Les 21 – 26 août 1968, Radio Prague diffusait clandestinement ses émissions vers l’étranger
Ces chapitres de l’histoire seront une histoire des émissions clandestines de la Radio tchécoslovaque lors des premières journées d’occupation de la Tchécoslovaquie, dans la nuit du 20 au 21 août 1968. Deux heures après que les troupes étrangères aient envahi le pays, à l’insu de ses dirigeants officiels, la nation effrayée a été informée par la station Praha de ce qui se passait. Dans le courant de la matinée, les occupants avec leurs mitraillettes envahissent la maison de la radio dans la rue Vinohradská. Les émissions reprennent, un instant après, des studios de Karlín et de la rue Dykova. Les émissions internationales de Radio Prague, auto-rebaptisée Radio Prague Libre, diffusent, quant à elles, des informations sur l’invasion vers le monde entier d’un studio provisoire installé dans le quartier pragois de Nusle.
« Chers auditeurs, c’est le 5e jour de l’occupation soviétique de la Tchécoslovaquie : il était pratiquement impossible de circuler dans les rues au cours de la nuit. Des unités d’occupation ont ouvert le feu contre les voitures dans les rues de Prague, y compris les voitures de la sécurité publique et les ambulances. Il y a eu des blessés, probablement aussi des morts, mais leur nombre n’est pas encore connu. D’après les informations qui nous sont parvenues, il y a eu des mouvements de troupes considérables cette nuit. Les rues de Prague, de même que la plupart des villes tchécoslovaques, présentent une vue tout à fait spéciale : des plaques indiquant les noms des rues ont disparu de même que les numéros des maisons et les noms de leurs habitants. C’est une mesure pour rendre plus difficile le travail de la police secrète de l’occupant. Au cours de la nuit, les occupants ont arraché la plupart des affiches qui apparaissent partout dans les rues mais depuis le matin, il y en eu de nouvelles. »
Le 5e jour de l’occupation, Radio Prague Libre diffuse la déclaration officielle du gouvernement tchécoslovaque :
« Attention, nous venons de recevoir une déclaration du gouvernement tchécoslovaque, je cite : les agences officielles de quelques Etats socialistes ont annoncé que dans les rues de Prague, il y a des automobiles distribuant des armes aux contre-révolutionnaires. Le gouvernement tchécoslovaque déclare que ces informations sont fausses, et doivent servir aux occupants en tant que prétexte pour les actions contre la population. Le gouvernement annonce simultanément que la promesse donnée par les occupants au président Svoboda que les sièges des administrations centrales seront évacués et les organes du gouvernement pourront fonctionner librement n’a pas été tenue. Au contraire, d’autres centres ont été occupés tels que le ministère de l’Industrie lourde. Dans quelques endroits, les milices populaires ont été désarmées et leurs armes enlevées. Le gouvernement a donné l’ordre au ministère des Affaires étrangères de protester contre la conduite des troupes d’occupation et contre leurs activités envers les organes du gouvernement. Vous êtes à l’écoute de Radio Prague en langues étrangères. Nous continuerons nos émissions aussi longtemps que les circonstances nous le permettront. »Cela fait déjà 40 ans que les chars soviétiques ont enterré la tentative d’édifier en Tchécoslovaquie le socialisme à visage humain. Pour Helena Kartová, qui était en 1968 journaliste à Radio Prague, l’émotion reste toujours aussi forte :
« Malgré ce temps qui a tragiquement touché pratiquement la majorité de notre population, je suis toujours très émue lorsque je pense à ce qui s’est passé : du 22 août 1968 jusqu’au 26 août, c’est-à-dire jusqu’au moment où ont été signés les accords entre le président Svoboda et le dirigeant soviétique Brejnev, je faisais partie de l’équipe de Radio Prague qui avait installé des émissions soi-disant clandestines dans un appartement dans un quartier qui s’appelle Nusle, dans le 4e arrondissement de Prague. Ces moments étaient pour moi très émotionnels, car il fallait toujours s’attendre à ce que les Russes trouvent d’où on diffuse vers l’étranger, mais ils n’ont pas réussi à nous découvrir, et par ailleurs on nous a dit que si les tanks russes nous trouvaient, nous devions immédiatement abandonner l’appartement, traverser un jardin et nous, nous serions ainsi sauvés. Une fois, cela s’est produit, j’ai vite couru, j’ai quitté l’appartement dans lequel on préparait les émissions, et tout d’un coup je me suis trouvée dans un jardin où une jeune maman tenant son enfant était en train d’étendre le linge sous les rayons de soleil. Vous savez, ce paradoxe était si fort : d’un côté, le pays occupé, Prague pleine de tanks soviétiques, et de l’autre côté, ici, le calme de cette maman et de l’enfant. »La situation dans les rues de Prague était difficile. Un couvre-feu a été décrété. Helena Kartová s’en souvient :
« Ces quelques jours ont été très difficiles, parce que sur tous les ponts qui traversaient la Vltava - et j’ai été obligée de traverser ces ponts - se trouvait un soldat soviétique avec sa mitraillette qui contrôlait le pont. J’avais un camarade qui me conduisait vers un pont et ensuite, c’était mon mari qui venait me chercher vers l’autre pont. Mais une fois, il s’est passé que mon mari n’a pas pu venir, alors j’ai dû traverser seule le pont. Le soldat m’a alors demandé ce que je faisais là et où j’allais, et j’ai dit que j’allais à la maison. Je dois vous dire que j’avais tellement peur, et j’ai pensé à ce moment aux résistants antifascistes tchèques, français et autres qui faisaient partie de la coalition anti-hitlérienne, parce que je me suis dit ‘s’ils me frappent, alors je suis capable de trahir toute notre équipe’. Mais cela s’est passé relativement bien. »
Tout a changé le 26 août 1968, avec la signature des protocoles de Moscou légalisant l’occupation, poursuit Helena Kartová :« Tout a changé naturellement après la signature des traités, et c’était l’ouverture à la soi-disant normalisation. Si vous permettez, je voudrais citer, pour conclure, une phrase du philosophe allemand Jaspers qui dit que sans la purification de l’âme, la liberté pratiquement n’existe pas. Et je pense que cet événement nous a dans un certain sens purifié et je suis heureuse qu’après 20 ans d’occupation, nous ayons retrouvé la liberté perdue. »