L’hebdomadaire Týden : « L’histoire du partisan Sasha »
"L’histoire du partisan Sasha". L’article qui est paru sous ce titre dans la dernière édition de l’hebdomadaire Tyden, porte un regard décapant sur Alexander Dubček qui, pour beaucoup, demeure un des symboles du Printemps de Prague, dont nous allons commémorer l’écrasement il y a 40 ans dans trois semaines.
« Les admirateurs de Dubcek ont cru – et pas mal d’entre eux le croient encore aujourd’hui – que c’était un homme sincère renouant avec les traditions humanistes du pays et qui cherchait, dans la mesure du possible, à améliorer le monde… Pour d’autres en revanche, il était une figure tragique, un triste chevalier, un partisan qui a préparé le terrain à Gustáv Husák, un bolchévique qui a eu peur de son ombre… Plus encore : un cheval de Troie de Moscou ».
Rappelons certains chapitres clés de la biographie de Dubček :
En 1925, il a quatre ans, quand sa famille quitte le pays, avec des dizaines d’autres Tchécoslovaques, et s’installe en Kirghizie dans le cadre de l’initiative Interhelpo, pour donner un coup de main à l’URSS en construction. De retour en Slovaquie, il devient à 18 ans membre du Parti communiste. Il est blessé pendant l’Insurrection nationale slovaque, son frère y trouve la mort, son père est fait prisonnier et envoyé à Mauthausen.Après le coup d’Etat communiste de 1948, il entame une carrière au sein du Parti. Rien ne peut alors faire fléchir sa conviction communiste : ni les répresailles, dont il a été le témoin en Union soviétique, ni celles dans les années cinquante en Tchécoslovaquie. Le fait que son oncle se suicide après avoir vu sa petite entreprise nationalisée n’y change rien non plus… Au milieu des années 1950, Alexander Dubček étudie pendant trois ans à l’Université d’études politiques à Moscou et son ascension politique est désormais irrésistible. Il est élu à la tête des communistes slovaques… En janvier 1968, il devient le numéro un du pays, après avoir été élu premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque. Le fameux Printemps de Prague, le temps du dégel et de l’espoir, peut commencer.
Ecoutons comment le phénomène du Printemps de Prague a été caractérisé, lors d’une récente visite à Prague par l’un de ses protagonistes, Antonin Liehm, journaliste et écrivain qui vit aujourd’hui en France.« C’était la fin d’un mouvement qui a duré dix ans. Je crois que ces dix années ont changé beaucoup de choses même pour les mentalités de la période d’après. C’était une tentative d’ouvrir les fenêtres et les portes ce qui a finalement réussi. Et, au moment où cela a réussi, l’armée soviétique est intervenue. Ce n’était pas une tentative de changer complètement le système, parce que ce n’était pas possible, c’était en pleine guerre froide, et sans une guerre ce n’était pas possible, ce n’était pas envisageable, mais c’était une tentative de changer plein de choses.“
« La nation était en pleine euphorie. La censure officielle avait disparu. On pouvait voyager en Occident. De nouvelles initiatives civiques ont vu le jour, dont le Club des sans-parti engagés. Ota Šik préparait des réformes économiques. Le jour du centenaire de la fondation du Théâtre national, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur la colline de Říp, lieu symbolique de l’histoire nationale. » C’est en ces termes que l’hebdomadaire Tyden évoque l’atmosphère du printemps 1968 qui a été brusquement et brutalement interrompue, le 21 août, par l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie.« Que se serait-il passé si les Russes n’étaient pas arrivés ? Jusqu’où Alexander Dubček aurait-il voulu aller, aurait-il accepté le pluralisme politique ? s’interroge Hubert Maxa, un des collaborateurs de Dubček, pour répondre que cela aurait été fort peu probable. Et le magazine de citer l’historien Stanislav Sikora de Bratislava :
« Sa conviction communiste était trop profonde. Il n’aurait pas accepté une autre voie… Encore en mai 1968, Dubcek a déclaré : les gens qui s’opposent à la démocratie socialiste ne sont pas dignes de la démocratie, » fin de citation. Et ses fidèles en revanche de prétendre que de telles proclamations ne servaient que de trompe-l’œil vis-à-vis des Russes.Le 26 août 1968, Alexander Dubček et ses autres confrères (à l’exception du courageux František Kriegel) ont signé les « Accords de Moscou » donnant le feu vert au séjour « temporaire » dans le pays des troupes soviétiques et entamant la « normalisation » du pays.
L’hebdomadaire Tyden écrit :
« Dès lors, c’est une histoire tristounette. En avril 1969, Dubček est remplacé par Gustav Husak et accepte la fonction de président de l’Assemblée fédérale avant de devenir ambassadeur en Turquie… Le jour du premier anniversaire de l’occupation du pays, il signe la « loi de la matraque », qui permet de persécuter durement tous ceux qui s’opposeraient au régime… En août 1969, les interventions de la police et des milices populaires ont fait cinq victimes. »« Vive Dubček », crie la foule en novembre 1989 sur la place Venceslas… Le héros du Printemps de Prague monte, après vingt ans d’absence, à la tribune. Mais ses paroles, comme l’écrit l’hebdomadaire Tyden, sont « décevantes, car elles sont coupées de la réalité. »
Ses ambitions présidentielles ayant été inassouvies, il trouve pourtant une place en politique, lorsqu’il est élu président du Parlement fédéral. Une fonction assez formelle qui ne lui permet pas d’influencer considérablement les choses.Alexander Dubček est mort en 1992, à l’âge de 71 ans, deux mois avant la partition de la fédération tchécoslovaque, dans un accident de voiture sur l’autoroute reliant Prague et Bratislava. Malgré certaines hypothèses qui veulent que Dubček ait été assassiné, les enquêtes de la police ont conclu à une conduite trop rapide du chauffeur de son véhicule qui a donné lieu à un dérapage tragique.
Le magazine Tyden donne aussi la parole à l’aîné des trois fils d’Alexander Dubček qui se confie : « C’était un idéaliste, voilà pourquoi j’en suis fier. Il a eu le courage de s’engager sur une voie inédite tout en sachant que ça pourrait tourner mal. »