La grâce présidentielle accordée à un condamné pour manipulation de marché public fait polémique

Miloš Balák

Le président Miloš Zeman a gracié le chef de l’administration forestière de Lány, Miloš Balák, qui avait été condamné pour manipulation d’un marché public dans la réserve forestière de Lány. Une décision polémique qui soulève critiques et inquiétudes aussi bien parmi les magistrats que parmi les membres du gouvernement et ceux de l’opposition.

La semaine dernière, le chef de l’administration forestière de Lány Miloš Balák a été définitivement condamné à trois ans de prison ferme pour manipulation d’un marché public de 200 millions de couronnes (plus de 8,1 millions d’euros) visant à sécuriser et à drainer les pentes du réservoir de Klíčava, dans la réserve de Lány, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Prague. Le verdict avait en effet été prononcé : Miloš Balák avait bel et bien favorisé le directeur de la société Energie - stavební a báňská (ESB), Libor Tkadlec, dans la préparation et l’attribution du contrat. Cependant, la grâce du condamné, annoncée mardi 29 mars 2022 par le président de la République Miloš Zeman, lui évitera non seulement de purger cette peine, mais également de payer l’amende de 1,8 million de couronnes (plus de 73 000 euros) à laquelle il a été condamné, ainsi que de passer outre l’interdiction d’exercice de quatre ans qui avait été prononcée à son encontre. Ainsi, en dépit de cette condamnation, Miloš Balák va pouvoir continuer à diriger l’administration forestière de la réserve de Lány.

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« Protectionnisme et approche sélective »

L’annonce de cette grâce a soulevé une volée de critiques de la part de plusieurs membres du gouvernement, et notamment du ministre de l’Intérieur Vít Rakušan (STAN), qui a déclaré au serveur iRozhlas.cz que « gracier un proche associé condamné pour un délit économique [était] un exemple de protectionnisme et d’approche sélective ». Vít Rakušan se dit également frappé par la rapidité avec laquelle la grâce a été accordée.

Petr Fiala | Photo: Archives du parti ODS

Le Premier ministre Petr Fiala (ODS) s’est également dit surpris par la décision de Miloš Zeman. « Je crains, compte tenu de toutes les circonstances de cette affaire, que cette mesure ne contribue pas à la confiance des citoyens dans le système juridique de ce pays », a-t-il déclaré à la télévision tchèque.

L’ancien Premier ministre Andrej Babiš (ANO) a pour sa part déclaré sur Tweeter : « Je n’ai pas du tout de bon pressentiment de la grâce accordée par le président. D’après moi, c’est une très mauvaise décision, et je suis convaincu qu’elle ne plaira pas aux gens non plus. »

Outre les personnalités politiques, les spécialistes ont également exprimé leur désaccord avec cette décision. Selon le syndicat des juges, l’octroi de la grâce au chef de l’administration forestière de Lány, Miloš Balák, constitue une remise en question de l’objectivité des tribunaux tchèques. Pour le président de l’Union des procureurs, Jan Lata, cette grâce pourrait également être interprétée comme le fait que les personnes de l’entourage du président Miloš Zeman sont tout simplement impunissables. Se refusant à plus de commentaires, la procureure générale Lenka Bradáčová s’est contentée d’un laconique : « J’en prends acte ».

« Intègre et travailleur »

Miloš Zeman a justifié la grâce de Miloš Balák par plusieurs éléments, et notamment par le fait que selon lui, c’est le lieu où travaillait le condamné, et non seulement la nature de l’infraction, qui a été déterminante dans la sévérité de la peine – une considération pourtant inconnue en droit pénal. Miloš Zeman a également souligné l’intégrité du gracié jusque-là, son caractère exceptionnellement travailleur et ses compétences professionnelles.

Dans une déclaration faite au journal Deník N, Miloš Balák a expliqué qu’il avait lui-même fait cette demande de grâce, sans l’intermédiaire du ministère de la Justice, et que lui et sa famille en étaient reconnaissants.

Vratislav Mynář | Photo: Marián Vojtek,  ČRo

L’administration forestière de Lány, que dirige Miloš Balák, est une organisation contributive du bureau du président de la République, Miloš Balák étant ainsi un subordonné du chancelier du président Vratislav Mynář. Le serveur neovlivni.cz avance même que Vratislav Mynář faisait à l’origine également partie des suspects dans l’affaire de la réserve de Lány, et que Miloš Balák l’aurait en quelque sorte couvert. En dépit de l’inculpation de ce dernier, Vratislav Mynář avait jusqu’à présent refusé de relever Miloš Balák de ses fonctions, avançant comme argument la présomption d’innocence.

Dans le même ordre d’idées, sur Seznamzpravy.cz, le commentateur Martin Čaban estime que la seule raison de cette grâce est le fait que Balák est un ami et un protégé du chancelier Vratislav Mynář, ce qui, toujours selon le commentateur, indique que la fidélité à la source du pouvoir central se voit récompensée d’une invulnérabilité face à la justice.

21 grâces et plusieurs controverses

Miloš Zeman | Photo: Bureau du Président de la République tchèque

Le cas Balák est la 21e grâce accordée par le président Miloš Zeman depuis son entrée en fonction en 2013. Le droit d’accorder des grâces est donné au président tchèque par la constitution. Cependant, au moment de sa première investiture, en 2013, Miloš Zeman avait qualifié la grâce d’élément monarchiste et exprimé son désir de modifier la constitution afin que les grâces ou les amnisties ne puissent pas faire l’objet d’abus. Il avait également déclaré qu’il n’accorderait la grâce que selon des critères strictement limités et définis par lui-même, à savoir : que le délinquant n’ait pas commis de crime grave, qu’il ait de graves problèmes de santé et qu’il ait un milieu familial stable. À plusieurs reprises, cependant, il n’a pas respecté ces principes, graciant, par exemple, le double meurtrier Jiří Kajínek, qui était condamné à la prison à vie. Une décision qui avait alors déclenché le tollé, et suite à laquelle Miloš Zeman avait annoncé qu’il ne répéterait pas une telle grâce.

Le président du Sénat, Miloš Vystrčil (ODS), se dit « non surpris » par ce changement d’avis sur le sujet du président tchèque et « effrayé » par la décision de gracier Miloš Balák. « Espérons que le prochain chef d’État reviendra aux standards que nous sommes en mesure d’espérer », a-t-il commenté. La présidente de la Chambre des députés Markéta Pekarová Adamová (TOP09) a, pour sa part, déclaré sur Twitter : « Miloš Zeman a abusé de la fonction présidentielle et contourné les principes démocratiques en graciant le chef de Lány, Miloš Balák. C’est une moquerie à l’égard de tous ceux qui respectent la loi ». Elle a conclu en disant que l’histoire viendrait impitoyablement juger Miloš Zeman.

Rédacteur de Bristké listy, Karel Dolejší estime que si Miloš Zeman s’en sort intact en graciant Balák, on peut s’attendre à ce qu’il gracie ensuite l’ancien Premier ministre Andrej Babiš, récemment inculpé pour fraude aux subventions européennes dans l’affaires du Nid de cigognes. Il conseille donc au Premier ministre Petr Fiala de prendre des mesures.

Juste avant la réunion du gouvernement, aujourd’hui, plusieurs de ses membres ont d’ailleurs déclaré à la Télévision tchèque que le gouvernement envisageait de réduire le budget du Château, en réponse à la décision de Miloš Zeman, dont ils estiment qu’elle « frise l’arbitraire ».