Taizé de retour à Prague dans un contexte différent mais avec des attentes similaires à celles de 1990
A l’occasion de la 37e Rencontre européenne de jeunes de Taizé, qui se tiendra à Prague du 29 décembre au 2 janvier, Radio Prague vous propose une émission spéciale consacrée à l’événement. 25 000 pèlerins de toute l’Europe sont attendus à compter de ce lundi dans la capitale tchèque pour ce grand rassemblement œcuménique. Si l’engouement est moindre que pour la première rencontre, inoubliable pour ceux qui l’ont vécue, qui s’était tenue à Prague en 1990, un an à peine après la révolution et la chute du régime communiste, les attentes des participants et de la communauté de Taizé restent sensiblement identiques : contribuer à l’édification d’une Europe des peuples unie par l’esprit.
Ces paroles, d’étonnement certes, mais aussi et surtout de ravissement, ont été prononcées en décembre 1990 à la cathédrale Saint-Guy au Château de Prague par le Frère Roger, fondateur d’une communauté de Taizé qu’il a incarnée durant de nombreuses années. A l’époque, la Rencontre européenne de jeunes était organisée pour la première fois dans une capitale tchèque pleine encore de l’enthousiasme et de l’espérance qu’avait suscités la révolution de velours dont elle avait été le théâtre un an plus tôt. Chaque année depuis 1978, entre Noël et le Nouvel An, Taizé anime une rencontre de cinq jours dans une grande ville différente d’Europe. De tout le continent, des dizaines de milliers de jeunes, parfois jusqu’à 100 000 dans les années 1990, participent à ces étapes annuelles de ce que la communauté présente comme un « pèlerinage de confiance sur la terre ».
Et preuve, si besoin en est, que le message de réconciliation entre les différentes confessions chrétiennes transmis par Frère Roger reste toujours d’actualité, non seulement des jeunes catholiques, orthodoxes et protestants de toute l’Europe continuent de se rassembler au fil de l’année dans le petit village bourguignon de Taizé, mais la Rencontre européenne de jeunes, la 37e du nom, revient à Prague, capitale d’un pays souvent présenté comme l’un des plus athées au monde. Les Tchèques se préparent donc à accueillir, du 29 décembre au 2 janvier, quelque 25 000 jeunes, et ce depuis l’annonce faite lors de la dernière rencontre à Strasbourg par le Frère Alois, prieur de la communauté qui a succédé à Frère Roger :
« L’année prochaine, nous allons continuer notre pèlerinage à Prague. Nous sommes allés déjà une fois à Prague, mais c’était en 1990. A l’époque, la situation était très différente : c’était un an après la chute du Mur de Berlin et la révolution en Tchécoslovaquie. Maintenant, c’est peut-être plus important encore qu’à l’époque de continuer ce pèlerinage en Europe centrale et de l’Est, parce que l’enthousiasme que nous avons connu il y a vingt-quatre ans n’existe plus. Aujourd’hui, c’est plutôt du scepticisme qu’il y a pour l’Europe. »En 1990, c’est avant tout la joie de la liberté retrouvée que les 80 000 pèlerins venus à Prague avaient partagée avec leurs hôtes tchèques, comme s’en souvient Frère Alois :
« Toute la préparation avait été marquée par l’étonnement que l’on puisse, avec une Eglise meurtrie, opprimée et qui avait très peu de possibilités, dans un pays où les libertés étaient elles aussi opprimées, organiser une rencontre européenne. Trois semaines avant son début, nous avons reçu un coup de téléphone du Château de Prague nous invitant à venir, car le président allait enregistrer un message pour la rencontre européenne. Václav Havel nous a reçus dans une toute petite pièce et sa première question a été de savoir comment allait Frère Roger. Il se rappelait de l’une de ses visites à Prague sous le régime communiste. Il nous a confié qu’il était dans une église quand Frère Roger était venu à Prague. Václav Havel a enregistré un très beau message dans lequel il disait entre autres que l’Europe ne pouvait pas se construire sans une dimension spirituelle. Il remerciait tous ces jeunes qui venaient à Prague et Frère Roger d’organiser la rencontre, car cela montrait que l’Europe possédait une dimension spirituelle. »Václav Havel : « Chers jeunes amis, quand j’ai appris la nouvelle que 80 000 jeunes Européens allaient apporter à Prague le message de Taizé, message d’amour et de paix, j’ai éprouvé beaucoup d’émotion. Ainsi, notre capitale, après Paris, Rome, Londres, Barcelone, Wroclaw, et d’autres villes, retrouve sa place dans la trame spirituelle tracée par les villes avec leurs cathédrales, leurs habitants, la foi commune qui les lie. Notre époque de profonds bouleversements nous conduit à un changement complet de notre vie, y compris dans le domaine spirituel. Elle nous pousse à chercher le vrai sens de la vie, sans craindre les sacrifices que cela exige. C’est à ce moment précis que le ‘pèlerinage de confiance sur la terre’ vient nous aider à chercher et à trouver les sources de la foi et les nouvelles valeurs spirituelles perdues au cours des dizaines d’années du régime totalitaire. »
Parmi les 80 000 jeunes évoqués par l’ancien président de ce qui était encore la Tchécoslovaquie se trouvait Lucie Deffontaines, étudiante à Lille à l’époque :« A Prague, je participais à ma première rencontre de Taizé. Celle-ci avait donc d’abord le goût de la découverte. Mais elle est surtout restée la plus significative en termes de rencontres puisque c’est la plus chaleureuse que j’ai vécue. Lors des autres rencontres, je n’ai plus retrouvé l’esprit qu’il y avait cette fois-là à Prague. »
Vingt-quatre ans plus tard, Prague et plus généralement la société tchèque dans son ensemble ont bien changé. L’état d’esprit n’est plus tout à fait le même. L’euphorie du début des années 1990 retombée comme un soufflet, les Tchèques, malgré les nombreux changements qu’a connus leur pays depuis la partition de la Tchécoslovaquie jusqu’à la mort de Václav Havel en passant par l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne, apparaissent parfois un peu las spirituellement et désabusés, comme à la recherche d’un second souffle et en tous les cas certainement d’une joie renouvelée. C’est d’ailleurs ce que concède le cardinal Dominik Duka, archevêque de Prague :« Oui, je pense qu’il y a d’abord eu une grande désillusion conséquence de l’illusion non moins grande que nous nous faisions de la liberté dans la période qui a suivi la révolution, mais sans avoir conscience des responsabilités liées à cette liberté. L’héritage de la dictature communiste est réellement plus lourd et plus présent dans notre société que nous ne l’imaginions. »
Dans ce contexte, les Eglises et les chrétiens tchèques attendent beaucoup de cette rencontre avec les jeunes Européens et de l’empreinte que laissera dans leurs cœurs, mais aussi peut-être dans les esprits des non croyants majoritaires, le passage de Taizé. Car même si la communauté n’est pas aussi connue et présente qu’elle ne l’est en Pologne voisine notamment, sa place est néanmoins bien réelle dans la vie religieuse en République tchèque, des veillées de prière étant régulièrement organisées dans certaines paroisses. C’est ce que confirme Kateřina Srbková, sociologue et journaliste tchèque installée à Paris depuis quelques années. Spécialiste des questions religieuses, son mémoire de masters s’est intitulé « Taizé – révolution paisible. Un charisme raconté » :« Je pense que les liens des Tchèques avec Taizé ne sont pas très nombreux, mais ils en sont d’autant plus profonds. Depuis les années 1960, il y a certaines familles tchèques qui entretiennent des relations très proches avec la communauté, y compris auparavant avec le Frère Roger, qu’elles ont accueilli chez elles pendant le régime communiste. Ces familles organisaient également des rencontres et des prières. Parfois ces activités étaient liées à celles de l’église secrète en Tchécoslovaquie. J’ai par exemple le témoignage d’une famille qui participait à ces rencontres et qui a prié juste avant la chute du régime pour les changements politiques. Sans jouer un rôle de masse, Taizé a donc joué un rôle important dans ce sens à cette époque. Aujourd’hui, les Tchèques qui s’intéressent à Taizé sont soit des catholiques, soit des gens qui en ont entendu parler par bouche-à-oreille. Le moyen le plus courant est quand même de voir une affiche de Taizé dans les églises ou dans les aumôneries. Mais Taizé attire aussi des gens qui ne sont pas forcément croyants, pas catholiques, un peu alternatifs, à la recherche de spiritualité, qui viennent invités par leurs amis ou parfois simplement par hasard. »Les frères de Taizé ne s’en cachent d’ailleurs pas : il y a peu encore, organiser une nouvelle rencontre européenne à Prague leur semblait difficilement envisageable. Présent à Prague auprès de l’équipe à pied d’œuvre depuis septembre pour organiser le rassemblement et l’accueil des milliers de pèlerins, Frère Benoît explique quels sont les grands défis qu’il a fallu surmonter en République tchèque :
« On entendait souvent dire que les communautés chrétiennes étaient petites, que la société était très sécularisée avec des enjeux compliqués autour de la restitution pas réglée des biens aux Eglises par l’Etat. Tout cela créait un contexte qui était quand même assez complexe à envisager. On se demandait ce qu’on allait bien pouvoir faire avec nos petits moyens dans ce contexte parfois tendu entre les Eglises et la société. Au fond, on s’attendait aussi à avoir beaucoup de difficultés à impliquer des jeunes. Or, il y a de cela quelques semaines, quand nous avons eu notre rencontre avec les paroisses d’accueil au centre d’accueil à la Maison Kafka, nous avons été très surpris de voir le nombre de jeunes Pragois qui se sont engagés dans la préparation. Dans certains cas, les groupes locaux étaient constitués principalement de jeunes âgés de 16 à 24 ans. C’est là une très bonne nouvelle de notre point de vue. »Les jeunes, ce sont eux que l’on retrouve également dans la principale équipe organisatrice dont le centre de préparation est situé à deux pas de la place de la Vieille Ville. Originaire de Belfort et son agrégation de mathématiques en poche, Matthias Bertin, 25 ans, s’active depuis près de quatre mois à Prague parmi la quinzaine de volontaires en provenance de différents pays. Il explique sa motivation :
« On me l’a d’abord proposé et au début je ne voulais pas. D’une part parce que je ne parle pas tchèque, et d’autre part parce que je ne suis jamais parti aussi longtemps de mon pays, de la France. Et puis finalement je me suis rendu compte qu’il y avait vraiment besoin de quelqu’un et que c’était une expérience à tenter. Je me suis dit que j’allais découvrir quelque chose et c’est comme ça que je suis venu. Je ne le regrette pas du tout, c’est très sympathique, et pour le tchèque, j’ai appris à me débrouiller un peu. »
Parmi les découvertes faites à Prague par Matthias, le regard que les Tchèques portent sur Taizé et leur perception des rencontres européennes :
« J’ai l’impression que le lien avec Taizé est un peu différent. Pour moi en France, Taizé finalement, c’est très proche en termes de distance. J’y vais assez facilement, alors qu’ici je me rends compte quand je discute avec les gens que quand on pense Taizé, on pense beaucoup à la dernière rencontre d’il y a bientôt vingt-cinq ans. Les gens l’associent beaucoup à la chute du communisme juste avant, et pour moi c’est important, parce que je suis né à peu près exactement à ce moment-là, en octobre 1989. Je me rends compte que j’ai le même âge que cette révolution. En France, quand on parle de révolution, c’était il y a plus de deux cents ans, c’est loin. Mais là, de se dire qu’il y a une révolution encore présente pour les gens et que, dans leur esprit, la rencontre de Taizé est associée à toute cette vague de jeunes de l’Ouest et de l’Est réunis ensemble à Prague il y a vingt-cinq ans, c’est… Voilà… »« Au cours de son histoire, la communauté a souvent changé de visage : d’une communauté très simple, petite et monastique avec des bases protestantes, elle est devenue un lieu énorme de rencontres où, aujourd’hui, ce sont surtout les catholiques qui participent… »
Pour autant, au-delà de cette inoubliable rencontre de 1990 à Prague, et comme le rappelle Kateřina Srbková, qui connaît bien la communauté pour s’y être rendue à plusieurs reprises et pour y avoir consacré son mémoire de licence puis de masters de sociologie, Taizé attire les jeunes Tchèques pour les mêmes raisons que les autres Européens :
« …Mais je pense que c’est justement ça qui est beau et qui fait le charisme de Taizé : c’est une communauté qui vit de provisoire, dans l’improvisation, et c’est aussi cet aspect qui attire les jeunes. Aujourd’hui, on ne pourrait plus appeler Taizé le « Woodstock chrétien » comme dans les années 1980, mais ça reste toujours une communauté assez libérale par rapport aux activités de l’Eglise traditionnelle. L’Eglise est un peu trop rigide, trop froide pour les jeunes d’aujourd’hui, tandis que la chaleur, le mouvement de Taizé est plus attirant pour eux. »
Kateřina Srbková explique ainsi comment elle, en tant que jeune Tchèque, a découvert Taizé et la vie de la communauté :
« Cet intérêt remonte à mes années de lycée en République tchèque. C’est une communauté dont j’ai entendu parler et qui m’a attirée parce que je viens d’un pays et surtout d’une région, la Bohême centrale, très sécularisés. Il y a aussi le fait que je ne connaissais pas de gens de mon âge qui étaient croyants et allaient à l’église. L’idée d’un endroit plein de jeunes m’a donc attirée. Tout cela, c’était quelques années encore avant que je n’aille pour la première fois à Taizé. Entre-temps j’ai commencé mes études de sociologie et j’ai choisi la communauté de Taizé comme sujet de mon mémoire de licence. C’était une façon de relier un intérêt personnel à mes études. »En République tchèque, l’Eglise catholique plus particulièrement, majoritaire dans le pays malgré une présence protestante pas négligeable, souffre d’un certain déficit d’image, et pas seulement en raison de cette restitution réclamée à l’Etat de dizaines de milliards de couronnes et de centaines de propriétés confisquées sous le régime communiste. Elevés pour la plupart d’entre eux, notamment en Bohême, dans l’ignorance d’une religion chrétienne pourtant omniprésente dans leur histoire ou l’architecture de leurs villes, les Tchèques, malgré la quête spirituelle intérieure propre à chaque homme, se disent non croyants. Leur défiance, voire même leur méfiance vis-à-vis des institutions, est précisément ce qui, selon Frère Benoît, a motivé l’Eglise et le Conseil œcuménique des Eglises tchèques à vouloir organiser la rencontre européenne 2014 de Taizé à Prague :
« Je pense que le visage de l’Eglise que ces jeunes pèlerins de toute l’Europe vont donner pendant cinq jours à la fin de l’année sera beau. 25 000 chrétiens âgés de 17 à 30 ans qui viennent avec leurs sacs, leurs matelas de sol, leurs sacs de couchage, leurs sourires et leur bonne humeur, ça donne un visage rafraîchissant et encourageant de l’Eglise d’aujourd’hui. Je crois que les Tchèques sont heureux de montrer par l’accueil qu’ils vont réserver à ces pèlerins que la République tchèque, Prague en particulier, sont prêts à l’ouverture et à l’hospitalité. Bien sûr, c’est le cas dans d’autres pays aussi, mais nous avons été frappés d’entendre dans beaucoup de paroisses combien le souvenir de cette rencontre d’il y a vingt-quatre ans était encore vif. Pour beaucoup de chrétiens, c’était très significatif à l’époque, alors que le Mur de Berlin venait de tomber un an plus tôt, d’accueillir chez soi, à la maison, des jeunes de l’Ouest et de l’Est. C’était vraiment une occasion de rencontres qui a marqué et nous espérons que cet état d’esprit se retrouvera cette année. Même si nous n’avons pas encore trouvé du logement pour tous (l’interview a été réalisée le 16 décembre, il manquait alors encore des familles d’accueil pour environ 7 000 jeunes), nous pensons que cet aspect marquera encore fortement cette nouvelle rencontre européenne. »
Car si la prière, le chant, le silence, le partage de la foi chrétienne et de la confiance en une Europe unie spirituellement sont au cœur chaque année de leur programme, les rencontres européennes permettent aussi de faire l’expérience de l’hospitalité des habitants de la ville, et ce en familles autant que faire se peut. En empruntant une expression issue de l’approche humaniste mais aujourd’hui appartenant essentiellement au monde de l’économie et de la politique, on pourrait dire qu’il s’agit d’un échange gagnant-gagnant. Comme de nombreux autres jeunes qui ont vécu ne serait-ce qu’une rencontre européenne de l’intérieur, Matthias reste marqué par l’expérience de cet accueil dans les familles. Et cette année plus encore en tant qu’organisateur, il est conscient de toute son importance :« Sans cet accueil, la rencontre ne peut pas se faire. Et surtout dans les dernières semaines, nous sommes sans cesse en train de regarder nos tableaux et de vérifier le nombre de places qu’il reste encore à trouver dans les familles. Mais j’aime beaucoup me dire et me redire qu’à chaque fois que nous recevons l’accord d’une famille pour accueillir deux ou trois jeunes chez elle, c’est bien plus qu’un chiffre. Derrière, il y a surtout une rencontre de cinq jours qui va se passer entre des jeunes et des habitants de Prague et de ses environs. De toutes mes expériences ces dernières années, cela a toujours été quelque chose de magnifique. Je me souviens notamment de ma première rencontre en Pologne à Poznań, c’était ma première rencontre avec les peuples de l’Est, et c’était… Je n’avais jamais vécu un accueil aussi chaleureux avec des gens qui nous refaisaient à manger le soir, qui nous amenaient du thé… Et puis le petit-déjeuner polonais ! Il est tellement différent de celui que nous avons en France et cela m’avait beaucoup marqué aussi. »
A une dizaine de jours du début de la rencontre à Prague, les organisateurs cherchaient encore des familles d’accueil pour environ 6 000 jeunes, soit un peu moins d’un quart des participants attendus. Un chiffre qui laissait bon espoir à Frère Benoît de pouvoir héberger une très grande majorité des pèlerins dans des familles tchèques, un pari qui n’était pourtant pas gagné d’avance selon lui :« Sans doute ne sommes-nous pas assez connus pour que les gens, surtout ceux qui sont loin de l’Eglise, se disent spontanément ‘tiens, après Noël nous allons ouvrir notre maison pour des jeunes que nous ne connaissons pas’. Quand on y réfléchit un peu, en réalité ce que l’on demande à ces familles d’accueil ou aux personnes âgées est tout simplement incroyable. Bien sûr, le contexte joue sans doute beaucoup. En même temps, nous, au fond, nous soucions peu de savoir si les choses se font au nom de Taizé ou pas. Ce que nous aimerions dire aux familles ou aux personnes qui hésitent, c’est que ces jeunes viennent avec de la bonne volonté et un cœur ouvert. Ils sont bienveillants et il ne faut pas s’attendre à de mauvaises surprises. Nous faisons vraiment confiance aux responsables de groupes qui préparent ces jeunes. Après, que ce soit Taizé qui l’organise… Bien sûr, c’est notre vie, nous sommes donc très heureux de le vivre et que tout cela se fasse en notre nom. Mais ce n’est pas ce qui importe le plus. Ce qui importe, c’est la multitude de rencontres et peut-être même d’amitiés durables qui vont se nouer. Récemment, je parlais avec des jeunes qui ont toujours des contacts avec leurs familles d’accueil cinq ou six ans après les rencontres auxquelles ils ont participé. Au fond, même si les jeunes ne connaissent pas beaucoup la communauté de Taizé et ne sont pas venus dans notre petit village en France, ou si les familles d’accueil ne sont pas chrétiennes, cela n’empêche pas que la rencontre soit possible, et c’est quand même un très beau message à faire passer : on peut être très différents et pourtant se rencontrer. »
« Très différents » dans un certain sens, c’est ce que sont depuis de longs mois déjà Ukrainiens, Russes ou encore Biélorusses. Malgré les tensions entre leurs deux pays pour certains d’entre eux, malgré la dictature qui les oppresse pour d’autres, ils seront quelques milliers à partager ensemble les temps de prière à Prague, confirmant ainsi une nouvelle fois que les rencontres de Taizé, au-delà de leur atmosphère de fête entre Noël et le Nouvel An, ont bien des retombées concrètes. Porteuses de valeurs comme la paix et la réconciliation entre les différentes Eglises et les peuples, ces rencontres ne se réclament pas européennes et œcuméniques uniquement du fait de la participation de jeunes chrétiens de tout le continent. Vingt-cinq ans après la chute des régimes communistes dans de nombreux pays d’Europe centrale et de l’Est, le dialogue demeure une priorité pour la communauté de Taizé, comme le confirme Frère Benoît :« Nous sommes très frappés que plus de 2 000 Ukrainiens et plus de 1 000 Biélorusses se préparent à venir à Prague. Cela révèle chez eux un grand désir d’aller à la rencontre d’une part des chrétiens et des habitants de Prague, mais aussi des jeunes de l’Europe de l’Ouest. Le fait qu’ils puissent à l’occasion de cette rencontre dialoguer avec des jeunes de Russie, qui seront aussi quelques centaines, est bien entendu très important. Dans le contexte actuel, toutes les occasions de partage, de rencontre et de dialogue sont particulièrement importantes. Et il faut les saisir ! Nous n’allons pas organiser une rencontre particulière dans le cadre du programme parce que les tensions sont tellement grandes, les blessures encore très vives et les questions pas réglées. Cela n’aurait donc pas beaucoup de sens de dire officiellement qu’il faille nous parler. Ce n’est pas là notre rôle. En revanche, que dans la même paroisse ou dans le même quartier, des jeunes de ces différents pays puissent prier ensemble, partager dans les petits groupes d’échange du matin, prendre un repas dans la même famille d’accueil éventuellement, tout cela va forcément leur permettre de dépasser les conflits actuels, les rancœurs, les préjugés et les difficultés pour se rappeler que, au fond, il y a des deux côtés des gens qui cherchent la paix. C’est le message que nous voudrions faire passer : que la réconciliation et la paix commencent au-dedans de nous. Si nous n’avons pas d’amis ou si nous ne connaissons pas la réalité de ‘l’autre côté’, c’est très difficile d’être porteur de paix pour une situation bloquée. Nous n’allons pas le mettre au cœur du programme de la rencontre, mais nous espérons beaucoup que des dialogues, éventuellement des amitiés, puissent se nouer tout au long de ces cinq jours. »
Malgré un contexte qui a bien évolué depuis, comme en 1990 déjà, les attentes autour de cette deuxième rencontre européenne de jeunes de Taizé à Prague restent donc finalement inchangées. Tous, pèlerins d’une Europe qui ne se veut plus ni d’Est ni d’Ouest mais unie, viendront une nouvelle fois chercher la confirmation que les valeurs qui leur sont chères le sont aussi pour d’autres, chrétiens ou non croyants. Et puis tous, comme Lucie il y a vingt-quatre ans, entendent bien repartir de Prague, exception faite du froid, avec des souvenirs plein la tête et le cœur :« Forcément les images de la nuit de l’An avec le réveillon que nous avons passé dans la rue. Je me souviens que l’animation, la convivialité et la chaleur avaient été très importantes. D’un point de vue esthétique, il me reste de belles images de la rivière traversant Prague avec le pont Charles. Et puis c’était aussi une année où il faisait très froid, et ce froid m’avait assez marquée… »