Prague prend la tête du groupe de Visegrád confronté à de sérieuses dissensions

La République tchèque prend la tête du groupe de Visegrád pour un an. Avec de prochaines élections législatives en Slovaquie et en Pologne, et des divergences politiques notoires avec la Hongrie autour de la guerre russo-ukrainienne notamment, la présidence tchèque n'aura pas la tâche facile pour mener à bien son programme.

Depuis le 1er juillet, la République tchèque assume la présidence tournante du groupe de Visegrád (V4), une plateforme de dialogue et de coopération fondée en 1991 entre la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie d’alors. Prague prend la relève de Bratislava, pour une durée d’un an, avec pour slogan « le V4 pour les citoyens ».

En amont de sa présidence, Prague avait annoncé vouloir « retourner aux racines de la coopération de Visegrád sur le fondement des principes partagés des droits de l’Homme, de liberté, de démocratie, d’Etat de droit, de bonnes relations de voisinage et d’engagement dans l’intégration européenne et l’alliance transatlantique ». Le programme présenté par Prague s’articule autour de trois axes : une « société sûre et avancée », une « économie innovante et interconnectée » et le « soutien à l’Ukraine ».

Prague aspire à poursuivre la coopération culturelle, scientifique, sportive et touristique entre les pays du V4, mais aussi à renforcer la lutte contre les migrations illégales en partenariat avec les Balkans occidentaux.

Sur le volet économique, la République tchèque souhaite accélérer le développement du réseau ferré à grande vitesse dans la région et promouvoir le nucléaire et l’hydrogène comme sources énergétiques alternatives aux hydrocarbures russes. Enfin, dans le contexte de la guerre aux portes de l’Europe, la présidence tchèque compte mettre un point d’honneur à défendre le projet d’intégration à l’Union européenne de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie et à renouveler le soutien à la société civile biélorusse.

« La République tchèque préside un Visegrád politiquement dysfonctionnel »

La mise en œuvre du programme présenté par Prague pourrait cependant s’avérer plus ardue qu’escomptée. L’annonce du début de la présidence tchèque du groupe de Visegrád semble loin de susciter un grand enthousiasme et optimisme du côté tchèque. « La République tchèque reprend Visegrád sans éclat » titre Lidovky.cz, « Les Polonais et les Hongrois fâchent Fiala avec la migration » note Hospodářské noviny, « La République tchèque préside un Visegrád politiquement dysfonctionnel » tâcle iROZHLAS.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, en effet, les points de friction entre les quatre Etats se sont multipliés. Si la Pologne et la République tchèque figurent parmi les plus fervents soutiens de Kyiv, la Hongrie, elle, se montre plus réservée. Budapest refuse de livrer des armes à l'Ukraine et fustige l’efficacité des sanctions adoptées par l’Union européenne à l’encontre de la Russie.

Autre sujet sensible entre les pays de Visegrád : l’épineux dossier de l’immigration. Si les quatre Etats conviennent de l’importance de lutter contre l’immigration illégale, la Hongrie et la Pologne demeurent hostiles au pacte relatif à la relocalisation des réfugiés porté par l’Union européenne et soutenu dans l’ensemble par Prague. Le 26 juin, le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, s’était exprimé sur le sujet devant ses homologues du V4 :

« La Commission [européenne] a présenté une proposition d’amendement budgétaire relative à la migration. La somme d’argent que la Commission a affectée à la lutte contre les migrations est ridicule. Je dois dire que l’ensemble de la proposition, telle qu’elle est, est légère, et de l’avis de la Hongrie, elle ne se prête pas à la négociation. Nous demandons donc une nouvelle proposition de la Commission qui puisse être prise au sérieux. »

Incertitudes électorales en Slovaquie et en Pologne

Sur les dossiers délicats ukrainien et migratoire, la République tchèque ne peut pas non plus s’en remettre exclusivement à la Slovaquie. Depuis la démission du gouvernement Heger au printemps, le pays est administré par intérim par Ľudovít Ódor. La tenue de nouvelles élections législatives à l’automne - pour lesquelles l’ancien Premier ministre Robert Fico, aux positions ouvertement pro-russes, a toute ses chances - laisse planer le doute sur les futures orientations politiques de Bratislava.

Robert Fico | Photo: Bureau du Gouvernement tchèque

Pour l’analyste de l’Institut polonais des affaires internationales, Veronika Jóźwiak, interviewée par iROZHLAS, « si Robert Fico remporte les élections, on peut supposer qu’il y aura un partenariat étroit entre la Slovaquie et la Hongrie, mais cela aggraverait encore plus la crise au sein du V4. Ce ne serait pas une alliance au sein de la plateforme de Visegrád, mais une coopération bilatérale. » L’analyste reconnaît toutefois qu’une telle évolution semble déjà à l’œuvre entre la République tchèque et la Pologne sur le dossier ukrainien.

Toutefois, tout comme leurs voisins slovaques, les citoyens polonais seront eux aussi invités à se présenter aux urnes cet automne pour renouveler leur Parlement. En conséquence, Prague a annoncé qu’aucune réunion des Premiers ministres du V4 ne se tiendrait tant que les vainqueurs des scrutins en Pologne et en Slovaquie ne seraient pas connus, de quoi limiter à nouveau un peu plus la poursuite de l'agenda de la présidence tchèque qui n'était déjà pas évidente.

Pour l’analyste Veronika Jóźwiak, les divergences politiques au sein du groupe de Visegrád auraient même conduit la Tchéquie à réévaluer les ambitions de sa présidence : « Le programme ne comporte que quelques pages, ce qui prouve que les domaines dans lesquels les pays du V4 peuvent coopérer sont limités. Je ne perçois [dans le programme] aucun objectif politique significatif que la présidence voudrait atteindre. » Selon l’analyste, le bon rétablissement du V4 ne surviendra qu’une fois la guerre en Ukraine terminée.

Une plateforme de dialogue informel néanmoins utile

Conscient des désaccords qui traversent le V4, le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, a toutefois rappelé l’importance de maintenir le dialogue en Europe centrale à l’occasion d’une conférence de presse le 26 juin à Bratislava :

Petr Fiala | Photo: Site officiel du parti Občanská demokratická strana  (ODS)

« Je pense que le format V4 est une bonne opportunité pour renforcer les relations de bon voisinage et sert de dialogue informel ouvert qui conduit à une meilleure coopération entre les autorités sur des sujets communs. […] Je pense que c'est une bonne chose que nous menions ce dialogue et que nous soyons en mesure d’harmoniser nos positions ici. »

De son côté, le président tchèque, Petr Pavel, peu après son élection, avait indiqué que le groupe de Visegrád constituait, selon lui, avant tout un forum de consultation et de coopération en matière d’économie, de commerce et de culture, plutôt qu’une plateforme de coordination des questions de politique étrangère et de sécurité des pays du V4.

Le président avait également ajouté qu’il voyait un potentiel dans une coopération plus approfondie entre le groupe de Visegrád et les pays baltes.