Européennes : « Pas de révolution à Bruxelles, mais plutôt une évolution »
Quelques jours après la fin de ce week-end européen, tous les Etats font le point sur les résultats de ces dernières élections. Que changent-ils au niveau national ? Quelles conséquences au niveau européen ? Nous avons discuté avec le directeur adjoint de l’institut EUROPEUM, Viktor Daněk, basé à Prague.
Comment les résultats de ces élections peuvent-ils être analysés en premier lieu ?
« Si l’on regarde les résultats en Tchéquie, il y a beaucoup d’aspects intéressants. D’abord, le succès du parti d’opposition ANO, vainqueur de ces élections, comme cela était attendu. En deuxième place, la coalition Spolu avec les partis actuellement au pouvoir n’est pas trop mauvaise. Il est tout à fait courant que les élections européennes soient l’occasion pour les électeurs de punir les partis au pouvoir. Mais le plus surprenant est le succès des partis d’extrême droite et d’extrême gauche. Le succès de la coalition Přísaha a Motoristé (Serment et Automobilistes) est très choquant parce que le chef de cette coalition a eu des problèmes au cours de la campagne : on lui reproche notamment son lien avec un mouvement néo-nazi. On l’a d’ailleurs vu faire un salut nazi sur une photo et il avait une croix gammée dans sa maison comme nous avons pu le voir dans une émission en direct, donc tout cela est très troublant. »
Pourquoi cette coalition d’extrême droite a rencontré un tel succès avec plus de 10 % des suffrages ?
« Je pense que c’est la combinaison de deux phénomènes. Même si le taux de participation a été record en Tchéquie pour les Européennes, il reste toujours très bas en comparaison avec les autres pays européens. Mathématiquement parlant, il est donc plus simple pour les partis extrêmes de s’imposer dans ces élections que dans les autres scrutins. Ensuite, ce résultat est symptomatique d’un débat tchèque sur l’adhésion à l’Union européenne très compliqué. Durant cette campagne, même les principaux partis ont décrit le Green Deal comme une mauvaise chose pour l’Europe. Si même les partis modérés s’insurgent autant sur des mesures européennes, pourquoi les électeurs devraient-ils voter pour des partis qui ont, en réponse, des positions modérées ? Face à des critiques sur l’Union européenne légitimées par les partis modérés, les électeurs choisissent quelqu’un avec des positions dures. C’était précisément le cas pour la coalition Přísaha a Motoristé. Ils ont été très stricts sur le Green Deal et leur tactique a fonctionné. »
Le Premier ministre Petr Fiala (ODS) a dit que ces élections étaient un reflet de l’humeur actuelle dans la société et donc que par conséquent, on devait en tirer une leçon. À quelle leçon pensait-il selon vous ?
« Je pense que la coalition Spolu, dont est issu le Premier ministre, visait plus haut au niveau des résultats. Certains sondages les avaient même donnés en tête de ce scrutin… Ce genre d’élections est censée être faite pour eux : ce sont les électeurs pro-européens qui viennent normalement voter aux Européennes, ça devait donc leur être favorable. Lorsqu’on regarde les résultats de cette coalition, ceux de la coalition STAN (Maires et Indépendants) et ceux du Parti pirate alors les résultats ne sont pas très bons. Comme je l’ai dit au début, il est tout à fait normal que les électeurs aient tendance à punir les partis au pouvoir. Cependant attention : nous avons des élections nationales dans un an et demi. Ces résultats doivent donc servir de sonnette d’alarme pour les partis au pouvoir parce qu’ils suggèrent le pire pour les prochaines élections. »
Et donc, de quelle leçon parlait le Premier ministre ?
« Je pense que les partis actuellement au pouvoir partent du principe que, même si les électeurs ne sont pas satisfaits des mesures politiques du gouvernement au cours des derniers mois et années, ils privilégieront toujours le soutien à cette coalition plutôt que de voter pour ANO, qu’ils considèrent comme une menace, un mouvement populiste. Mais nous avons vu lors de ces élections que ce sentiment n’était pas aussi fort que l’espéraient ces partis au pouvoir. Je dirais donc qu’un aspect positif a manqué dans la campagne - et je pense que c'est la leçon qu'il faut en tirer. Pas assez de résultats et l’absence d’un message positif dans la campagne. Il ne suffit pas de compter sur le rejet de certains électeurs pour le mouvement ANO. »
Si nous regardons maintenant les résultats à l’échelle européenne. Que se passe-t-il dans les autres pays ? Y-a-t-il des changements majeurs ?
« Alors pas de révolution, mais plutôt une évolution je dirais. Le Parlement européen passe un peu plus à droite, mais pas autant que certaines estimations avaient prédit. Il y a certaines exceptions comme en France ou en Autriche, mais globalement, les partis traditionnels à l’échelle européenne sont toujours largement majoritaires. Je pense par exemple aux socialistes, au PPE ou à Renew, qui ont une nette majorité. Il ne devrait pas y avoir de grand changement dans les politiques européennes dans les prochaines années. Si l’on s’intéresse au soutien à l’Ukraine par exemple, les partis qui soutiennent l’Ukraine sont encore largement majoritaires. Mais ce qui est peut-être le plus inquiétant pour la suite, c’est ce que ces élections européennes peuvent présager au niveau des élections nationales, aussi bien en Autriche qu’en France. Suite aux résultats, Emmanuel Macron a décidé de convoquer des élections législatives anticipées pour pallier à ses faibles résultats et surtout au très bon score du parti nationaliste de Marine Le Pen. »
Est-ce une tendance préoccupante en Europe ?
« Je dirais que oui. Si nous devions avoir plus de dirigeants comme Viktor Orbán autour de la table du Conseil européen, cela pourrait nous causer beaucoup d’ennuis. Bien sûr, sur des sujets comme l’Ukraine c’est fondamental, mais pas seulement. Durant les cinq prochaines années, l’Europe devra affronter beaucoup de défis. Et puis l’Allemagne est beaucoup plus passive qu’avant. Elle était l’un des pays qui a donné le ton à l’intégration européenne, et cela a beaucoup changé avec le départ d’Angela Merkel et l’arrivée d’Olaf Scholz, ainsi que de sa coalition. Aujourd’hui Emmanuel Macron essaie de consolider son pouvoir après son échec aux élections européennes. Il en est à son second mandat, il était déjà affaibli et va sûrement l’être encore plus. Je pense que sa tactique est très risquée, mais que c’est aussi le seul moyen pour lui de sortir de cette crise politique et de rester fort dans le débat européen. »
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