Réfugiés ukrainiens en Tchéquie : le défi de s’intégrer tout en vivant dans l’attente
A un an du début de l’invasion russe de l’Ukraine, plus de 450 000 Ukrainiens ont demandé un statut temporaire de protection en République tchèque. Une année donc, que ces réfugiés s’intègrent dans un nouveau pays à plus de 1000 kilomètres de leur foyer. Il faut apprendre la langue, trouver un emploi, scolariser ses enfants, des besoins auxquels les associations tchèques répondent, en accompagnant ces exilés.
Si ces organisations ont l’habitude de venir en aide aux migrants et réfugiés arrivant en Tchéquie, la guerre en Ukraine a nettement accaparé ces organismes. Les associations ont dû faire face à un nombre d’arrivées inédit pour le pays, qui, en proportion de sa population, a accueilli le plus grand nombre de réfugiés de ce conflit à l’échelle européenne.
Anna Marie Vinařická et Anca Covrigová sont, chacune, en charge de deux centres d’intégration d’étrangers à Prague. Bien que travaillant dans deux organisations différentes, leur récit de l’année passée se ressemble, évoquant notamment, une augmentation du nombre de clients significative au début de la guerre et des difficultés pour faire face à cet afflux. On écoute Anna Marie Vinařická du Centre pour l’intégration des étrangers (Centrum pro integraci cizinců) :
« En 2021, nous nous occupions d’environ un millier de migrants ukrainiens tandis qu’en 2022, ce nombre a doublé. De plus, ces réfugiés ont des besoins différents de ceux de nos groupes cibles habituels, qui sont généralement des étrangers ayant choisi de vivre en République tchèque. Ici, l’approche n’est pas la même. La demande d’aide s’est accentuée d’un seul coup tandis que la capacité de notre organisation était toujours la même qu’auparavant pour y faire face. »
La guerre a, bien entendu, eu un impact psychologique fort sur ces réfugiés, forcés de quitter leur pays. Mais Anca Covrigová explique que l’année passée a également profondément marqué les personnes travaillant au Centre d’intégration Prague (Integrační centrum Praha) :
« Cela a été très dur émotionnellement pour nos collègues ukrainiens et russes ayant de la famille en Ukraine. Il leur a été très difficile, dans ces circonstances, de rester forts et de continuer à aider les réfugiés, ce qu’ils ont tout de même fait admirablement. »
Car il a fallu durant l’année écoulée, et encore à l’heure actuelle, beaucoup de personnel mobilisé pour aider tous ces Ukrainiens ayant massivement choisi la Tchéquie comme pays d’acceuil. Anca Covrigová évoque les différentes raisons derrière ce choix.
« Je pense que c’est principalement parce que la République tchèque a, depuis longtemps, une population de migrants ukrainiens relativement élevée, qui sont ici légalement pour travailler ou étudier. Comme toujours, les réfugiés se rendent dans des endroits où ils connaissent déjà quelqu’un sur place. Mais il faut aussi mentionner que par rapport à d’autres États, la Tchéquie a eu une approche plutôt généreuse à l’égard des réfugiés ukrainiens. Ces derniers ont pu non seulement recevoir une protection temporaire, mais aussi bénéficier d’un accès au système de santé publique, recevoir certaines prestations sociales et je ne suis pas certaine que toutes ces aides soient présentes dans d’autres pays. »
La barrière de la langue tchèque
Mais une fois la frontière de la République tchèque franchie, les réfugiés ukrainiens se heurtent à une autre barrière : celle de la langue. Bien que désireux d’apprendre le tchèque, ils se retrouvent face à une pénurie de cours d’apprentissage de la langue, ces derniers étant pris d’assaut. Le Centre pour l’intégration des étrangers de Prague qui a des antennes dans plusieurs autres villes tchèques, a particulièrement remarqué ce manque.
« Seulement 40% des réfugiés ont accès à des cours de langue. Il n’y a pas assez de classes gratuites de tchèque et les réfugiés n’ont pas les moyens financiers suffisants pour s’inscrire à des cours payants. Le problème est que le fait de savoir parler tchèque impacte les possibilités d’emploi. Les réfugiés connaissant déjà un peu la langue sont deux fois plus susceptibles de trouver un emploi et ils sont également plus enclins à mettre à profit leur qualification initiale. Une grande partie des réfugiés ukrainiens occupent actuellement des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. »
Pour faciliter l’intégration des Ukrainiens, Anna Marie Vinařická explique également que depuis le début de l’invasion russe, des séminaires ont été organisés par le centre à destination des employeurs tchèques. Ces réunions leur permettent d’en apprendre davantage sur l’emploi des personnes bénéficiant d’une protection temporaire, le statut accordé aux réfugiés ukrainiens. De nombreux employeurs sont parfois inutilement préoccupés par une charge administrative excessive, ne connaissant pas les conditions d’emploi des étrangers.
La problématique de la langue ne touche néanmoins pas seulement les réfugiés en âge de travailler, mais aussi leurs enfants. Ces derniers, scolarisés dans des établissements tchèques, peuvent rencontrer des difficultés d’apprentissage face à des enseignants souvent démunis. Anna Marie Vinařická :
« Nous soutenons également les professeurs des écoles qui sont très sollicités avec les enfants réfugiés, et donc dans une situation de stress. Il n’y a pas beaucoup de soutien pour eux dans l’ensemble, donc nous essayons de leur apprendre à enseigner le tchèque aux enfants ukrainiens. »
S’intégrer tout en vivant dans l’attente
Car le paradoxe est de devoir s’intégrer complètement dans une nouvelle culture tout en gardant l’espoir que cette nouvelle vie n’est que temporaire. C’est, en effet, dans l’incertitude que vivent les Ukrainiens en Tchéquie, après un an d’exil et toujours sans aucune perspective de retour imminent dans leur pays. Différent du statut de migrant ou d’expatrié, celui de réfugié est particulier, comme l’explique Anca Covrigová :
« Ces réfugiés se retrouvent dans un nouveau pays et sont dans l’attente que les choses aillent mieux chez eux afin d’y retourner. Une assez grande partie des réfugiés ne souhaite donc pas réellement s’enraciner en République tchèque. Ils sont heureux s’ils peuvent y trouver un travail et placer leurs enfants à l’école pour y vivre temporairement, mais c’est une situation complètement différente d’une personne venant ici pour y rester. »
Elle détaille, notamment, à quelles difficultés se sont heurtés les réfugiés pris en charge par son centre d’intégration:
« La composition de la population des réfugiés ukrainiens est particulière : il s’agit, pour la plupart, de femmes et d’enfants. Nous nous occupons très souvent de mères célibataires qui ne bénéficient d’aucun soutien. Même si elles souhaitent travailler, il leur est très difficile de le faire, à moins qu’une personne s’occupe de leur enfant. En République tchèque, il a toujours été difficile de trouver une place dans une garderie ou une crèche, et ce même pour les mères tchèques. »
« Certains réfugiés ont aussi des problèmes de santé et dans un nouveau système, il peut être difficile pour eux de bénéficier des aides au chômage. Par exemple, un certain type d’invalidité peut être reconnu par la loi ukrainienne, et non par la loi tchèque ».
Une solidarité de la population tchèque en déclin ?
Concernant l’acceuil des Ukrainiens, la responsable du Centre d’intégration Prague s’est dite « surprise » de l’élan de solidarité de la société tchèque depuis maintenant un an. Selon elle, il est possible de l’expliquer par un parallèle avec la propre histoire de la République tchèque. Bien que plus de la moitié de la population n’ait pas vécu l’année 1968 et l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie, l’histoire d’un agresseur russe envahissant un territoire résonne particulièrement en Tchéquie. Mais si dans l’urgence et face à la guerre, une vague de soutien s’est immédiatement manifestée, la longévité du conflit en Ukraine semble mettre cette solidarité à l’épreuve :
« La guerre ne cesse de se rallonger et elle est survenue après la pandémie de Covid-19, elle-même difficile et suivie d’une crise économique. La situation est donc considérée comme éprouvante pour tout le monde, de sorte que le niveau de solidarité et la volonté d’aider s’estompent lentement. »
Les réfugiés ukrainiens pourront, en tout cas, compter sur ces organisations d’aide, dans l’attente d’un cessez-le-feu pour, enfin, retrouver leur foyer.