Le tchèque du bout de la langue : ne vous prenez pas le chou !
Si nous savons tous désormais bien que nous devrions manger cinq fruits et légumes par jour pour être en bonne santé, la langue tchèque n’avait pas attendu cette campagne de l’Organisation mondiale de la santé pour faire figurer les fruits à noyaux, les baies, les légumes-feuille, les tubercules et autres végétaux comestibles dans les phrases toutes faites, la production musicale populaire ou contemporaine et les autres expressions de la richesse linguistique. Impossible ici de tous les recenser ; néanmoins, nous vous proposons, dans ce nouvel épisode du Tchèque du bout de la langue, une sélection des fruits de notre travail.
Sucrés ou acides, frais ou secs, et même défendus : avec les fruits, il y en a pour tous les goûts. Mais pour commencer, en tchèque, il faut faire la différence entre le fruit d’un point de vue biologique, ou bien le fruit en tant qu’aliment. Ainsi, lorsqu’en tchèque on parle de l’organe végétal contenant une ou plusieurs graines, on utilise le terme « plod ». A noter que ce mot, « plod », désigne également le fœtus humain ou animal. En revanche, pour désigner un fruit d’un point de vue alimentaire, on utilise le terme « ovoce ». De ces deux termes, « ovoce » et « plod », découlent deux adjectifs au sens bien distinct : « ovocný » signifie « fruitier », pour désigner par exemple un arbre fruitier – « ovocný strom » – mais aussi « fruité » ou « au goût de fruit », comme par exemple « bonbóny s ovocnou příchutí », des « bonbons au goût fruité ». Quant à l’adjectif issu de « plod », c’est « plodný », qui signifie en français « fructueux ».
Avec le légume, c’est plus simple : il n’existe qu’un mot, à savoir « zelenina ». Un mot dont la racine – au sens linguistique du terme, entendons-nous – est assez évidente : « zelený », cela signifie « vert ». En français, d’ailleurs, l’expression « légumes verts » existe également ; sa définition varie selon les locuteurs et les époques historiques, mais ce qui est certain, c’est qu’elle désigne dans tous les cas des végétaux comestibles – et peu en importe la couleur.
A noter qu’en tchèque, aussi bien « ovoce » que « zelenina » sont des noms collectifs, à savoir des termes utilisés essentiellement au singulier, mais pour désigner un ensemble de référents. Concrètement, pour traduire « to ovoce », un neutre singulier, on dira en français « les/des fruits ». De la même façon, « ta zelenina », un féminin singulier, donc, sera traduit par « les/des légumes ».
Les deux mots tchèques signifiant « fruits », « ovoce » et « plod », s’utilisent également au sens figuré, comme en français. Ils ont alors le sens de profit, d’avantage ou d’effet retiré de quelque chose. Ainsi, « sklidit ovoce své práce » signifie « recueillir le fruit de son travail » ; « plod pilného úsilí » signifie « le fruit d’un effort assidu ».
Et après tant d’effort, on mérite bien une petite récompense – sous forme liquide, par exemple, avec de l’eau-de-vie, en tchèque « pálenka ». La plus courante étant l’eau-de-vie de prune, la « slivovice », produit, donc, de la distillation de la prune, appelée communément « švestka », mais aussi, en Moravie, « trnka » et, en Bohême et en Silésie, « slíva ». D’où le nom de la gnôle de prune : « slivovice ». Le même suffixe –ice sert d’ailleurs à former le nom des alcools forts faits à base de fruits autres que la prune, par exemple l’eau-de-vie de poire – « hruška » – est appelée « hruškovice », celle d’abricot – « meruňka » – est la « meruňkovice », celle de pomme – « jablko » – est la « jablkovice », parfois plus luxueusement appelée « kalvádos ».
Autre façon de conserver des fruits, c’est d’en faire des « kompoty ». Un mot masculin – « kompot » – trompeur pour les Français, car attention, en tchèque, il ne s’agit pas d’une purée de fruits cuits, mais plutôt de fruits au sirop. Souvent conservés en bocaux, ces morceaux de fruits cuits dans de l’eau sucrée sont – autre curiosité pour les Français – habituellement servis en accompagnement d’un plat principal salé.
Passons maintenant aux légumes, avec celui qui est sans aucun doute le plus présent dans la gastronomie tchèque : le chou – en tchèque, « zelí ». Qu’il soit blanc – « bílé zelí » – ou rouge – « červené zelí » –, cuit à la vapeur – « dušené zelí » – ou lactofermenté – « kysané zelí » – le chou est partout. C’est l’un des trois ingrédients du plat appelé familièrement « vepřo knedlo zelo », un nom fait des diminutifs des mots « porc » – « vepř », « quenelle » – « knedlík » et l’indispensable « chou » – « zelí ». Le terme « vepřo knedlo zelo » est utilisé pour désigner tout plat principal composé de ces trois ingrédients, la Sainte Trinité dans une assiette, en quelque sorte. Un plat du quotidien certainement apprécié par l’actuel président de la République Miloš Zeman, réputé pour ses penchants franchouillards. Même si sa relation avec les légumes en général est un peu particulière :
„Můj vztah k zelenině je veskrze pozitivní. Žádám ovšem, aby mezi mne a ji byl vsunut transformační mezičlánek, který se jmenuje prase.“
« Ma relation avec les légumes est entièrement positive. J’exige cependant que soit inséré entre moi et eux un intermédiaire de transformation appelé cochon. » C’est ce qu’aurait donc dit un jour Miloš Zeman, à la manière de certains Tchèques qui affirment avec ironie que le poulet est un légume.
Nul ne sait si le président tchèque mange bien ses cinq fruits et légumes par jour, mais il semble rétabli de ses récents problèmes de santé et est donc désormais « zdravý jako tuřín » – « en bonne santé comme un navet » – ou « zdravý jako řípa » – « en bonne santé comme une betterave ». Et après tout, tous les goûts sont dans la nature ! Nous ne nous permettrons donc pas de « lézt němu do zelí » – littéralement, d’ « entrer dans son chou », ce qu’on traduirait en français par « empiéter sur ses plates-bandes ».
Pas besoin de passer énormément de temps en République tchèque pour réaliser qu’un ingrédient végétal est omniprésent en cuisine : il s’agit de l’ail, en tchèque « česnek ». Cet ingrédient semble indispensable à tout plat tchèque qui se respecte ; on s’étonnera donc que la langue tchèque n’ait pas d’expression toute faite contenant ce mot.
Autre bulbe tout aussi nécessaire, c’est l’oignon – « cibule ». Et parce qu’on n’en a jamais trop, on peut le trouver non seulement dans le contenu de l’assiette, mais aussi sur la décoration de celle-ci, lorsqu’il s’agit de porcelaine dite « cibulák ». Le style « cibulák », ce sont des motifs végétaux bleu sur fond blanc originaires de la ville allemande de Meissen, qui sont apparus en Bohême à la fin du XIXe siècle. Autre objet du quotidien de nos ancêtres dont la forme d’oignon a inspiré le nom, c’est la montre-gousset, tout simplement appelée « cibule » – l’oignon.
Dans le même ton métaphorique, la forme de certains fruits et légumes en fait des synonymes idéals pour certains organes et parties du corps humain. Ainsi, comme en français, la proéminence du cou est appelée « Adamovo jablko » – la « pomme d’Adam » – ou encore « ohryzek » – le « trognon ». Une chevelure frisée et abondante sera qualifiée de « květák » – de « chou-fleur ». Des fruits peuvent désigner des organes uniquement féminins, à savoir « broskvička » – la pêche – et « melouny » – des pastèques. Nous vous laisserons cependant le soin de trouver le rapprochement, en gardant en tête la référence biblique « zakázané ovoce nejlépe chutná » – « les fruits défendus sont les plus goûteux ».
La fin du régime communiste en République tchèque a amené toutes sortes de fruits et légumes exotiques et inconnus sur les étals des « ovocnářství » et « zelinářství » – des vendeurs de fruits et de légumes, donc. Certains laissant d’ailleurs perplexes les citoyens tchèques de l’époque, et on citera la réaction d’une prof d’arts plastiques à la vue d’un kiwi – « kiwi » – apporté par un élève pour peindre une nature morte : « Co je to za chlupatou bramboru? », à savoir « Qu’est-ce que c’est que cette patate poilue ? ». Kiwi ou pomme de terre, fruit ou légume : attention à ne pas « míchat hrušky s jablky » (ou, dans la langue parlée, « míchat hrušky s jabkama »), littéralement « mélanger les poires et les pommes », qu’en français on traduirait par « mélanger les torchons et les serviettes ».
Les découvertes de fruits et de légumes nouveaux ont pu donner à certains l’impression de « rozumět jako koza petrželi » – « comprendre comme une chèvre comprend le persil », à savoir ne pas comprendre grand-chose, ne pas se repérer dans une situation donnée. Mais la révolution de Velours a également sonné la fin de la « fronta na banány » – la queue faite devant un magasin pour acheter des bananes, denrée rare sous le régime communiste. Une situation qui ne manque certainement à aucun Tchèque, et ce qu’il soit fruitarien, vegan ou viandard.