Věra Jourová parmi les personnalités influentes de l’UE
Depuis près de dix ans, Věra Jourová fait partie des Tchèques les plus connus à Bruxelles.
En 2019, l’ancienne ministre du Développement régional et euro-commissaire, qui est aujourd’hui vice-présidente de la Commission européenne, s’est retrouvée, en tant que première personnalité tchèque, au classement des cent personnalités les plus influentes, établi par le magazine américain TIME. Pourtant, c’est pleine de doutes qu’elle a fait ses débuts à l’organe exécutif de l’UE, car le portefeuille qui lui avait été attribué ne lui convenait pas.
C’est à Věra Jourová que nous consacrons ce nouvel épisode de notre série sur les traces des Tchèques en Europe, réalisée à l’occasion des élections européennes de ce mois de juin. Pour parler d’elle, nous avons invité quelqu’un qui l’a bien connue : Viktor Daněk, directeur adjoint de l’Institut EUROPEUM et ancien correspondant de la Radio tchèque à Bruxelles.
Věra Jourová : « C’était assez incroyable pour moi, parce que je n’ai pas l’impression d’être particulièrement influente ni importante. Je reste une femme normale. Mais cela m’a fait plaisir, et cela constitue une reconnaissance du travail réalisé non seulement par moi-même, mais aussi par mon équipe. J’essayerai de m’en servir le plus habilement possible. »
Viktor Daněk, selon vous, quelle a été l’effet du prix décerné par le magazine TIME ? Et Věra Jourová a-t-elle vraiment une influence mondiale ?
Viktor Daněk : « À Bruxelles, de nombreuses personnes aiment affirmer que les réglementations européennes ont une portée mondiale. Ce n’est pas toujours vrai. Néanmoins, l’UE est effectivement leader dans le domaine de la protection des utilisateurs d’Internet. Le règlement général sur la protection des données, connu sous le sigle RGPD, a joué un rôle essentiel dans cette position. Ce n’est pas Věra Jourová qui en est à l’origine : elle est montée dans un train en marche. Néanmoins, elle est parvenue à imposer cette législation après des négociations particulièrement difficiles, et elle a réussi à convaincre de son urgence même les géants américains des technologies, qui y étaient pourtant opposés et qui, pour s’en défendre, envoyaient à Bruxelles des armées de lobbyistes. Le RGPD a donné naissance au droit à l’oubli, au droit d’être averti en cas de fuite de données ou encore au droit de refuser l’utilisation de données personnelles. »
« Nous avons promis aux citoyens un meilleur contrôle des informations les concernant, et nous leur avons donné plus de pouvoir pour traiter avec les entreprises qui font mauvais usage de ces informations. À cette fin, nous travaillons ardemment à la sensibilisation des citoyens à leurs droits. »
C’est ainsi que Věra Jourová en parlait, et ce alors qu’il ne s’agissait pas de « sa » législation, comme nous l’avons déjà dit. Mais quelle y a été sa contribution, qui lui a ensuite valu une reconnaissance internationale ?
V. D. : « Věra Jourová a mis à profit son expérience du régime communiste, l’expérience d’une personne particulièrement sensible aux atteintes à la vie privée. Et elle n’a pas hésité à se rendre dans la Silicon Valley pour affronter en personne les dirigeants des entreprises des technologies. Au final, même ceux qui y étaient à l’origine les plus farouchement opposés ont fini par soutenir le RGPD, comme le fondateur de Facebook et chef de l’entreprise META, Mark Zuckerberg. »
Mark Zuckerberg : « Il y a plusieurs principes essentiels. Chacun doit maîtriser la situation ; l’utilisation des informations vous concernant doit être transparente ; il doit exister une responsabilité lorsque les entreprises n’en font pas bon usage. Ce sont des valeurs qui nous partageons tous. »
V. D. : « Nul autre Tchèque ne peut se prévaloir d’avoir été en contact si intensif avec les dirigeants des plus grandes entreprises technologiques du monde. Et la législation européenne en matière de protection de la vie privée a véritablement servi de modèle à une régulation américaine, par exemple. »
Věra Jourová a acquis une réputation mondiale dans un domaine dont elle ne voulait pourtant pas. Mais au fait, comment s’est-elle retrouvée avec ce portefeuille de la justice et de la protection des consommateurs ?
V. D. : « En fait, la carrière de Věra Jourová à Bruxelles est le résultat d’un concours de circonstances. En 2014, elle a été nommée candidate de compromis après de longs conflits au sein de la coalition gouvernementale sur d’autres noms. Elle aspirait au portefeuille de la politique régionale, un domaine auquel elle avait jusque-là consacré toute sa carrière. Toutefois, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, est revenu sur sa décision à la dernière minute. Ce qui fut une véritable déception pour Věra Jourová, comme elle l’avait confié dans un entretien à la Radio tchèque :
« La journée a été difficile : il m’a été attribué un portefeuille auquel je ne m’attendais pas. Je mobilise le maximum de pensées positives que j’ai en moi, et croyez-moi, j’en ai beaucoup. Mais pour répondre à votre question sur mon éventuelle déception de ne pas avoir obtenu la politique régionale, qui m’intéresse tant, alors oui, c’est une déception. »
V. D. : « Ce qui a joué un rôle dans la décision de Jean-Claude Juncker, c’était sans doute le fait que Věra Jourová avait derrière elle un mois de détention provisoire pour des fausses accusations de corruption, en conséquence desquelles elle avait ensuite étudié le droit. C’est pour cela qu’il lui a confié le domaine très sensible de la justice. En dépit de ces débuts difficiles, Věra Jourová s’est forgé une réputation que même ses liens de longue date avec Andrej Babiš n’ont pu entacher, et qui lui ont finalement valu le poste de vice-présidente de la Commission européenne. »
Outre Věra Jourová, qui sont les Tchèques influents dans l’UE ?
V. D. : « La Tchéquie souffre depuis longtemps d’un manque de personnes influentes à des postes haut placés à la Commission européenne. Néanmoins, cela semble être en train de changer. Les Tchèques se sont fait une place dans le domaine de l’énergie nucléaire, par exemple, ou encore de la défense.Parmi les Tchèques influents, on trouve par exemple Jiří Šedivý, qui est directeur général de l’Agence européenne de défense.
Et parmi les députés européens les plus influents, on citera Dita Charanzová, élue en tant que membre du mouvement ANO, mais qui a pris ses distances avec celui-ci. Par ailleurs, la réputation de la Tchéquie s’est vue largement améliorée par la dernière présidence de l’UE. Mais de cela, nous en parlerons dans un autre épisode de notre série sur les traces des Tchèques en Europe. »
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