Ukraine : « Je veux revoir ma grand-mère mais j'ai peur des mines qui resteront partout »

Ukraine

Cette semaine marque la première année depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Yevheniia est une ressortissante ukrainienne russophone originaire de Dnipro et vit à Prague depuis plusieurs années. Ses parents, qui lui rendaient visite à l’époque, ne sont pas repartis en Ukraine. Elle a 26 ans et travaille dans la comptabilité. Nous l’avions interrogée l’année dernière, quelques jours après l’invasion. Un an après elle évoque au micro de RPI la difficulté de vivre le conflit à distance, son rapport à la langue russe, sa famille restée sur place avec un oncle déjà blessé puis retourné se battre sur le front.

Pour l'intégralité de l'entretien, la version audio est disponible en appuyant sur lecture ci-dessus.

Yevheniia | Photo: Archives d’Yevheniia

Yevheniia : « Sur la pratique de la langue russe par les Ukrainiens, je connais plusieurs personnes qui ont vraiment changé. J’étais abonné à plusieurs comptes ukrainiens sur Instagram et ils disaient que si on ne parlait pas ukrainien en vivant à l’étranger alors vous n’êtes pas un vrai Ukrainien. C’est autour de moi mais je ne change pas mon avis. Je parle russe et je ne vais pas immédiatement changer et parler ukrainien. C’est la situation qui est compliquée, pas la langue qui doit changer dans ma tête. »

RPI : Des Ukrainiens disent vouloir oublier la langue russe. Pouvez-vous le comprendre ?

« Pour moi c’est compliqué. Le conflit entre les gens et leur vision du monde et la volonté de reprendre une partie d’un autre pays ne veut pas dire que ce que nos parents nous ont appris est faux et qu’il faut l’oublier. On ne pas continuer sans connaître notre passé et sans l’accepter et vivre avec. »

Cela veut dire pour vous qu’on peut être locuteur russe et se sentir tout à fait ukrainien

« Oui. Parler russe ou ukrainien ne change pas mon esprit et ma douleur pour l’Ukraine. »

Comme une pierre à l'intérieur de soi qui s'alourdit chaque jour

Comment a évolué en un an cette douleur dont vous parlez ?

« Cela continue. Je n’y pense pas à chaque seconde mais ça s’aggrave. C’est comme une pierre à l’intérieur de soi et elle s’alourdit chaque jour. Je n’imagine même pas comment les gens peuvent vivre avec ces sirènes chaque jour et dans ces conditions. Le stress pour eux est permanent et pour moi cela s’aggrave à chaque fois que j’entends que des bombardements ont lieu. »

« Ce n’est pas aussi intense qu’en février 2022, parce qu’on ne savait pas à l’époque quelle pouvait être l’issue rapide. Aujourd’hui on voit que de nombreux pays nous soutiennent, on va gagner c’est sûr, mais c’est dur de voir les actualités et ce qui se passe sur le terrain. »

Votre ville Dnipro et ses habitants ont été bombardés le mois dernier...

« Oui les missiles sont tombés sur un immeuble où mes amis ont habité avant de fuir vers Kyiv. Ma mère a beaucoup d’amis là-bas et c’est très difficile. J'ai envoyé de l'argent avec ma carte ukrainienne pour les gens sur place. »

Dnipro,  Ukraine | Photo: Profimedia

L'élection d'un président qui soutient à 100% l'Ukraine confirme la solidarité des Tchèques

Les Tchèques sont en très grande majorité solidaires des Ukrainiens, comme on l’avait évoqué dans notre premier entretien. Les choses ont-elles changé en un an selon vous ?

« Cela a perduré. L’élection d’un président qui soutient à 100% l’Ukraine peut le confirmer. Mais il y a bien sûr des exceptions, comme une dame rencontrée au supermarché qui nous a entendus parler russe et s’en est pris à mon mari en disant qu’il fallait qu’on retourne en Ukraine parce qu’on prenait tout l’argent des Tchèques. Il lui a répondu qu’il travaillait et payait ses impôts ici et que de surcroît il n’était pas Ukrainien. Mais elle a exprimé tout ce qu’elle pense des gens qui prennent de l’argent sans y avoir droit, il y a des cas comme ça. »

Il faut préciser que votre mari est russe. Est-ce que cela a créé des complications ?

« Non aucune complication, au contraire, on essaie d’envoyer de l’argent à l’armée ukrainienne pour l’aider et on participe comme on peut. »

Est-ce qu’il ressent une certaine russophobie à Prague ?

Photo: Анна Тис,  Pexels

« Je pense que oui. Il y a des discours parfois pas très aimables... Mais ce n’est pas quelque chose qui l’empêche de vivre ou de travailler. Ce n’est pas très agréable d’avoir ce passeport. »

Vous me disiez que pour lui c’était difficile d’une autre manière, parce que vous avez l’espoir de rentrer dans votre pays alors que lui ne pourrait pas retourner de sitôt dans le sien

« Oui, il comprend qu’il ne va peut-être jamais revoir sa ville et ses amis. On va aller en Egypte pour pouvoir y rencontrer sa famille. C’est la seule possibilité, parce que s’il rentre en Russie il devra être mobilisé. Il a 22 ans. »

Ma grand-mère est préoccupée par le sort de son fils qui combat en première ligne

Pour vous, quand pourrez-vous vous dire que c’est le bon moment pour aller en Ukraine ?

Des gens traversent une route enneigée pendant un blizzard pour recevoir de l'aide humanitaire dans le village de Zelene,  en Ukraine | Photo: Vadim Ghirda,  ČTK/AP

« Je veux voir ma grand-mère, c’est la priorité. La fin des combats, un accord de paix, ou j’attendrai encore un peu. Avec ma sœur on a peur des mines qui resteront partout. »

Et comment va votre grand-mère ?

« Elle est préoccupée par le sort d’un de ses fils, qui est sur le front. Son deuxième fils, mon père, est à Prague, mais mon oncle est au combat depuis avril, en première ligne vers Bakhmut. On n’a pas régulièrement des nouvelles. Il a été blessé deux fois, mamie s’en est occupé. Des blessures au pied et à la fesse, pas très graves, et il est reparti au front. »

Ukraine | Photo: ČTK/AP/LIBKOS

« J’ai un autre ami avec lequel je jouais de la guitare dans un groupe. Il a été fait prisonnier à Mariupol et a été récemment libéré. On a échangé un peu mais c’est compliqué d’en parler de loin, je n’ose pas poser de questions… »

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