« Mrtvá trať » ou l’histoire d’un chemin de fer en Sibérie qui ne fonctionna jamais
« Mrtvá trať », ou « La voie morte », est un film documentaire du jeune réalisateur Šimon Špidla, qui part à la découverte d’un chemin de fer en Sibérie voulu par Staline et construit à la sueur des prisonniers du goulag. Il était présenté récemment en première à Prague et dans le cadre du festival de documentaires de Rotterdam.
Caméraman du film, Lukáš Hyksa détaille l’histoire de cette voie ferrée hors du commun dont les premiers travaux remontent à 1947 :
« La construction a été commencée sous Staline, malgré les avis négatifs des constructeurs et architectes qui déconseillaient vivement de construire un chemin de fer sur un terrain instable, où les conditions climatiques sont extrêmes. Le chantier a existé jusqu’à la mort de Staline et, un mois après, il a été stoppé. »La région est impropre à ce type de projet pharaonique. D’ailleurs, la voie ne sera jamais mise en service : elle est construite sur du permafrost, un terrain au sous-sol gelé en permanence et auquel, l’été, les marais rendent l’accès quasi inaccessible. Les membres de l’expédition tchèque de 2009 ont de la chance : l’été est étonnamment sec, mais tout comme les ouvriers autrefois, tous prisonniers du goulag, ils souffrent de l’omniprésence des moustiques et de moucherons. Lukáš Hyksa évoque ces prisonniers chargés de construire la voie :
« C’étaient des prisonniers politiques transférés de toute la Russie. Ceux qui ont survécu sont restés dans la région. Ils étaient en isolation et ne pouvaient rentrer ni à Moscou ni à Saint-Pétersbourg. La plupart étaient issus de l’élite artistique : ils organisaient des pièces de théâtre, des concerts… Nous avons retrouvé d’ailleurs des restes d’une salle de cinéma. D’après le témoignage d’un ancien gardien du goulag, chargé d’événements culturels, il apprenait beaucoup de ces gens-là, tous acteurs, écrivains, qui bien entendu étaient mélangés avec des criminels selon le principe du goulag. » Le film de Šimon Špidla retrace de manière atypique l’histoire de ces prisonniers et de cette « voie ferrée morte » : des plans longs et une bande son lancinante que seules des incrustations expliquant le jargon du goulag nécessaire à la survie des prisonniers viennent interrompre. La forme a de quoi dérouter le spectateur. Šimon Špidla s’explique sur ce style méditatif :« Quand on doit représenter quelque chose qui s’est déroulé dans le passé, ce qui est le cas ici, puisqu’on parle des années 1940-1950, on ne peut pas le filmer puisque ça s’est déroulé. J’ai donc choisi de privilégier l’imagination : le récit et les témoignages se déroulent en arrière-plan de la longue traversée le long du fleuve Ienisseï. C’est la raison de ce tempo lent. Ensuite, une grande partie du film est tournée sur le fleuve parce que cela donne la mesure de l’éloignement du goulag et de la voie ferrée. Nous avons mis quatre jours pour y arriver. A l’époque, les prisonniers avaient mis deux semaines. Cet éloignement montre déjà le côté absolu de l’emprisonnement. Si on arrivait au bout du voyage, en vie de surcroît, on savait qu’on n’en sortirait pas autrement que par une voie officielle. »Lukáš Hyksa évoque lui aussi la forme du film :
« Je dirais que ce film, c’est de la poésie en images. C’est le style de Simon, qui travaille de cette façon. Beaucoup de gens s’attendaient à voir un film qui apporte beaucoup d’informations sur ce chemin de fer perdu en Sibérie. Je dirais que c’est le point de vue d’un voyageur qui a été transporté dans un camp dans cette zone-là. »Le film « Mrtvá trať » sera très bientôt en compétition dans le cadre du Festival du documentaire de Wiesbaden.