Věra Jourová, l’eurocommissaire tchèque qui gêne la Russie
Věra Jourová ne passera pas ses prochaines vacances en Russie. La vice-présidente tchèque de la Commission européenne, où elle est chargée des valeurs et de la transparence, fait partie des huit responsables européens qui ont été interdits d’entrée sur son territoire, vendredi. Une décision de Moscou dont se félictie presque Věra Jourová, alors que son travail à Bruxelles est régulièrement mis en avant ces dernières années.
A travers cette décision, la diplomatie russe réagit aux restrictions – « unilatérales » et « illégitimes » à ses yeux – adoptées par l’Union européenne (UE) en mars dernier et qui visent quatre hauts responsables russes responsables - cette fois aux yeux de Bruxelles – de graves violations des droits de l’homme, dans le cadre des procédures judiciaires contre l’opposant Alexeï Navalny ou de la répression de la liberté de réunion pacifique.
Parmi les dirigeants européens sanctionnées figure notamment le président du Parlement européen David Sassoli. Mais aussi donc Věra Jourová qui, dans un entretien accordé à la Radio tchèque samedi matin, a expliqué pourquoi la décision des autorités russes ne l’avait pas prise de court :
« Je ne prévoyais pas de me rendre prochainement en Russie. Je pense que, comme chaque année, je vais passer les vacances d’été dans la région de Vysočina que j’aime tant. Cette décision ne chamboule donc certainement pas mes plans. »
La semaine dernière, un peu plus de deux semaines après que le Premier ministre Andrej Babiš a accusé des agents secrets russes d’avoir orchestré les explosions d’un dépôt de munitions à Vrbětice en 2014, et après les expulsions réciproques de diplomates qui s’en sont suivies, la Russie a placé la République tchèque sur sa liste des pays considérés comme hostiles. Aux côtés des Etats-Unis, de l’Ukraine, de la Pologne, des Pays baltes ou encore du Royaume-Uni.
Si, selon la commissaire tchèque, il existe donc probablement une relation de cause à effet, sa présence sur la liste des huit personnalités européennes sanctionnées par la Russie ne découle toutefois pas seulement de l’escalade des tensions entre Prague et Moscou :
« Je vois deux facteurs. Premièrement, le travail dont je suis chargée à la Commission. Je traite des questions relatives aux droits de l'homme, à la désinformation et partiellement à la sécurité en Europe. Ce portefeuille et mes fonctions me prédisposent en quelque sorte à être la cible de ce type de sanction. Et deuxièmement, oui, le fait que je sois tchèque et que j’aie réagi très clairement aux révélations relatives à l’affaire de Vrbětice. »
Vendredi, Věra Jourová avait d’abord réagi à l’annonce de la sanction russe en affirmant que si celle-ci était « le prix à payer pour dire la vérité sur la Russie », alors elle acceptait « bien volontiers » de le payer. De même, elle s’était dise honorée de figurer en si bonne compagnie sur cette « liste noire ». Une vision des choses qu’elle a confirmé le lendemain sur les ondes de la Radio tchèque :
« Mon travail a probablement été remarqué en Russie. Cela fait déjà un certain temps que je critique les procédés de la Russie, plus précisément les sources d’information pro-Kremlin en République tchèque et dans d’autres pays. J'ai défendu à voix haute la Pologne lorsque la Russie a lancé une campagne de désinformation contre la Pologne relative à la Deuxième Guerre mondiale. »
« Et pour ce qui est de la protection des droits de l'homme, c’est un thème sur lequel je me suis aussi déjà très clairement exprimée. Alors oui, cette sanction peut être considérée comme une forme de récompense, comme la reconnaissance de mon travail. Je me dis qu’en Russie ils ont remarqué qu’il y a ici une Jourová qui se donne du mal. »
A l’automne dernier, Věra Jourová avait déjà fait parler d’elle après avoir préféré qualifier la Hongrie cd « démocratie malade » plutôt que de « démocratie illibérale ». Une déclaration qui était mal passée à Budapest, suite à laquelle le Premier ministre Viktor Orbán avait vainement réclamé auprès de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, la démission de l’eurocommissaire tchèque.
De fil en aiguille, depuis son arrivée à Bruxelles sur la pointe des pieds en 2013 suite aux élections européennes et au bout d’un premier mandat de commissaire à la justice, aux consommateurs et à l’égalité des chances, Věra Jourová avait ainsi été désignée « femme la plus influente en République tchèque » en 2019 par le magazine Forbes. Un classement au sommet duquel elle n’a été remplacée l’année dernière que par la ministre des Finances, une Alena Schillerová autrement plus critiquée, au cœur de la crise sanitaire et économique. De même, il y a un an, le site Politico l’avait classée parmi les vingt femmes les plus influentes au sein de l’UE.
Reconnue notamment pour son travail en faveur de la protection des données personnelles et de la mise en œuvre du réglement européen en la matière, Věra Jourová l’est donc aussi aujourd’hui pour son action dans un tout autre domaine, depuis sa montée en grade dans la hiérarchie européenne. Désormais, ce n’est plus seulement en qualité de commissaire qu’elle s’exprime, mais aussi de vice-présidente de la Commission européenne. Et pour ce qui est de la Russie, elle entend bien à ce que le vent tourne et ne souffle plus seulement de l’Est et de Moscou :
« Je pense effectivement qu’il va falloir discuter de la position que l’UE entend adopter vis-à-vis de la Russie actuelle de Poutine. La question des relations avec la Russie dans leur globalité n'a pas été abordée depuis longtemps. On sait que la politique extérieure de l’UE dépend entièrement de la décision unanime de tous les États membres. Il convient donc d’en débattre et de s’interroger sur les dernières démarches, qu’il s'agisse de son attitude agressive envers l’Ukraine, de la violation des droits de l’homme à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières de la Russie, de la situation d’Alexeï Navalny. Dans ce contexte, l’affaire de Vrbětice donne une idée plus concrète encore de la manière dont la Russie est capable d’opérer sur le territoire des États souverains de l’UE. »
Et si Věra Jourová se refuse à avancer des mesures concrètes, elle envisage néanmoins le prochain Conseil européen, le 25 mai, comme une bonne occasion pour les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept de faire preuve de davantage de fermeté.
La commissaire tchèque, qui souligne également l’importance menace que les attaques russes font peser sur la cybersécurité de l’Union, a rappelé la résolution adoptée par le Parlement européen en janvier dernier. Celle-ci appelait à un renforcement significatif des sanctions de l’UE vis-à-vis de la Russie.
Concrètement : sanctionner les responsables russes impliqués dans la décision d’emprisonner Alexeï Navalny ainsi que le cercle rapproché de Vladimir Poutine, interdire de séjour sur le territoire de l’UE les fortunes russes d’origine opaque ou encore stopper les travaux pour l’achèvement du gazoduc controversé Nord Stream 2.