Vice-présidente du Parti pirate : « Je suis perçue comme une politicienne radicale »

Klára Kocmanová

Députée depuis 2021, Klára Kocmanová a également été élue vice-présidente du Parti pirate aux côtés de trois autres femmes en janvier dernier. Au Parlement, elle travaille régulièrement sur les questions relatives aux droits des femmes, à la protection de l’environnement et aux droits des personnes LGBT+. Dans cet épisode de notre série consacrée aux femmes qui luttent pour l’égalité des sexes en Tchéquie, nous l’avons rencontrée pour évoquer sa carrière en tant que femme dans le milieu politique et son engagement féministe.  

Klára Kocmanová, qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager en politique, mais aussi en faveur des droits des femmes ?

« C’est assez triste à dire mais je pense que quand vous êtes une femme vous prenez très vite conscience que vous n’avez pas les mêmes droits que les hommes. Quand j’étais plus jeune, j’avais un peu conscience du harcèlement mais je n’interprétais pas ça comme un problème, je prenais ça pour de l’intérêt. Je n’ai réalisé à quel point c’était problématique que plus tard. »

« Quand j’ai commencé la politique et que je me suis retrouvée dans des pièces remplies d’hommes, j’ai pris conscience qu’au-delà du harcèlement, il y avait d’autres problèmes liés au fait que je sois une femme. Lors des discussions qui ont suivi les élections municipales à Kutná Hora, mes homologues masculins s’attendaient à ce que fasse des cafés, ou que je sois celle qui prenne les notes. Cela m’a vraiment frappée, mais c’est ce qui arrive à toutes les femmes lorsqu’elles se retrouvent seules dans une pièce pleine d’hommes, en tout cas dans la sphère politique. C’est à ce moment-là que je me suis dit que je voulais agir pour changer les choses. »

Comment et quand avez-vous pris conscience du sexisme et des violences contre les femmes dans notre société ?

Photo: Zuzana Jarolímková,  iROZHLAS.cz

« À partir du moment où j’ai commencé à me considérer comme féministe, et à en être fière, je me suis rendu compte que les inégalités femmes-hommes se manifestaient dans tous les aspects de la vie quotidienne. En ce qui concerne le travail, par exemple, les femmes doivent en faire beaucoup plus que les hommes pour se créer des opportunités. C’est d’autant plus le cas dans la politique tchèque, comme l’illustre le très faible nombre de femmes qui accèdent à des hauts postes. Or sans représentation paritaire, il est impossible d’avoir une perspective égalitaire sur les choses. C’est pour cela que j’essaye toujours de convoquer mon expérience en tant que femme pour traiter les problèmes qui me sont donnés. »

Est-ce que vous essayez de faire de la politique différemment que vos homologues masculins ?

« Oui complètement. Seules 25 % des députés sont des femmes, ce qui est insuffisant même si c’est le plus haut taux que nous ayons jamais eu. Tous partis politiques confondus, au début de la législature il y avait cinq ou six femmes qui essayaient comme moi d’aborder le sujet de l’égalité femmes-hommes. Nous nous sommes réunies pour en discuter et en deux ans nous avons vraiment réussi à changer un peu la manière dont les députés perçoivent et agissent en politique. Certains députés qui siègent depuis longtemps sont venus nous voir pour nous dire que la manière dont nous faisions de la politique était vraiment nouvelle pour eux. Nous en sommes fières, car en tant que femmes députées nous travaillons vraiment main dans la main. »

Parce que vous trouvez qu’il est difficile de travailler avec les hommes députés sur les sujets tels que le féminisme, l’égalité des droits ?

La Chambre des députés | Photo: Michaela Danelová,  ČRo

« Ça l’est au début. Il faut expliquer beaucoup de choses, montrer aux hommes que leurs vies sont aussi affectées de manière négative par le patriarcat. Nous fournissons des données, nous discutons avec eux de ces sujets pendant de longs mois pour les convaincre qu’il est important de s’en emparer. Et parfois ça marche. C’est comme cela que nous parvenons à obtenir des soutiens. Mais c’est difficile, surtout pour moi parce que je suis jeune et que mon agenda politique est orienté sur des sujets qui touchent principalement les jeunes également. Je suis perçue comme une politicienne radicale, voire même une activiste. Malgré cela nous arrivons souvent à trouver un terrain d’entente, d’autant plus quand d’autres femmes députées se joignent à moi. »

Vous essayez de porter l’enjeu du féminisme au sein du Parlement, mais également au sein de la population, notamment auprès des jeunes via vos réseaux sociaux…

« J’essaye de normaliser le féminisme. Il y a deux ans un journal tchèque a demandé à tous les parlementaires s’ils se revendiquaient féministes ou non. Nous étions très peu à avoir répondu positivement, la plupart des députés ayant répondu non ou s’étant tout simplement abstenus de répondre. Je pense qu’ils avaient peur que cela soit mal perçu par les électeurs, que ça les décrédibilise. Aujourd’hui c’est l’inverse, la plupart d’entre eux répondraient qu’ils sont féministes et fiers de l’être. C’est devenu quelque chose de beaucoup plus normal qu’auparavant de discuter de féminisme et d’égalité dans la société tchèque, même si cela prend du temps. »

« J’ai réalisé récemment qu’il ne suffisait pas de soutenir les femmes, mais qu’il fallait également convaincre les hommes de rejoindre le mouvement pour avancer. J’essaye d’utiliser mes réseaux sociaux pour sensibiliser la population, parce qu’en Tchéquie le féminisme est encore mal compris. La cause féministe est parfois perçue comme un mouvement de domination des femmes sur les hommes, ce qui n’est pas le cas. Il faut beaucoup de patience pour expliquer cela sans cesse, mais je pense que la société a vraiment besoin d’évoluer sur le sujet. »

La politique reste le domaine des hommes en Tchéquie et nombreuses sont les femmes politiques qui déplorent les remarques, les comportements dont elles sont victimes et qui sont autant d’obstacles à leur ascension. Est-ce que vous-même avez rencontré, et rencontrez peut-être encore, des difficultés dans votre carrière politique parce que vous êtes une femme, et si oui lesquels ?

« Je dois dire que j’ai eu beaucoup de chance, et que le fait de ne pas avoir d’enfants est un avantage pour ma carrière. J’ai évidemment subi beaucoup de discours de haine sur les réseaux sociaux, mais j’ai toujours aussi rencontré du soutien dans ma carrière, parce que je suis membre du Parti pirate, qui accorde beaucoup d’importance à l’égalité femmes-hommes.  C’est le parti qui m’a demandé de faire campagne pour les élections municipales et législatives, je n’ai pas eu à lutter pour présenter ma candidature. »

« Même si la participation des femmes est encouragée dans notre parti, les femmes qui en font partie doivent quand même surmonter certains obstacles. Par exemple si elles ont des enfants, elles ne peuvent pas être présentes à tous les meetings, ce qui leur fait manquer certaines opportunités et cela représente une perte de visibilité auprès des électeurs. Nous essayons d’améliorer les choses, en faisant toujours en sorte d’avoir un endroit pour les enfants lorsque nous organisons des événements. Récemment nous avons pu nous féliciter d’avoir élu quatre femmes aux postes de vice-présidente, alors que jusqu’à présent ces postes étaient majoritairement occupés par des hommes. Pour les élections européennes, nous sommes également très fiers d’avoir 13 femmes qui figurent sur notre liste, sur 28 noms au total. »

Markéta Gregorová,  Jana Holomčík Leitnerová,  Klára Kocmanová,  Ivan Bartoš et Dominika Poživilová Michailidu | Photo: Zuzana Jarolímková,  iROZHLAS.cz

Vous montrez bien comment votre parti encourage la participation politique des femmes, est-ce que vous pensez qu’il faudrait obliger tous les partis à faire de même, à travers des lois, des quotas, des listes alternées ?

« Nous en avons discuté au sein du parti en vue des élections européennes et nous avons décidé de ne pas instaurer ce type de mesures à notre échelle. Néanmoins je pense qu’il faudrait effectivement adopter des règles qui vont dans ce sens à l’échelle du pays, afin de ne pas attendre une centaine d’années supplémentaires pour que les femmes soient autant représentées que les hommes. Mais c’est un sujet très sensible ici donc je ne pense pas que ce soit possible pour le moment, même si on peut espérer que d’autres partis agissent en faveur d’une égale représentation des femmes et des hommes. »

Le Parti pirate est un des plus féminisés du paysage politique tchèque. Est-ce que vous considérez cela comme une force, et est-ce que vous pensez que cela a un impact sur la manière dont fonctionne le parti ?

« Nous avons l’avantage d’être un parti moins compétitif que les autres. Peu importe votre âge, votre genre ou votre métier vous pouvez être candidat pour le parti, parce que nous organisons des primaires avant chaque élection. Dans les autres partis candidater pour une élection est une forme de récompense, il y a donc très peu de femmes qui se voient proposer la place de candidat. Aujourd’hui cela évolue un peu, parce que c’est mal vu de n’avoir que des hommes en tête d’affiche, donc les partis font des efforts. »

Selon vous est-ce que le Parlement et le gouvernement tchèques en font assez sur les questions d’égalité de genre ?

« Nous en faisons beaucoup plus qu’auparavant, pour la première fois, nous avons une commission sur les violences sexuelles et domestiques. Mais le ministère dédié aux Droits de l’homme a quant à lui disparu en 2017, ce qui est vraiment un problème.  Plus généralement je dirais que nous progressons au gré des avancées successives plus que de manière vraiment continue et systémique. »

Vous-même travaillez à la commission des violences sexuelles et domestiques, est-ce que vous pouvez nous parler de son rôle et de son fonctionnement ?

« Comme la commission existe pour la première fois, nous avons commencé par établir nos priorités, à commencer par le changement de la définition du viol dans la loi. Nous avons réussi à faire voter ce texte, et désormais nous travaillons sur la cyber-criminalité et les discours haineux. Ce qui fait notre force, c’est qu’au sein de cette commission nous parvenons à travailler tous ensemble, peu importe que nous fassions partie de la coalition ou de l’opposition. Nous sommes tous convaincus que ces sujets doivent être traités, et cela passe avant nos différences politiques. »