Mort de Věra Kunderová, la gardienne du temple Kundera

Les époux Kundera

Née Věra Hrabánková à Prague, la veuve de Milan Kundera, Věra Kunderová, est morte en France à l’âge de 88 ans.

Věra Kunderová | Photo: ČT

Věra Kunderová est décédée soudainement au Touquet en France, où elle était « Madame Kundera » et où elle a séjourné pendant de longues années avec son mari l’été dans leur résidence secondaire.

Enfant du quartier de Vinohrady à Prague, elle y vit l’invasion nazie petite fille, puis l’invasion soviétique en 1968. Elle est alors déjà mariée à Milan Kundera, avec qui elle quitte la Tchécoslovaquie et sa carrière entamée à la radio puis à la télévision pour s’installer en France en 1975.

Jiří Dientsbier en 1964 | Photo: Petr Böhm,  APF ČRo

Naturalisée française en même temps que son époux, en 1981, elle forme avec lui un duo décrit comme inséparable et est celle qui, grâce à son don pour les langues, communique et parfois traduit lors des rencontres avec de célèbres écrivains devenus des proches du couple, comme Philip Roth ou Salman Rushdie.

Même si elle garde d’excellents souvenirs de certains dissidents, dont Jiří Dienstbier, qui a été son collègue à la radio, le fossé qui s’est creusé entre les Kundera et les initiateurs de la Charte 77, Václav Havel en tête, est devenu au fil des ans un obstacle infranchissable, même après la chute du régime.

Elle rappelait régulièrement un épisode avec le plus connu des dissidents habitant l’Hexagone également, Pavel Tigrid, qui aurait dit devant elle à son mari sur un ton assertif de « ne pas se mêler de politique ».

Brouiller les pistes

Les rapports extraordinairement compliqués des Kundera avec leur pays natal et avec les Tchèques sont le sujet d’analyses poussées  – elle en souffrait et dénonçait avec rage ceux qui avaient selon elle orchestré « la chasse de la meute » contre son mari au moment de la publication en 2008 de l’article sur son supposé passé de délateur au service du régime communiste.

Věra Kunderová | Photo: ČT24

Selon Věra Kunderová, cette affaire avait même précipité la détérioration de l’état de santé de Milan, mort l’année dernière après de longues années de maladie pendant lesquelles elle est devenue la farouche gardienne du temple de la vie et de l’œuvre de son époux.

Citée dans plusieurs ouvrages parus ces dernières années en France sur Milan Kundera, la native de Prague se faisait un malin plaisir à emberlificoter les récits et à brouiller les pistes.

Méfiante, elle était aussi une vieille dame très attachante une fois l’armure fendue. Le sabir qu’elle servait aux tchécophones était savoureux, avec une tendance à « tchéquiser » des mots français comme son vénéré pendule, baptisé « pandulka », qu’elle sortait promptement pour jauger une situation ou une personne.

Enfant de Vinohrady

Elle adorait râler – un trait de caractère sans doute commun à ses compatriotes dans ses pays natal et d’adoption - mais son visage s’éclairait lorsqu’elle évoquait les moments heureux passés avec son mari à Belle-Île, aux Antilles, en Corse où en Israël, où elle se rappelait avoir congédié leur chauffeur pour s’échapper de la ville et passer des journées mémorables au Kibboutz Alfa en 1985, en compagnie du fils d’Isaac Bashevis-Singer.

Le cimetière d'Olšany | Photo: Juan Pablo Bertazza,  Radio Prague Int.

« Lítost », mot tchèque rendu célèbre par Milan Kundera, a fait l’objet d’études bien plus savantes que de simples tentatives en vue d’une nécrologie imparfaite, mais il pourrait servir à décrire au moins en partie la dernière partie de la vie de Věra Kunderová, très nostalgique de sa Prague et pourtant très remontée contre sa ville natale.

L’évocation de son ancienne école primaire de Vinohrady ou celle du magnifique cimetière d’Olšany - où sont enterrés ses parents - la rendaient péniblement joyeuse.

Photo repro: 'Milan Kundera  (neztracen) v překladech'/Moravská zemská knihovna

Le roman L’ignorance recèle certainement quelques clés pour comprendre ce rapport en général compliqué des Tchèques exilés avec un pays natal qui n’existe plus, au propre comme au figuré, après des décennies d’absence – et avec dans ce cas très particulier, en plus, des différends et des griefs très profonds.

Le rapprochement qu’aurait dû représenter l’obtention de la nationalité tchèque par Věra et son mari en 2019 n’a pas été aussi significatif qu’attendu, sans doute en partie à cause du profil de ceux à l’origine de cette formalité administrative symbolique.

Lítost

Photo: Folio

Elle tapait à la machine et corrigeait les romans dictés par son mari, puis elle a aidé à la traduction récente en tchèque de ceux écrits en français.

« Lítost est un mot tchèque qui décrit un état de tourment spirituel causé par la prise de conscience soudaine de sa propre misère » : dans son premier livre écrit – à Belle-Île-en-Mer – après leur départ de Tchécoslovaquie, Milan Kundera s’emploie à ne pas être « lost in translation ».

Peut-être que ce mot, lítost, pourrait idéalement servir de légende à la dernière photo reçue de Věra Kunderová, qu'elle a prise au Touquet deux jours avant son décès.

Dernière photo reçue de Věra Kunderová  | Photo: Archives de Věra Kunderová

Ses restes, ainsi que ceux de son époux, devraient bientôt être transportés vers Brno, la ville natale de l’écrivain où se trouve désormais également la bibliothèque qui porte son nom et pour laquelle elle avait déployé une énergie spectaculaire.

Rediffusion à cette occasion de l'entretien qu'elle avait accordé en octobre 2022 à Radio Prague Int., au moment du déménagement des archives du couple de Paris vers Brno.

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