De Barrandov à Hollywood - comment ne pas céder aux caprices des stars et adapter James Bond au cinéma
Toute la semaine, Radio Prague vous a proposé des extraits de l'entretien réalisé avec Norbert Auerbach. Aujourd'hui, cet homme à la carrière impressionnante vit dans la capitale tchèque - Prague, la ville de son enfance, qu'il a quittée avec sa famille juste avant l'invasion allemande en 1939. Après la guerre, il a entamé une carrière longue de près d'un demi-siècle, à Hollywood. Devenu entre autres président de United Artists, Norbert Auerbach a participé à la production de plusieurs des plus grands succès cinématographiques du XXe siècle. Il a aussi côtoyé les plus grandes vedettes, mais n'en garde pas un très bon souvenir, les relations entre producteurs et acteurs étant souvent compliquées...
« Ce n'est pas facile parce que ces gens-là sont souvent très difficiles et très exigeants, et en plus très souvent entourés de gens encore plus exigeants que la star elle-même qui demandent des choses possibles et impossibles au nom de cette star...
Dans mes diverses fonctions de président, vice-président et senior vice-president, je n'avais pas trop à faire avec ces « arrangements », mais je me rappelle par exemple quand Woody Allen est arrivé une fois pour tourner à Paris. Un de ses acolytes m'a dit qu'il n'était pas content qu'on envoie une Mercedes le chercher à l'aéroport. Il voulait absloument une grande Cadillac. Je lui ai répondu que cette Mercedes était une meilleure voiture, plus chère qu'une Cadillac, 'Ne m'emmerde pas', tout simplement...A la fin, parce que toute cette histoire d'aéroport était absurde, j'ai loué un autobus et on est allé chercher Woody Allen dans un bus. On était une vingtaine dans cet autobus où on servait à boire et à manger, dans un de ces vieux autobus à plate-forme...
Mais ce n'est pas seulement pour ça que les grandes stars ne me sont pas très sympatiques. J'ai pris l'approche de mon père, comme on était entouré des stars de la Tchécoslovaquie dans l'entre-deux-guerres...
On peut citer par exemple, Adina Mandlova, Lida Baarova, Vlasta Burian...
« ... Hugo Haas, Werich et Voskovec... Nous, comme enfants, cela ne nous impressionnait pas et mon père disait toujours quand quelqu'un lui demandait : 'Ecoutez, tout ça ce sont des gens que j'engage quand j'en ai besoin'. En tout cas, il y a tellement de gens beaucoup plus importants que les stars, qui ne sont pas à mon avis de très bonne compagnie : ils veulent toujours parler d'eux - c'est très restreint, il n'y a pas de conversation générale. Naturellement il y a des exceptions, mais comme j'étais dans le métier, la tendance avec ces gens était toujours de parler de leurs affaires... Comme je dis toujours, il y a des gens beaucoup plus intéressants. J'aurais préféré rencontrer Einstein, cela m'aurait fait beaucoup plus plaisir que de rencontrer Marylin Monroe... »
Du coup, quand Robert de Niro vous appelle d'un hôtel de Tokyo pour se plaindre que sa suite est plus petite que la suite du réalisateur, vous êtes ferme...
« Je ne suis pas ferme, mais je lui dis gentiment que je ne suis pas le concierge. Je me rappelle même lui avoir demandé s'il avait vraiment mesuré la chambre, parce qu'à mon avis la différence n'était pas tellement grande... Je lui ai dit 'Fous-moi la paix, à cette heure-ci je ne peux rien faire, téléphone au concierge ! »
Vous avez eu également l'occasion de travailler avec des stars du rock'n'roll. Et on ne peut pas dire que vous gardiez le meilleur souvenir de Yoko Ono en particulier, et des Beatles en général, avec qui vous êtes parti en tourné pour la promotion du film « A Hard Day's Night »...
« J'étais à ce moment-là directeur pour l'Europe de United Artists. Les Beatles étaient déjà très populaires en Angleterre. Je ne me rappelle pas pourquoi j'ai décidé de les accompagner. J'avais un peu peur que l'organisation dans les différents pays ne soit pas capable de s'occuper de quatre garçons qui étaient très difficiles à comprendre... »
Parce qu'ils parlaient le dialecte de Liverpool ?
« Oui, le liverpoolian... Donc pour cette raison, je les ai accompagnés. En Allemagne, notre première étape, nous avions réservé un hôtel entier dans un parc, entouré de policiers, mais il n'y avait personne... Même chose ensuite en Espagne et en Italie. »
Parce qu'ils n'étaient pas encore très connus à l'époque dans ces pays...
« Ils n'étaient pas connus du tout. Quand le premier film est sorti, ça a été un succès. C'est pour ça qu'on a continué de produire leurs films. Comme je le disais, c'était très difficile de communiquer avec eux, parce qu'ils étaient habitués à l'Angleterre, n'avaient jamais visité de pays étrangers et ne parlaient aucune langue, pas même l'anglais... Ils restaient toujours collés l'un à l'autre. Toute cette situation leur faisait un peu peur, c'était un peu comme si j'étais avec quatre enfants... Mais je ne peux pas dire qu'ils étaient difficiles. Ils se laissaient guider, étaient toujours à l'heure, ne se saoûlaient pas, ne prenaient pas de drogues... C'était des garçons à ce moment-là qui étaient très sains, par rapport à d'autres gens dans ce métier. »
Avez-vous vu Casino Royal, le remake sorti récemment ?
« Oui, et d'ailleurs j'étais à Paris quand on tournait la première version de Casino Royal, avec David Niven et Peter Sellers... Là, je crois que ce Bond-là est un Bond moderne. C'est vraiment un spy-thriller adapté aux temps où les terroristes sont quelque chose dont on a souvent peur. Donc, je crois que ne pas voir Roger Moore se battre avec dix gars et s'en sortir avec les cheveux et la cravate en place, mais de voir au contraire le Bond se battre et être vraiment mourant s'adapte mieux aux temps modernes. »
Vous savez de quoi vous parlez, parce qu'on dit que c'est votre idée d'adapter les romans de Ian Fleming et les aventures du célèbre agent 007 au cinéma. Vous pouvez nous raconter d'où est venue cette idée ?
« Il y avait une conférence à Londres où on parlait des futurs films, et une des questions était quel genre de films, selon moi, aurait beaucoup de succès. A ce moment-là je lisais Dr. No... Et j'ai dit que je voyais beaucoup de succès pour les films dans ce genre-là, donc des parodies de films d'action, ou si vous voulez des films d'action avec de l'humour. De là à la production du premier Bond, il y a un long chemin... Mais c'est vrai que cette idée a été adoptée, et United Artists, société dans laquelle j'avais une importante fonction, a finalement acheté avec les producteurs Salzmann et Broccoli les droits de toutes les nouvelles de Fleming. »