série

23) Les inspirations imprévues de Petr Hruška

Petr Hruška

« Quand cela arrive, c'est une invasion, une intrusion, » dit le poète Petr Hruška (1964) à propos de ses inspirations poétiques. La création de chaque poème est pour lui une aventure imprévisible à laquelle il ne peut pas se préparer et qu'il ne peut influencer que partiellement. Heureusement, ces moments exquis ne manquent pas dans sa vie. Ils lui ont permis d'écrire et de publier toute une série de recueils de poésie qui lui assurent une place privilégiée parmi les poètes tchèques de sa génération. C'est donc à Petr Hruška et à sa poésie que nous consacrons ce chapitre de notre série sur les chefs-d’œuvre de la littérature tchèque.

Comme si l'on rencontrait une bête sauvage

Comment aborder la poésie de Petr Hruška ? Que faire pour pénétrer dans l'univers de ce poète qui, au premier abord, peut décourager le lecteur par son austérité et son manque d'ostentation ? Quel recueil de ses huit livres de poésies choisir ? Voici un conseil du poète lui-même :

« Cela peut être n'importe quel recueil. Ce qui est important pour le lecteur au moment où il ouvre mon livre, c'est d'être ouvert lui-même. Ce n'est que de cette façon qu'un poème peut le toucher. Il ne faut surtout pas qu'il se force à lire tout le recueil pour connaître la poésie de Petr Hruška. C'est, je crois, la façon infaillible de manquer le poème, de passer outre. Je crois que le poème est une rencontre étrange et inattendue comme si on rencontrait une bête sauvage. Il est très important que le poème surprenne et le lecteur et l'auteur qui l'écrit. Le poème doit être imprévu et non planifié. »

Le secret et l'excitation

'Les Chambres de non-séjour' | Photo: Sfinga

Petr Hruška entre en littérature en 1995 avec  le recueil Obývací nepokoje - Les Chambres de non-séjour et il se situe dès le début parmi les auteurs sobres, parmi les poètes qui détestent la volubilité. Ses poèmes sont composés avec un minimum de mots et les critiques littéraires soulignent une certaine simplicité, un certain rationalisme de son style. Il n'utilise jamais un mot à la légère et sa conception de la poésie est intransigeante. Il dit :

« Rien ne me répugne autant que la façon de concevoir la poésie comme quelques moments d'attention condescendante qu'on accorde à la lecture des vers, dimanche sur un canapé. Cette idée d'une poésie bien vêtue et bien maquillée est d'une imbécilité faramineuse qui finit par chasser inévitablement le secret et l'excitation que la poésie devrait produire. »

Ostrava | Photo: Guillaume Narguet,  Radio Prague Int.

Fils d'une ville rude et hirsute

Né à Ostrava, ville industrielle et minière, Petr Hruška est empreint de l'atmosphère de sa ville. Ostrava, ville rude et hirsute où il vit toujours, est pour lui un champ fertile dans lequel se nourrit sa poésie. Par de petites touches, par quelques détails de la vie quotidienne, il crée de courts poèmes par lesquels il réussit à plonger sous les apparences de la quotidienneté et à saisir quelques aspects profonds de l'existence humaine. Tout à coup, un détail insignifiant qui autrement pourrait passer inaperçu, prend la valeur d'une révélation et le lecteur sent que cette révélation le touche personnellement et fait vibrer en lui une corde secrète. Ainsi le poète se glisse dans l'intimité du lecteur car la poésie est pour Petr Hruška une recherche de la proximité :

Petr Hruška | Photo: Vojtěch Havlík,  ČRo

« Chacun de nous éprouve parfois la sensation d'une proximité tout à fait particulière vis-à-vis d'un autre, vis-à-vis de nous-mêmes, vis-à-vis d'un objet, vis-à-vis d'une situation, vis-à-vis de quelque chose dans ce monde. Cette sensation étrange quand les choses qui, un instant avant, ne nous touchaient encore pas du tout, qui n'avaient aucune signification pour nous, prennent tout à coup une signification, c'est quelque chose qui m'excite et qui ne cesse de m'enchanter et finalement me pousse à écrire. Et c'est peut-être la définition essentielle de ce que cherchent à exprimer mes poèmes. »

Un animateur de la vie culturelle d'Ostrava

Photo: Host

Petr Hruška n'est pas de ces poètes qui s'isolent dans leur tour d'ivoire pour écouter en silence leur voix intérieure. Ingénieur diplômé en 1987 à l'Université technique d'Ostrava, il est aujourd'hui également docteur ès lettres et travaille à l'Institut de littérature tchèque de l'Académie des Sciences. Sa spécialité est la poésie tchèque d’après 1945. Il est l’auteur d'ouvrages théoriques, co-auteur de plusieurs anthologies et aussi un animateur engagé de la vie culturelle d'Ostrava. Il participe à l'organisation de programmes littéraires, de festivals et d'expositions et il s’est même produit sur la scène d'un café-théâtre.

La proximité et la précision

Son œuvre poétique n'est pas abondante mais elle est très appréciée. Au cours du dernier quart de siècle, il a écrit et publié huit recueils de poésie qui se distinguent par leur style sobre et dépouillé. Il ne pense pas avoir beaucoup évolué :

Petr Hruška | Photo: Alena Blažejovská,  ČRo

« Je n'ai pas l'ambition d'être nouveau à tout prix. Je veux surtout être exact. Je dirais que je cherche probablement toujours à préciser davantage ce qui m'excitait et m'ébahissait déjà au début, lorsque j’ai commencé à écrire. Et cette recherche de la précision ne se transforme pas beaucoup avec le temps.  Donc je ne trouve et ne trouverai pas chez moi des changements importants, des tournants dans ma façon d'écrire. »

La proximité et la précision - telles sont donc deux qualités essentielles qu'on pourrait se représenter comme deux muses qui surveillent,  façonnent et inspirent l'œuvre poétique de Petr Hruška.

Les grands noms de la poésie tchèque contemporaine

Photo: Host

Spécialiste de la poésie tchèque moderne, Petr Hruška se joint à la lignée des poètes tchèques de plusieurs générations qu'il admire et qui lui sont proches. Il trouve des mots fervents pour caractériser l'art du doyen des poètes tchèques Karel Šiktanc (1928), le style brillant, le frémissement et l'ardeur de sa poésie. Il manifeste son admiration pour Ivan Wernisch (1942), un grand créateur des mondes fantasques et grotesques, capable d'ébranler toutes nos certitudes. Et il rend hommage aussi à Vít Slíva (1951) dans lequel il voit l'héritier de la poésie nocturne de Vladimír Holan et qui est, à son avis, un des rares poètes encore capables d'évoquer Dieu, la foi et les aspects transcendants de l'existence humaine. Et il n'oublie pas non plus les auteurs de sa génération comme Pavel Kolmačka (1962), poète qui nous apprend, comme il dit, à nous réconcilier avec le monde dans toute sa complexité, ou bien Petr Borkovec (1970), auteur explorateur toujours à la recherche des significations cachées de la langue.

Et Petr Hruška salue également toute une pléiade de poétesses tchèques dont Alžběta Michalová, Alžběta Stančáková ou Sylva Fischerová. Il souligne que la création de ces femmes n'a rien à voir avec le sentimentalisme de ce qu'on appelle la poésie féminine et que ces auteures réussissent à créer des univers poétiques fiers et autonomes. Et il finit par prendre la défense de la poésie tchèque contemporaine dans son ensemble :

'Adoptif' | Photo: Argo

« Je pense que la poésie tchèque actuelle ne manque pas de bons auteurs, de bonnes auteures et de bon recueils. Je ne partage pas ces idées faciles, irréfléchies et en fin de compte assez bornées, sur la décadence de la littérature et de la poésie, sur l'absence de l'intérêt pour la poésie, et selon lesquelles on n'est plus capable d'écrire un vers qui vaille la peine. Parfois on lance des cris de ce genre. Ce sont surtout des critiques et théoriciens de la littérature névrosés qui sont obligés de lire de la poésie en grande quantité, de classer ces textes et encore de s'orienter dans tout cela. Evidemment, ce n'est pas possible. Ils sont donc fatigués, irrités et renfrognés et ils finissent par prétendre qu'il n'y a plus de poésie, que la littérature tchèque est une terre brûlée. »

La rencontre entre le poète et son lecteur

'Darmata' | Photo: Host

Petr Hruška est lauréat de plusieurs distinctions littéraires dont le Prix national de littérature qu'il a obtenu en 2013 pour son recueil Darmata. Ces poèmes ont été traduits dans plusieurs langues dont l'anglais, l'allemand, l'italien, le polonais, et on en trouve aussi dans deux anthologies de poésie tchèque traduites en français et éditées en 1999 et 2002 par Petr Král. Bien qu'il sache que le chemin de la poésie vers le lecteur est souvent difficile et tortueux, Petr Hruška ne semble pas être prêt à le faciliter. Il se garde d'imposer ses poèmes aux lecteurs car il pense que non seulement la création poétique mais aussi la rencontre entre le poète et son lecteur doivent être fortuites, qu'elles doivent être confiées au hasard :

« La meilleure chose pour le lecteur est de décider de ne jamais ouvrir, de ne jamais lire un recueil de Petr Hruška, et puis, soudain, dans une situation particulière, de se heurter à l’un de mes livres. Je crois que ce serait un bon moment pour que mes poèmes puissent l'apostropher. »

Petr Hruška | Photo: Rafał Komorowski,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED
Auteurs: Václav Richter , Tomáš Pancíř
mots clefs: