Une dissidente forcée à l’exil porte plainte contre des anciens agents de la police secrète

Ivanka Lefeuvre, photo: Site officiel du projet Ženy v disentu / Academia

Début ce mardi à Prague d’un procès assez exceptionnel sur les pratiques mises en place par le régime communiste tchécoslovaque pour faire fuir ceux qui le gênaient. Trois anciens agents de la StB, la police secrète communiste, sont sur le banc des accusés. La victime, Ivanka Lefeuvre, née Šimková, est une signataire de la Charte 77, contrainte d’émigrer en France en 1982 après avoir subi le harcèlement et les pressions qui faisaient partie d’une stratégie bien établie par les autorités de l’époque.

Ivanka Lefeuvre,  photo: Site officiel du projet Ženy v disentu / Academia
Avant d’être le titre d’une pièce de théâtre de Václav Havel, Asanace est d’abord le nom de l’opération mise en place par les autorités communistes à la fin des années 1970 pour faire pression sur les dissidents, tant physiquement que psychologiquement, pour qu’ils finissent par accepter de quitter la Tchécoslovaquie.

Parmi les victimes de ces pratiques, Ivanka Lefeuvre et son mari de l’époque Martin Hybler ont choisi d’emmener leurs trois enfants en France. Elle avait évoqué ses souvenirs sur Radio Prague au moment de la publication du journal qu’elle a écrit à cette période :

« En liaison avec nos activités pour le respect des droits de l’Homme, mon mari et moi étions exposés à différentes formes de répression : interrogatoires, perquisitions à domicile, impossibilité de travailler comme psychologues. Notre téléphone était sous écoute, notre appartement était surveillé depuis l’immeuble d’en face, de trois endroits différents. Nous ne savions pas que, dans le cadre d’une action policière appelée Asanace (Assainissement), nous faisions partie des dissidents cibles sur lesquels la police exerçait une grande pression afin de les obliger à quitter le pays. Et toutes les méthodes de pression, morales, psychologiques mais aussi physiques, étaient permises. On n’en parle pas assez, mais il y a vraiment eu une période durant laquelle les violences physiques commises par la StB se sont multipliées. J’ai été affectée tout particulièrement par la situation de mon amie Zina Freundová, qui a été agressée chez elle en octobre 1981. Suite à cela, nous avons commencé à envisager un départ de Tchécoslovaquie. Ce n’était pas par peur de se retrouver en prison, mais par crainte pour nos propres vies. Des menaces de mort ont d’ailleurs été proférées par des policiers contre mon mari. Finalement, nous avons déposé une demande pour partir et nous avons quitté le pays avec l’accord des autorités tchèques de l’époque. »

Au cours du procès qui commence cette semaine à Prague, Ivanka Lefeuvre sera représentée par l’historien Petr Blažek, de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires (ÚSTR):

Petr Blažek,  photo: Martina Schneibergová
« Je pense que l’opération Asanace figure parmi les pires tactiques du régime communiste contre ses opposants dans les années 1970 et 1980. Les méthodes violentes étaient courantes pour persuader les gens de partir. Ils étaient emmenés dans la forêt ou battus pendant les interrogatoires. Les femmes étaient agressées la nuit à leur domicile ou dans la rue. Les cibles étaient privées de leur nationalité après un procès qu’elles devaient payer elles-mêmes. On les forçait aussi à payer pour leurs anciennes années d’études. Souvent les gens ont dû vendre leurs biens à perte et ne pouvaient partir qu’avec un nombre de choses limité. »

Selon Petr Blažek, ces pratiques de la StB sont très bien documentées dans les archives, qui permettent de mettre en évidence le rôle des trois agents soupçonnés aujourd’hui d’abus d’autorité par une personne dépositaire de l’autorité publique.

Interrogé la semaine dernière par Deník N, l’un des trois accusés a indiqué ne se souvenir de rien à part du fait qu’il a toujours obéi aux ordres de sa hiérarchie.