Les églises en bois d’Ukraine : un « exceptionnel exemple d’architecture populaire » daté par des chercheurs tchèques

L’église en bois à Nyzhnia Apsha

Des chercheurs tchèques et ukrainiens ont lancé un projet de datation des églises en bois traditionnelles de l’ouest de l’Ukraine. Même si le projet a été perturbé par la guerre, le traitement des données collectées l’année dernière continue. Au micro de RPI, Tomáš Kolář, de l’université Mendel de Brno, explique la particularité de ces lieux de culte et l’utilité des travaux de dendrochronologie.

« Nos recherches ne portent pas uniquement sur les églises en bois, mais également sur d’autres bâtiments construits en bois, tels que des beffrois et des chapelles. Mais la région de la Ruthénie subcarpathique – qui comprend non seulement l’ouest de l’Ukraine, mais également le sud de la Pologne, l’est de la Slovaquie et l’est de la Roumanie – est connue principalement pour ses églises en bois. Construites du XVe au XIXe siècle, il ne s’agit pas uniquement d’églises orthodoxes, mais aussi d’églises grecques-catholiques. »

L’église en bois à Oujhorod | Photo: Irena Sochová,  Michal Rybníček

Bois et ornements peints

En collaboration avec des chercheurs ukrainiens, une équipe de l’université Mendel de Brno et de l’institut de recherche sur le changement climatique de l’Académie des sciences tchèque a concentré ses efforts sur les lieux de culte de l’ouest de l’Ukraine, autour des villes d’Oujhorod et de Moukatchevo, mais également de l’autre côté des Carpates, autour des villes de Drohobytch et d’Ivano-Frankivsk. Dans cette région, le nombre d’églises en bois serait de 800, sur les quelque 2000 églises en bois recensées en Ukraine, estime Tomáš Kolář. Il en explique la structure et leur apparence caractéristique :

Tomáš Kolář | Photo: Lesnická a dřevařská fakulta Mendelovy univerzity v Brně

« La majorité de ces églises sont des constructions en bois massif empilé, c’est-à-dire qu’elles sont construites à partir de rondins à l’horizontale. Cependant, ces murs en rondins sont lambrissés ; ainsi, de l’extérieur, ce sont des planches que l’on voit. De par leur construction utilisant uniquement le bois, ces églises ont une atmosphère vraiment particulière. L’ambiance y est peu commune, d’autant que leur intérieur est orné de peintures en quantité importante, réalisées à même les murs, et souvent très colorées. Les intérieurs de ces églises sont donc très impressionnants. »

Construites dès la première moitié du XVe siècle, ces églises en bois sont de petits bijoux du patrimoine culturel ukrainien, et elles offrent un exemple exceptionnel d’architecture populaire. A partir du XIXe siècle, cependant, ce sont des églises faites de matériaux plus modernes que l’on a vu apparaître en Ukraine. L’état des églises en bois s’est alors détérioré, et toutes n’ont pas survécu.

Églises en bois ukrainiennes... en République tchèque

Après la Première Guerre mondiale, alors que la Ruthénie subcarpathique appartenait à la Tchécoslovaquie, un groupe d’artistes et d’historiens tchèques conscient de la valeur de ces bâtiments a décidé d’en préserver certaines en les démantelant pour les transférer et les reconstruire sur le territoire tchèque. C’est ainsi que la pittoresque église Saint-Michel-de-Petřín, construite au XVIIIe siècle à Medvedovce, a été, en 1929, relocalisée sur la colline de Petřin, à Prague. On précisera en passant qu’un incendie a tristement ravagé l’édifice en octobre 2020, et que sa reconstruction n’a toujours pas commencé.

L’an dernier, l’équipe de chercheurs dont fait partie Tomáš Kolář a pu visiter une vingtaine de ces églises en bois restées en Ukraine, et ils ont pu constater qu’elles étaient globalement en bon état. Tomáš Kolář explique le déroulement des travaux des chercheurs :

L’église en bois à Deshkovytsia | Photo: Irena Sochová,  Michal Rybníček

« Lorsque nous nous rendons dans une église, nous commençons par la diviser en plusieurs sections, y compris les murs, les plafonds, le toit et le beffroi. Ensuite, il nous faut trouver les derniers cernes de croissance formés avant l’abattage de l’arbre, car c’est là que nous prélevons les échantillons. Dans certains cas, l’écorce est toujours présente. Après, nous prélevons à peu près cinq échantillons pour chacune des sections du bâtiment. Avec cela, nous sommes en mesure de dater la construction de façon très précise, à une année ou même une saison près. »

« Pour obtenir l’échantillon, nous utilisons un forage creux. Grâce à cet outil, nous pouvons obtenir une carotte de cinq millimètres de diamètre. Nous la transportons ensuite dans notre laboratoire et nous mesurons la largeur des cernes de l’arbre. Nous déterminons ensuite la série de cernes de croissance et la comparons à la chronologie afin de dater la construction. »

L’église en bois à Svaliava | Photo: Irena Sochová,  Michal Rybníček

La dendrochronologie au service de la climatologie

L’église en bois à Lokit | Photo: Irena Sochová,  Michal Rybníček

De cette façon, l’équipe de chercheurs tchèques a trouvé que si la majorité des églises analysées datait du XVIIIe siècle, la plus ancienne d’entre elles remontait au XVIe siècle. Mais quelle est l’application pratique de ces recherches dendrochronologiques ? Tomáš Kolář :

« L’avantage de la datation est que nos collègues ukrainiens connaîtrons l’âge des bâtiments et ils pourront éviter leur destruction. Mais cela peut également avoir une utilisation en climatologie. A l’avenir, nous disposerons d’une chronologie suffisamment bonne pour qu’elle puisse être utilisée pour la reconstitution du climat, par exemple. Cela signifie que nous pourrons reconstituer les conditions climatiques du passé dans la région. »

Si la guerre en Ukraine a bien évidemment perturbé la poursuite des travaux des chercheurs de l’université Mendel et de l’Académie des sciences, qui avaient prévu de se rendre cette année en Ukraine, le projet n’est pas abandonné, car le travail ne s’arrête pas au prélèvement d’échantillons – loin de là. Tomáš Kolář :

L’église en bois à Oujhorod | Photo: Irena Sochová,  Michal Rybníček

« Nous avons déjà collecté plusieurs centaines d’échantillons que nous devons maintenant traiter. Notre objectif principal est de créer une chronologie du bois, et c’est un processus sans fin, car il peut toujours être amélioré. Par ailleurs, nous ne sommes pas limités à l’Ukraine occidentale, car la dendrochronologie n’est pas limitée par les frontières politiques, heureusement. Nous pouvons donc continuer à prélever des échantillons dans l’est de la Slovaquie ou au nord-est de la Hongrie. D’une certaine manière, notre projet peut donc continuer. »