La trahison de Munich

Мюнхенский сговор, фото: Bundesarchiv 183-R69173 / CC-BY-SA
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Le 29 septembre prochain, cela fera 68 ans que furent signés les accords de Munich, qui virent la France et l'Angleterre céder à Hitler le territoire dit des Sudètes, en Tchécoslovaquie. En laissant la seule démocratie d'Europe centrale à l'abandon, c'est bien la liberté en Europe qu'on s'apprêtait à enterrer. Comment comprendre l'attitude française ? Car au-delà du personnage d'Edouard Daladier, c'est bien l'opinion publique hexagonale de l'époque qui est concernée.

Neville Chamberlain et Adolf Hitler
En 1925, la France signe avec la Tchécoslovaquie le traité de Locarno, qui prévoie une aide militaire immédiate en cas d'agression allemande ou étrangère. En 1935, trois ans avant Munich, la France réitère ses engagements dans un traité d'assistance mutuelle avec l'URSS.

La Grande-Bretagne, à la différence de la France, n'est liée par aucun traité avec la Tchécoslovaquie. Le 1er ministre britannique, Neville Chamberlain, envoie, en août 1938, lord Runciman pour jouer les médiateurs entre Konrad Henlein, chef du parti nazi des Sudètes, et Prague. Une politique de conciliation qui préfigure, un mois avant, la capitulation de Munich.

Le 15 septembre, Chamberlain rencontre Hitler à Berchtesgaden et accepte l'annexion des Sudètes par l'Allemagne. Sur les conseils des chefs militaires, Daladier, en accord avec Londres, met les Tchèques devant le fait accompli, les prévenant qu'en cas de résistance, la France n'enverrait pas de soldats. 8 jours plus tard, le 29, Hitler, Mussolini, Daladier et Chamberlain signent les accords de Munich. Le 1er octobre, les troupes allemandes s'emparent des Sudètes, un terme finalement impropre puisqu'il implique que les territoires occupés appartiennent au sud de l'Allemagne. Ces territoires, ce sont en tout 85 000 kilomètres carrés, qui abritent 3 millions d'habitants.

Edouard Daladier
Né en 1884, Edouard Daladier accède à la tête du Parti radical en 1927. En 1932, il devient ministre de la Défense Nationale. Il y restera tout au long des neuf cabinets qui se succèdent en France jusqu'à 1940. Ironie de l'histoire, son premier gouvernement est constitué le 30 janvier 1933, soit le jour où Hitler accède au pouvoir. Le 7 juin 1933, Daladier prend l'initiative de signer avec l'Allemagne, l'Italie et la Grande-Bretagne, un pacte de coopération. Le projet reste lettre morte, car Hitler se retire de la Société des Nations (SDN) et décide de ne plus assister à la Conférence de Désarmement.

Daladier semble n'avoir plus de doute sur la nature réelle du régime nazi. En 1934, il réprimera avec intransigeance les manifestations d'extrême-droite à Paris, qui font croire à certains à la tentative d'un coup d'Etat de type fasciste en France. Daladier est beaucoup moins enthousiaste que Chamberlain à l'idée d'abandonner l'allié tchécoslovaque.

En réalité, il dispose d'une marge de manoeuvre fort étroite. Le Premier ministre qui a succédé au Front populaire, ne possède pas de majorité assez soudée pour imposer ses vues. Georges Bonnet, le nouveau ministre des Affaires étrangères, est partisan d'une politique de modération à l'égard de Hitler. Et il est soutenu par l'opinion publique française, qui refuse de voir le spectre de la guerre mondiale surgir à nouveau. Symbole de l'aveuglement général, on veut encore croire que Hitler bluffe.

Les Accords de Munich | Photo: Bundesarchiv,  Bild 183-R69173/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 1.0
Au-delà de la personne de Daladier, c'est bien la France - il faut le reconnaître - qui décide d'abandonner la Tchécoslovaquie à son triste sort. Rappelons que la guerre de 1914-18 avait été la plus meurtrière que l'Europe avait jamais connue et que la France avait payé un impôt du sang particulièrement lourd.

Il est d'ailleurs étonnant de constater que, dans les années 30, le pacifisme est le seul point qui fédère toutes les tendances politiques, de gauche à droite. A son retour de Munich, Daladier est accueilli en sauveur et dans l'enthousiasme général. Léon Blum lui-même devait déclarer : "Il n'y a pas une femme, pas un homme en France pour refuser à Messieurs Neville Chamberlain et Edouard Daladier leur juste tribut de gratitude". L'ancien président du Front populaire, qui s'était illustré par son combat contre le fascisme, cédait aux sirènes de la politique de l'autruche.

Pourtant, quelques personnalités commencent déjà à diffuser des idées anti-munichoises, à l'instar de Paul Reynaud, président du Conseil pendant le début de la guerre. Citons également le syndicat la CGT, qui émet des protestations après la signature des accords.

Au-delà de la peur de la guerre, c'est aussi une époque dont il faut rendre compte. En 1932 paraît "Voyage au Bout de la Nuit" de Louis-Ferdinand Céline. L'écrivain y dénonce l'absurdité de la 1ère guerre mondiale et le livre connaît un énorme succès d'édition.

En 1937-38, Céline s'en prend encore aux méfaits de la guerre dans "Bagatelles pour un massacre" et "l'Ecole des cadavres". Mais l'approche est radicalement différente. Véritables pamphlets antisémites, les deux livres dénoncent les Juifs comme des fauteurs de guerre. Le spectre d'une nouvelle apocalypse, c'est aux Juifs qu'on le doit.

Malaise : le succès ne se dément pas auprès des lecteurs ! Comment alors s'étonner qu'une partie de l'opinion publique voyant dans le Juif l'agresseur potentiel de l'Allemagne, n'hésite pas à abandonner la Tchécoslovaquie... au nom de la paix !

Pendant la guerre, le général de Gaulle annulera les accords de Munich au nom du Gouvernement provisoire français. Mais au-delà de la mesure symbolique, la trahison franco-britannique aura des répercussions concrètes sur la situation tchécoslovaque de l'après-guerre. Resté vif, le souvenir de Munich aura sans doute favorisé une certaine défiance des Tchèques à l'égard des pays occidentaux. Staline pourra en recueillir les fruits.