La galerie Art brut Praha expose « ce que le cerveau humain est capable de faire »

Galerie Art brut Praha 2022

Il y a quelques mois, Radio Prague Int. avait rencontré Jaromír Typlt pour parler de sa création littéraire et poétique personnelle. Nous le retrouvons maintenant à l’occasion de l’ouverture de la galerie Art brut Praha , la première galerie d’art pragoise consacrée uniquement à cette forme d’art des personnes n’ayant reçu aucune éducation artistique, selon la définition classique du terme.

Jaromír Typlt | Photo: Apolena Typltová

Jaromír Typlt parle des artistes exposés par la petite galerie ainsi que de ceux qui ont une reconnaissance internationale. Mais tout d’abord, il explique son lien personnel avec l’art brut.

« Le premier lien, c’est peut-être ma ville de naissance, Nová Paka, où se trouve le musée du spiritisme des Monts des Géants. Y sont présentés des dessins de médiums qui sont normalement considérés comme des travaux d’art brut. La définition [de l’art brut] de Jean Dubuffet y a toujours inclus l’art médiumnique, en raison des forces cachées, du pouvoir occulte que leurs auteurs croyaient transmettre. »

En dehors des mouvements artistiques

Jean Dubuffet | Photo: Paolo Monti,  Fondo Paolo Monti,  BEIC digital library,   Civico Archivio Fotografico of Milan/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

« La définition de Jean Dubuffet est complexe, mais pour résumer, selon lui, l’art brut est l’art des personnes qui n’ont pas reçu d’éducation artistique, qui sont en dehors des mouvements artistiques, qui sont solitaires et n’attendent ni le succès, ni beaucoup d’argent pour leur art, et qui sont considérés – du point de vue de l’art officiel – comme des auteurs mineurs, des outsiders. »

« Pour ma part, avec mon intérêt pour la poésie surréaliste, bien sûr, j’éprouve également une certaine fascination pour l’art schizophrène, car les surréalistes étaient de grands admirateurs et découvreurs de l’art schizophrène. De plus, dans le cadre de mon service civil, j’ai travaillé à Fokus, à Liberec (une organisation d’aide aux personnes souffrant de maladies mentales), et j’y ai découvert plusieurs auteurs fascinants… Ainsi, petit à petit, je me suis approché du monde de l’art brut. L’une des sources de mon intérêt personnel pour l’art brut est également la déception qu’a constituée pour moi l’art contemporain. »

Vue de la première exposition à la galerie Art brut Praha | Photo: Apolena Typltová

Atelier de création joyeuse

Vous êtes le commissaire d’exposition de la galerie nouvellement ouverte Art brut Praha. Pourquoi avoir eu envie d’ouvrir une galerie spécialisée dans ce type d’art ?

Source: Ateliér radostné tvorby

« Parce qu’il n’y en avait pas d’autre ! C’est la première galerie d’art brut à Prague. La raison a été une rencontre avec une personne très intéressante : Vladimír Drábek qui a fondé il y a dix ans Ateliér radostné tvorby (« l’atelier de création joyeuse ») dans le quartier de Letná, à Prague. Il s’agit du premier atelier en Tchéquie destiné aux artistes considérés d’art brut. Y travaillent une quinzaine d’auteurs. De nombreuses expositions des travaux de cet atelier ont été organisées, mais toujours dans des espaces autres. Vladimír Drábek souhaitait donc fonder une galerie, et enfin il a trouvé un bâtiment oublié et caché à Prague : une station de gaz dans la courette d’une église. Ça a été le moment décisif pour la fondation de cette galerie. »

Jaromír Typlt et Vladimír Drábek juste avant l’ouverture de la galerie Art brut Praha | Photo: Apolena Typltová

Un petit espace d’exposition auquel on accède depuis la rue Dittrichova, derrière l’église svatý Václav, dans le deuxième arrondissement de Prague… Mais l’absence d’une galerie d’art brut à Prague n’était-elle pas étonnante, alors que plusieurs auteurs d’art brut tchèques ont une renommée internationale ? Hors micro, vous évoquiez notamment Zdeněk Košek…

Jaromír Typlt devant le panneau ouvrant l’exposition rétrospective de Zdeněk Košek à Ústí nad Labem,  septembre 2017 | Photo: Archives personnelles de Jaromír Typlt

« Zdeněk Košek est ma plus grande découverte en termes d’art brut. Il y a plus de vingt ans que je l’ai rencontré pour la première fois, mais je le connaissais en tant que peintre, car il peignait des tableaux à la Vincent van Gogh. Puis j’ai découvert ses cahiers de diagrammes météorologiques, qu’il a dessinés pendant la grande attaque de sa maladie psychique, la schizophrénie, entre 1988 et 1992. Quand j’ai vu ces cahiers, je me suis dit qu’il fallait en faire quelque chose ! Un premier catalogue a été publié, puis cela a été un coup de chance, car ce catalogue a été montré à un collectionneur d’art brut parisien, Bruno Decharme, qui s’est tout de suite enthousiasmé pour ces œuvres. Il a tourné un documentaire sur l’auteur, a acheté plusieurs de ses dessins pour sa collection d’art brut… Bruno Decharme a été très actif en Tchéquie, il a découvert beaucoup de choses ici, il a également exposé sa collection à plusieurs reprises à Prague. »

Zdeněk Košek | Source: abcd / ART BRUT collection Bruno Decharme

Zdeněk Košek, Anna Zemánková et Miroslav Tichý

« Zdeněk Košek est le troisième auteur d’art brut tchèque à avoir obtenu une reconnaissance mondiale. La plus connue est sans doute Anna Zemánková, une dessinatrice pas tout à fait médiumnique, mais très proche de cela. Et puis, bien sûr, Miroslav Tichý, dont les photographies sont une expression de l’art brut. Et il y a d’autres artistes aussi. »

Et certains d’entre eux ont été exposés même au Centre Pompidou à Paris.

Jaromír Typlt au Centre Pompidou à Paris,  en juin 2021,  devant les œuvres de Zdeněk Košek exposées dans le cadre de la collection d‘art brut | Photo: Archives personnelles de Jaromír Typlt

« Miroslav Tichý y a eu une exposition monographique [en 2008, ndlr]. Quant à Zdeněk Košek, il y a été exposé [en juin 2021] grâce à un don par Bruno Decharme d’une partie de sa collection d’art brut au Centre Pompidou. Zdeněk Košek y était exposé dans une pièce [du Centre Pompidou nouvellement dédiée à l’art brut], ce qui marque un nouveau chapitre dans la réception de l’art brut dans le contexte de l’art contemporain. »

Pour en revenir à la galerie Art brut Praha, comment choisissez-vous les artistes exposés ?

Miroslav Tichý | Photo: abcd / ART BRUT collection Bruno Decharme

« Je dois préciser que je suis de plus en plus fidèle à la définition [de l’art brut] de Jean Dubuffet, notamment ce qui concerne l’éducation artistique. Il arrive que je rencontre quelqu’un qui me dit ‘Je crois que je fais de l’art brut’, mais lorsque je vois ses dessins, il s’avère que cette personne a fait des études [d’art], et de mon point de vue, ce n’est donc pas de l’art brut. L’art brut, c’est une catégorie que je considère ‘protectrice’ pour les artistes qui ne sont pas capables de faire une carrière artistique de façon sérieuse. »

Art silencieux, discussions et performances

L’entrée de la galerie avec une citation de Josef Čapek | Photo: Apolena Typltová

« La première exposition à la galerie Art brut Praha présente les travaux des 14 auteurs de Ateliér radostné tvorby. La galerie étant une pièce unique, petite, chacun est représenté par une seule œuvre. La prochaine exposition sera l’exposition personnelle de l’un des auteurs de cet atelier, mais bien sûr, je souhaite également présenter des auteurs qui ne sont pas directement liés à l’Ateliér radostné tvorby. Et, bien sûr, j’aimerais exposer Zdeněk Košek et peut-être aussi, si possible, Anna Zemánková. Mais pour des expositions si ambitieuses, il faut préparer la galerie. »

Performance dadaïste à la galerie Art Brut Praha | Photo: Anaïs Raimbault,  Radio Prague Int.

Outre les expositions, vous offrez un ambitieux programme de présentations et conférences hebdomadaires, chaque mercredi soir.

« Bien sûr, je souhaite organiser à la galerie des conférences, lectures, présentations et discussions. Je pense qu’il faut que la galerie soit vivante, que cela ne soit pas uniquement un espace destiné aux admirateurs d’art silencieux, mais qu’il y faut une activité animée. »

Vue de la première exposition à la galerie Art brut Praha | Photo: Apolena Typltová

« Pour terminer par l’essentiel, je citerais la dernière phrase de Zdeněk Košek dans ce documentaire dont j’ai parlé : ‘Je suis très heureux qu’il y ait des admirateurs d’art comme celui-ci dans le monde, car les gens peuvent ainsi voir ce qu’est capable de faire le cerveau humain.’ »

https://www.artbrutpraha.cz/