En Tchéquie, l’industrie de l’armement ne connaît (presque) pas la crise
Conséquence de la guerre en Ukraine, mais aussi de la bonne santé du secteur depuis plusieurs années déjà, l’industrie de l’armement tourne à plein en Tchéquie. La hausse conséquente de la demande en matériel militaire ne va pas sans problèmes, en lien avec les prix de l’énergie et un manque de main d’œuvre.
Depuis 2016, dernière année record de ventes d’armes de la République tchèque à l’étranger (18,2 milliards de couronnes, soit près de 700 millions d’euros), le curseur était certes redescendu, mais jamais en-dessous des plus hautes valeurs précédant cette date.
Tout ceci est toutefois largement balayé par les chiffres pour l’année 2022 qui, s’ils ne sont pas encore définitifs, donnent une bonne idée du véritable boom dans le secteur, en lien avec la guerre en Ukraine : rien qu’au cours du premier semestre de l’année dernière, les usines tchèques d’armement ont exporté pour 13 milliards de couronnes d’armes et d’équipements. Pour l’ensemble de l’année, ce chiffre devrait atteindre entre 25 et 30 milliards de couronnes, selon Jiří Hynek qui dirige l’Association de l’industrie d’armement et de défense.
Car la demande est exponentielle pour les quelque 250 entreprises du secteur qui tournent à plein, avec un accent particulier sur les chars, les lance-roquettes et les véhicules de combat d’infanterie :
« Nous étions certes déjà bien chargés avant la guerre, mais aujourd’hui le volume de la demande et des commandes est plusieurs fois supérieur. Nous devons d’ailleurs reporter des projets pour d’autres clients qui ont accepté notre demande et nous donnons la priorité aux besoins de l’armée ukrainienne, » explique Andrej Čírtek, porte-parole de Czechoslovak Group, cette même société qui sera également chargée, à terme, de compléter 48 des 52 canons automoteurs CAESAR achetés par l’armée tchèque au Français Nexter Systems.
Des véhicules de combat ainsi que des munitions de gros calibre sont également acheminés vers l’Ukraine par le groupe STV, une société basée à Prague. L’année dernière, ses ventes ont été multipliées par trois pour atteindre environ 6 milliards de CZK. David Hác, PDG du groupe STV :
« La production est configurée pour un temps de paix, quand on fournit des quantités qui répondent aux besoins des armées. Aujourd’hui, même si beaucoup d’entre nous ne veulent pas l’admettre, nous sommes en guerre. Et les impératifs de production ont été littéralement multipliés par cent. »
L’attaque de l’Ukraine par la Russie il y a près d’un an a dissipé d’une traite quelques illusions : notamment celle qui voyait une Russie désormais cantonnée à des interventions extérieures ciblées de type « novitchok » ou à des guerres d’influence via la désinformation ou des cyberattaques. L’année écoulée montre toutefois qu’il n’en est rien, comme le souligne Radka Konderlová, du ministère de la Défense :
« On pensait que cette guerre se déroulerait principalement dans le cyberespace, mais le conflit russo-ukrainien montre que les batailles se gagnent d’abord avec du matériel lourd. L’essentiel de l’aide à l’Ukraine se fait réellement sur une base commerciale et avec l’aide de l’industrie tchèque de l’armement. »
Les chiffres record de l’année écoulée dans le secteur ne doivent toutefois pas cacher un certain nombre de problèmes auxquels fait face l’industrie tchèque de l’armement : elle aussi est touchée par la pénurie et le prix élevé des matériaux, la hausse des prix de l’énergie mais aussi et surtout le manque de main d’œuvre, qu’il s’agisse d’assembleurs, de mécaniciens qualifiés ou d’informaticiens. Les sociétés tchèques misent quelque espoir dans l’emploi, au moins partiellement, de réfugiés ukrainiens désormais installés dans le pays.
En outre, suite à une rencontre en octobre dernier à Kyiv entre le Premier ministre Petr Fiala (ODS) et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, la République tchèque s’est dite prête à accueillir jusqu’à plusieurs milliers d’experts ukrainiens qui travailleront dans des usines d’armement sur des projets communs. Cet accord bilatéral prévoit notamment la réparation et la modernisation d’équipements de combat lourds à destination de l’armée ukrainienne. L’entreprise publique ukrainienne Ukroboronprom et l’agence tchèque AMOS (Agence de coopération intergouvernementale en matière de défense, ndlr) ont convenu de créer à terme des entreprises communes afin d’augmenter la production d’équipements militaires pour l’Ukraine.
Bien avant les promesses récentes – tardives diront certains – d’envois de chars légers français AMX-10RC, la Tchéquie a été le premier pays à envoyer des chars à l’Ukraine.
Parallèlement à ces envois officiels, une campagne de crowdfunding avait également rassemblé une somme impressionnante en octobre dernier pour financer un « tank pour Poutine ».
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Si pour de nombreux envois, on est allé puiser dans des réserves de matériel soviétique, la production actuelle rappelle que la Tchéquie est certes un petit pays, mais avec une très longue industrie d’armement qui remonte au XIXe siècle, et qui a perduré jusqu’à nos jours, quels que soit les régimes politiques. Pour rappel, la Tchécoslovaquie communiste qui a livré de l’armement à à peu près tout ce que l’on pouvait trouver comme groupes terroristes à l'époque et dans tous les « pays-frères » de l'URSS, était, avant 1989, le septième exportateur d’armes au monde.