Splendeurs et misères des musiciens tchèques

« Nous avons visité pratiquement tous les beaux sites d’Europe mais nous n’en connaissons que des salles de concerts », constate Zuzana Dostálová, instrumentiste et auteure du roman Karneval zvířat - Le Carnaval des animaux. Ce livre qui raconte la tournée d’un orchestre, est un tableau haut en couleurs de la vie nomade et de la situation difficile de nombreux musiciens tchèques.

Un road movie assez spécial

Photo illustrative: Joe Oliver,  Pixabay,  Pixabay License

Zuzana Dostálová (1976) est violoncelliste. Elle joue dans plusieurs orchestres tchèques et elle connaît donc intimement la vie, la situation, les problèmes et les aspirations des musiciens. Dans son livre qui est un road movie d’un genre assez spécial, elle permet au lecteur de partager en quelque sorte la vie de ses collègues pour lesquels la musique est à la fois un moyen de subsistance et une passion. Elle nous amène en tournée en Allemagne :

« Je participe souvent à ce genre de tournées musicales et j’en ai fait beaucoup au cours des quinze dernières années. Et quand je me trouvais dans des avions ou des bus, je me disais qu’il faudrait absolument évoquer tout cela dans un livre. J’ai choisi une tournée en Allemagne où les musiciens sont ensemble pratiquement pendant toute la journée. Le lecteur peut comprendre enfin ce que c’est la vie d’un musicien. Le musicien se rend dans d’innombrables lieux, ce qui n’est pas donné à tout le monde, mais il n’a absolument pas le temps de visiter des monuments. Nous, les musiciens, nous avons visité pratiquement tous les plus beaux sites d’Europe, mais nous n’en connaissons que les salles de concerts. »

Zuzana Dostálová | Photo: Jiří Šeda,  ČRo

Les aléas de la vie des musiciens

Philharmonie de l'Elbe à Hambourg | Photo: PeterKaul,  Pixabay,  Pixabay License

Un grand orchestre symphonique tchèque traverse l’Allemagne avec au répertoire trois œuvres célèbres - la Cinquième symphonie dite Symphonie du Destin de Beethoven, la Neuvième symphonie « Du Nouveau Monde » d’Antonín Dvořák et le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns. Au cours de la tournée, les musiciens tchèques jouent devant les publics de grandes villes allemandes dont Stuttgart, Mannheim, Francfort, Hambourg, Düsseldorf, Cologne et Nuremberg. Partout, ils remportent de grands succès mais le public enthousiaste ne se doute pas des revers de cette tournée brillante. Presque chaque jour, l’orchestre joue dans une ville différente, les musiciens sont constamment obligés de se déplacer, ils sont logés parfois dans des hôtels de basse catégorie, ils manquent de repos, de confort et se nourrissent mal pour faire des économies. Ils se plaignent parfois mais Zuzana Dostálová explique qu’ils supportent tout cela parce qu’ils se sont en quelque sorte identifiés avec leur musique :

« Le musicien grandit dans la musique. Quand on veut faire quelque chose vraiment bien, quand on veut gagner sa vie par la musique, on doit y investir absolument tout et aussi toute son enfance. Le musicien ouvre son cœur à son instrument et c’est l’instrument qui devient son deuxième moi. Même quand il traverse une période difficile, même s’il n’a pas d’argent, il restera toujours lié d’une certaine façon avec son instrument. »

Une petite société soudée par la collaboration musicale

Photo illustrative: Lucas Craig,  Pexels

Pour la plupart, les musiciens ne se laissent pas démoraliser par les vicissitudes de cette vie nomade. Ils ne perdent que rarement leur sens de l’humour et trouvent presque toujours un moyen de s’amuser dans le bus qui les transporte ou dans leur chambre d’hôtel. Ils gardent toujours en réserve des anecdotes et des histoires drôles de leur vie et de la vie de leurs collègues, ils organisent après leurs concerts de petites soirées privées où ils s’amusent et noient souvent leurs soucis dans l’alcool. Et évidemment dans cette petite société soudée par la collaboration professionnelle et vivant dans une intimité quotidienne naissent des amitiés, des sympathies et des antipathies, et aussi des liaisons amoureuses. Zuzana Dostálová a largement puisé dans le vécu de ses collègues musiciens :

« La majorité des situations que j’évoque se sont vraiment passées. En ce qui concerne les caractères des personnages, il y en a qui sont vraiment authentiques, mais il y en a aussi qui sont une mosaïque de caractères. »

Un violoniste au grand cœur

Photo illustrative: Ana Krach,  Pixabay,  Pixabay License

Zuzana Dostálová avoue de ne pas avoir été obligée d’inventer beaucoup de choses pour écrire son roman. C’est le violoniste Evžen Knobloch qui est le protagoniste de son livre. Evžen est un excellent musicien et homme au grand cœur qui aime aider les autres et ne se rend pas toujours compte que les autres abusent parfois de sa gentillesse. Les relations des autres membres de l’orchestre avec ce violoniste altruiste donnent à la romancière le moyen de révéler les véritables caractères de ces personnages qui ne sont pas toujours sans faille. Un lien sentimental se noue peu à peu entre Evžen et Štěpánka, une jeune flutiste, un lien qui fait naître chez Evžen un amour sincère et un espoir de sortir de sa solitude. C’est une promesse de bonheur qui est de courte durée. Il s’avère finalement qu’il s’agissait d’un rêve, beau mais éphémère...

Photo illustrative: Brenda Geisse,  Pixabay,  Pixabay License

Un livre sous forme d’appel

Photo illustrative: Tatyana Kazakova,  Pixabay,  Pixabay License

En racontant la vie des musiciens, Zuzana Dostálová insiste sur le fait que malgré toutes les difficultés et les déceptions professionnelles et personnelles, ses collègues exercent leur métier avec amour et une maîtrise qui touche à la perfection :

« Mon livre est une sorte d’appel qui invite les gens à prendre en considération qu’il y a chez nous des milliers de musiciens qui travaillent dur et dont les activités ne sont pas suffisamment appréciées. C’est aussi le problème du public parce que les Tchèques ne sont pas très nombreux à se rendre dans les salles de concert pour écouter de la musique classique. Je le regrette. »

Une romancière qui partage le sort de ses personnages

Malgré son caractère critique par rapport à la société majoritaire, le livre de Zuzana Dostálová démontre cependant aussi que la vie des musiciens n’est pas qu’une suite de difficultés parce que leur travail n’est pas suffisamment apprécié et rémunéré. Elle montre à maintes reprises dans son roman que ces humbles serviteurs de la musique sont souvent récompensés par les dons que leur apporte leur musique et qui ne sont pas d’ordre matériel. Elle peut en parler avec beaucoup d’authenticité parce qu’elle partage leur sort :

« Je me réjouis surtout à l’idée de pouvoir donner de la joie aux autres. Je suis émue quand je vois dans le public les gens qui sont émus, qui pleurent parfois et qui sont heureux d’une certaine façon. C’est ma plus grande satisfaction. C’est ma récompense pour toute cette rude besogne. Parce que c’est vraiment une rude besogne. »

Découvrir les beautés du répertoire classique

Photo: Radio Prague Int.

Et il y a encore une autre raison pour laquelle Zuzana Dostálová a écrit son livre. Dans le texte, le lecteur trouve de nombreuses remarques sur les qualités musicales des trois chefs-d’œuvre de Beethoven, de Dvořák et de Saint-Saëns que l’orchestre interprète au cours de sa tournée allemande. Le lecteur a donc l’occasion de découvrir ce qu’une oreille experte peut entendre dans la musique, il peut suivre ce qui se passe à l’intérieur de l’orchestre, il peut entrevoir les sinuosités de l’art de l’interprétation ce qui n’est pas donné au consommateur passif de la musique. Et Zuzana Dostálová espère que cela puisse permettre à son lecteur aussi de mieux apprécier les immenses beautés du répertoire classique :

« Je me disais : même si mon livre ne plaît pas aux lecteurs, il serait bien qu’il les amène à écouter ces belles compositions. Car cette musique, c’est la beauté même. Et cela me suffirait. »

Auteur: Václav Richter
mots clefs:
lancer la lecture