquelle la construction d’une chaîne de barrages plus en amont a mis fin au gel régulier de la rivière – et donc au travail des « ledaři », les manœuvres de la glace, dont la tâche était de tailler la glace dans la rivière gelée pendant l’hiver. Des blocs de glace qui étaient ensuite stockés dans le bâtiment et progressivement vendus toute l’année aux débits de boissons de la capitale… Longtemps largement inutilisée, la partie extérieure du site des Ledárny Braník accueille depuis 2021 concerts et cinéma en plein air…

Ledárny Braník | Photo: Oleg Fetisov,  Radio Prague Int.

Attention, ça glisse !

Photo illustrative: Lena Lindell,  Pixabay,  Pixabay License

Mais il n’y a pas que les rivières qui peuvent geler : la terre peut, elle-aussi, être « zledovatělá » – couverte de glace… à moins que cela ne soit du verglas ? Car il faut bien faire la différence entre deux mots dont la racine est « led » : comme l’explique l’Institut hydrométéorologique tchèque, « ledovka » – le verglas est un phénomène qui accompagne la pluie ou la bruine verglaçante. Il se forme lorsque l’air est chaud en altitude et que la pluie tombe sur la surface froide du sol, les branches d’arbres, les lignes électriques, etc., à des températures inférieures à 0 °C. « Náledí », par contre, est une forme particulière de verglas sans doute plus connue de nos auditeurs canadiens que français : en effet, au Québec, où ce phénomène n’est pas exceptionnel, on appelle « glace noire » la couche de glace souvent presque invisible recouvrant la chaussée ou tout autre surface, formée par le gel progressif de l’eau déjà au sol, par exemple après un redoux.

'Náledí' | Photo: ČT

« La différence entre 'ledovka' – le verglas et 'náledí' – la glace noire réside dans la manière dont ils se forment, précise encore l’Institut hydrométéorologique, mais il n’y a pas de différence en termes de danger sur les routes. » Vous avez donc bien compris : dans les deux cas, faites attention, car ça glisse ! Et vous pourriez bien vous casser une jambe, comme le protagoniste principal de la comédie tchécoslovaque Náledí (1982) à qui un épisode de glace noire donne une occasion de rompre la glace – « prolomit ledy » avec une collègue charmante… avant qu’il se retrouve bientôt happé dans un enchaînement de péripéties malencontreuses et de mensonges maladroits dont il aura bien du mal à se dépêtrer…

Iceberg, droit devant !

Titanic par Harry J. Jansen  | Photo: Royal Museums Greenwich/National Maritime Museum/Wikimedia Commons,  public domain

Celui à qui la glace a joué un mauvais tour aux conséquences tragiques, c’est le célèbre paquebot Titanic, qui n’a pas pu dévier sa trajectoire à temps pour éviter l’iceberg – « ledovec »… Et pour continuer sur le thème naval, on évoquera le « ledoborec » – le navire brise-glace, dont le nom tchèque se compose de « led », la glace, donc, et de « borec » – « l’athlète, le lutteur », mais aussi, au sens figuré, « le crack, l’as ».

Photo: Jaana Jolly,  Pixabay,  Pixabay License
Photo: Darrien Staton,  Unsplash

Dans un autre domaine, électrodomestique cette fois, « lednice » ou encore « lednička » désignent un réfrigérateur, avec là encore la racine « led ». Mais Lednice (avec une majuscule), c’est aussi une petite ville dont vous avez peut-être entendu parler en association avec une de ses communes limitrophes : « Lednice-Valtice », c’est un vaste paysage culturel inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Les origines du toponyme « Lednice » sont un peu floues, mais cela pourrait faire référence au microclimat légèrement plus frais que dans les alentours… Tout cela étant relatif, bien sûr, car n’oublions pas que Lednice se trouve... en Moravie du Sud !

Château de Lednice | Photo: Štěpánka Kadlečková,  ČRo

Un esquimau à Lednice

Photo: Porch,  Pixabay,  Pixabay License

Pour se rafraîchir en été, donc, à priori, plutôt que d’aller à Lednice, il serait plus efficace de manger une glace… Mais là, quelle surprise : il n’y a pas la moindre trace du mot « led » dans « zmrzlina » ! C’est que ce mot un peu avare de voyelles – comme la langue tchèque en a le secret – trouve sa racine dans « mrznout » – « geler ». « Mais comment quelque chose d’aussi bon peut porter un nom aussi horrible à prononcer ? » C’est ce que nous avait dit un étranger un peu désespéré (et dont nous ne citerons pas le nom) quelques semaines après son déménagement en République tchèque… Si, comme lui, vous êtes angoissé à l’idée de commander une « zmrzlina », sachez que vous pouvez toujours vous rabattre sur un bâtonnet glacé ou esquimau, appelé « nanuk » ou encore… « ledňáček » !

La boucle est bouclée, mais c’est un peu un cercle vicieux : si vous mangez trop de « ledňáčci », vous allez avoir besoin de faire du sport ; si vous prenez la résolution de faire plus de sport, vous risquez de vous faire appeler « ledňáček »… Quel dilemme !

En tout cas, que vous ayez écouté cette émission tout en pédalant sur un vélo d’appartement ou non, on vous félicite : si votre bonne résolution pour 2024, c’était d’améliorer votre tchèque, pas de doute, vous êtes sur la bonne voie !

Extraits musicaux entendus dans cette émission :

« Ledňáčci nad Metují » de Malina Brothers

Malina Brothers / Ledňáčci nad Metují (official video)

« Murder in My Mind » de Kordhell

KORDHELL - MURDER IN MY MIND

Générique de l’émission « Gym Tonic » diffusée sur la chaîne de télévision française Antenne 2

« Ledy » de Matěj Vávra

Matěj Vávra - LEDY (prod. Maiky Beatz) OFFICIAL VIDEO

Film « Náledí » de Jiří Vanýsek (1982)

Film « Titanic » de James Cameron  (1997)

Publicité pour les esquimaux Prima (2008)

« Udržuj svou ledničku plnou » de Monika Načeva

Načeva - Udržuj svou ledničku plnou

« Ledňáčci » de Vypsaná fiXa

Vypsaná fiXa - Ledňáčci