Les liaisons entre Ben Barka et la StB à nouveau au centre d’une controverse
« Le leader de l’opposition marocaine était un espion d’après les archives de la Guerre froide » : c’est sous ce titre qu’un article du Guardian britannique publié le 26 décembre a remis au centre de l’attention les liens qu’a pu entretenir Mehdi Ben Barka avec la StB tchécoslovaque. Une histoire vieille de soixante ans qui fascine toujours, au Maroc et bien au-delà.
Ce nouveau papier du supplément dominical The Observer s’appuie sur les recherches de l’historien tchèque Jan Koura, qui a pu consulter les 1500 pages du dossier Ben Barka dans les archives de Prague. Mais le quotidien rappelle que ce dossier avait déjà fait grand bruit au moment où le journaliste Petr Zidek en avait révélé les grandes lignes en 2007. Radio Prague International l’avait interrogé au moment de la publication de ses recherches dans L’Express et dans Lidové noviny :
« Ce dossier est exceptionnel parce qu'il comporte 1500 pages, ce qui est rare pour la StB. Il traite le sujet très en détail et je pense que c'est un bon document historique. »
Ces détails concernent l'évolution de la collaboration et la rémunération de Mehdi Ben Barka par la StB ?
« Oui, il n'y a pas de reçus ni de de factures mais il y a des documents qui prouvent que Ben Barka a reçu telle somme d'argent pour tel objectif. Par exemple pour aller assister à une conférence afro-asiatique. »
Ces sommes sont d'ailleurs assez peu élevées...
« Non, on peut dire que ce sont des petites sommes. Pour un voyage en Guinée, il a reçu 3500 Francs français de l'époque. »
« Pour moi, ce dossier donne une nouvelle image de ce personnage. Dans la plupart des livres qui ont été consacrés à Ben Barka, il est souvent présenté comme une victime innocente des services secrets marocains, français, américains - on parle même du Mossad israélien - et je pense qu'en lisant ce dossier on peut se faire une autre image de ce politicien. Je pense qu'il n'était pas si innocent que ça et qu'il a probablement entretenu d'autres relations de ce type. »
Avec d'autres services de renseignement ?
« Oui, je n'ai aucune preuve, il n'y en a pas dans le dossier mais je pense que le comportement de Ben Barka vis-à-vis des services tchèques et certains faits peuvent conforter cette hypothèse. »
Ces révélations ont eu un retentissement relativement important cette semaine. Quand on parle de Ben Barka en France, c'est aussi et surtout du mystère qui entoure sa disparition. Est-ce que dans le dossier des archives de la StB on apprend quelque chose de plus ?
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« Pas concrètement, mais je pense que le contenu du dossier est une raison de plus pour quiconque qui aurait voulu l'éliminer. C'est aussi une hypothèse : ses contacts avec la StB n'étaient sûrement pas ignorés par les services français ou marocains. C'était peut-être une des raisons de son élimination. »
Selon le Guardian, la thèse de la collaboration de Mehdi Ben Barka avec la StB est renforcée par d’autres dossiers récemment déclassifiés à Prague auquel Jan Koura a également eu accès pour recouper quelques informations. Et le quotidien britannique d’estimer que « ces trouvailles vont être controversées ».
C’est effectivement le cas, avec bon nombre de réactions, au Maroc et en France où vit la famille Ben Barka. Son fils Bachir a signé une tribune dans la revue XXI Orient pour s’offusquer de « la calomnie » et de la « désinformation » dont est victime son père assassiné en 1965.
« Il y a dès le départ un problème de terminologie, écrit le président de l’Institut Mehdi Ben Barka. Du point de vue de la StB — le seul présenté dans l’article de Jan Koura et repris par The Guardian —, Mehdi Ben Barka est soit une source, soit un agent. La nuance est importante : on peut être une source involontaire sans toutefois devenir un agent, tout dépend du point de vue à partir duquel on se place. Aucun des documents consultés par Koura ne lève le doute », conclut Bachir Ben Barka, qui se dit en outre « surpris de la facilité avec laquelle certains peuvent accéder à des milliers de documents, alors que, depuis 56 ans, nous avons avec notre avocat les pires difficultés à consulter ceux d’autres services de renseignement qui pourraient nous aider à connaître enfin la vérité sur le sort de Mehdi Ben Barka ».