Siřem : ce village au nom insolite, situé près de Louny, au milieu des champs de houblon, a marqué la vie de Franz Kafka qui y a séjourné, chez sa sœur, à la fin de la Première Guerre mondiale. Déjà atteint de tuberculose, l’écrivain a trouvé à Siřem la quiétude, la nature, l’air frais et peut-être même l’inspiration pour son œuvre majeure, Le Château.
« Nous voilà sur le pont où K., le héros du roman, arrive au village. Vous pouvez voir là, sur la colline, le bâtiment du grenier à blé, qui ressemble en effet à un château. K. continue. Le deuxième bâtiment à droite était à l’époque une auberge qui appartenait à la brasserie Dreher, et à gauche on voit la forge, où travaillait le mari de l’aubergiste. Dans le roman, K. séjourne dans cet auberge et Franz Kafka également, lorsqu’il se rendait à Siřem. »
Avec David Herblich, un passionné qui a ouvert un centre culturel Franz Kafka à Siřem, nous partons donc sur les traces de l’écrivain, et probablement aussi sur celles du jeune arpenteur K., personnage principal du roman Le Château. Une fois arrivé à Siřem, le héros du roman s’aperçoit que les habitants ne lui font pas confiance et ont peur de lui. Il ne comprend pas grand-chose, mais peu à peu, il se rend compte que toute la vie des villageois est influencée par un mystérieux château qui domine la commune. Cette influence se fait par l’intermédiaire de bureaucrates plus ou moins importants.
Le livre donne lieu à de nombreuses interprétations. Un mystère entoure également le château qui a inspiré Kafka : il en existe en effet plusieurs en Tchéquie, mais David Herblich est persuadé qu’il s’agissait justement du grenier à blé de Siřem.
Zürau en allemand, ce village des Sudètes, comme on appelait les régions germanophones de la Bohême, était à l’époque plus grand qu’aujourd’hui. Franz Kafka qui connaissait Siřem s’y est rendu pour un séjour plus long le 12 septembre 1917. David Herblich explique les circonstances de cette visite :
« Gabriele, la sœur aînée de Kafka, a épousé un certain Karl Hermann. Il était issu d’une grande famille qui possédait plusieurs maisons et domaines agricoles dans le village. Lorsque Kafka est venu en 1917, c’était la guerre. Kafka était en vacances, mais son état de santé s’est aggravé : il s’est mis à cracher du sang. Il n’est donc pas retourné au travail et il est resté pendant huit mois à Siřem, jusqu’au printemps 1918. Il était donc accueilli par sa sœur Gabriele. Il y avait aussi leur sœur cadette Ottla, venue aider Gabriele à la ferme, puisque Karel Hermann, ainsi que les autres hommes de la famille, étaient sur le front. Des collègues de Franz Kafka, qui possédaient un appareil photo, lui ont également rendu visite. Nous avons donc plusieurs photographies qui documentent son séjour ici. »
Ces photos sont aujourd’hui exposées dans une vitrine sur la place du village. Sur l’une d’entre-elles, la plus connue, on voit Franz et Ottla devant une maison. Derrière eux se trouve une porte ouverte qui donne sur la place du village.
« À la place de la porte arrière se trouve aujourd’hui une fenêtre. Mais la vue est la même, l’arbre que l’on voit sur la photo est toujours là. Nous exposons plusieurs autres photos, mois connues : sur celle-ci par exemple, on voit Ottla et quelqu’un qui est venu de Prague. Une autre montre également Ottla habillée différemment et indique qu’elle est avec sa cousine Irma, mais apparemment, c’était quelqu’un d’autre de la famille ».
A Siřem, Franz Kafka travaillait à la ferme de sa sœur, mais aussi écrivait : des lettres, son journal intime ou encore des aphorismes. Que savons-nous encore de son séjour ?
« C’est un peu compliqué avec les archives et les témoignages, parce qu’après 1945, les habitants allemands ont été expulsés de Siřem. Mais quelques familles mixtes qui se souvenaient encore de Franz Kafka sont quand même restées. (…) Le cinéaste Miloš Forman et l’ancien président Václav Havel sont également venus ici dans les années 1960, sur les traces de l’écrivain. Or le président du Comité national local leur a dit à l’époque qu’il ne savait pas du tout qui était Kafka. »
« De nombreux chercheurs ont été confus à cause d’une carte portale envoyée par Kafka à son ami Max Brod, où il indiquait avec une flèche l’endroit où il vivait, mais cet endroit ne correspond pas vraiment à la réalité. C’était le numéro 35, il a vraiment habité là-bas, mais seulement au tout début de son séjour. Il a ensuite déménagé au numéro 15, car il était dérangé par une petite fille qui jouait du piano dans la maison d’en face. Comme il l’a écrit, le seul piano dans le nord-ouest de la Bohême se trouvait en face de sa maison. »
« La fille de cette pianiste habite aujourd’hui en Allemagne. Elle vient chaque année à Siřem et m’a apporté des photos de sa mère. Ce n’est pas uniquement le piano qui dérangeait Kafka au numéro 35, mais aussi les souris et les chats. Sa sœur lui a donc trouvé un autre hébergement dans le village. Là, il était content, il regardait les paysans par la fenêtre et allait lui-même ramasser des pommes de terre et s’intéressait aussi aux cochons, comme il le décrit dans ses lettres à sa fiancée Felice Bauer. »
David Herblich et ses amis organisent régulièrement à Siřem des événements culturels dédiés à Franz Kafka. Prochaine date dans leur agenda : le Festival Deziluze prévu fin juin, avec des performances de musiciens et artistes tchèques et allemands au programme.
