Une carte interactive répertorie tous les acteurs de la langue française en Tchéquie
Trouver facilement et rapidement les écoles primaires, secondaires, les lycées ou les universités qui enseignent le français et proposent des formations supérieures où le français a sa place aussi, c’est désormais possible car à une nouvelle carte interactive du français. Participative, elle peut être complétée à tout moment par les enseignants qui souhaitent y faire figurer leur école ou les entreprises qui veulent y être répertoriée. Si elle concerne en grande majorité le monde de l’enseignement, elle a aussi vocation à collecter les données de tous les acteurs qui ont un lien avec le français dans le pays. Pour en parler, RPI a interrogé Hana Delalande, professeure de français à l’Université Masaryk de Brno et Eric Playout, attaché de coopération pour le français à l’Institut français de Prague. Ils sont d’abord revenus sur la genèse du projet.
HD : « Je répondrais en présentant le contexte plus large. Depuis quelques années, l’intérêt pour le français diminue, que ce soit dans les écoles, les universités, les centres culturels. A l’automne 2020, nous avons décidé avec les associations SUF, l’Association tchèque des professeurs de français du scolaire et Gallica, l’Association tchèque des professeurs de français du supérieur, de préparer une enquête nationale auprès des enseignants pour faire un état des lieux et confirmer cette diminution ou non, mais aussi identifier les besoins des professeurs quant à l’enseignement du français dans leurs établissements. Le questionnaire a été rempli par 276 enseignants qui ont exprimé le souhait de coopérer davantage au niveau local, d’être plus en contact avec leurs collègues enseignants, de mieux connaître les formations supérieures au niveau national et enfin de connaître les éventuels futurs employeurs de leurs élèves car ce sont des arguments qu’ils peuvent utiliser pour persuader des parents de choisir le français. Le projet de la carte est né de la coopération entre la Suf, Gallica, le Centre universitaire de langues, l’Institut français de Prague et la Chambre de commerce franco-tchèque. L’idée cartographique est née à l’Université Masaryk de Brno où une étudiante a proposé de s’inspirer d’une carte déjà existante concernant le secteur non-lucratif. Cette étudiante, Monika, fait d’ailleurs partie aujourd’hui de notre équipe. »
Quel est le principe de la carte ? Comment fonctionne-t-elle ?
HD : « C’est d’abord une base de données accessible à tous avec tous les acteurs du français en République tchèque. C’est quelque chose qui n’existait pas encore. C’est aussi un outil de localisation qui permettra de retrouver toutes les entités du français par exemple dans un rayon de 50 km. C’est aussi un outil de mutualisation, de synergie. Nous avons réussi à réunir les acteurs majeurs qui ont un intérêt dans la promotion du français en République tchèque : il s’agit d’écoles primaires et secondaires, les programmes d’études universitaires, les doubles diplômes franco-tchèques, les centres de langues universitaires et bien sûr l’Institut français, les alliances françaises, les clubs franco-tchèques, et enfin les entreprises ou institutions tchèques ou internationales qui ont besoin de salariés maîtrisant le français. »
Comment s’est faite la collecte de données pour mettre au point la carte ?
HD : « La base de données n’est pas encore complète, mais cela va l’être au fur et à mesure. Une partie des données est collectée de façon centralisée. Par exemple, ce sont les programmes d’études universitaires, par Gallica, ou les doubles diplômes par le service de coopération scientifique universitaire de l’IFP, ou les entreprises. On a reçu un export de 240 entreprises membres de la Chambre de commerce franco-tchèque. Toutes les autres données sont réunies par le biais d’un questionnaire de collecte de données en ligne disponible sur notre site. En ce moment nous avons 162 établissements scolaires inscrits. On pense que c’est environ un quart de toutes les écoles existantes. Nous essayons régulièrement de lancer des appels via les réseaux sociaux, l’Institut français, la SUF, les alliances françaises.
Vous l’avez un peu évoqué au début : quelles sont les personnes ciblées par le projet ?
HD : « La cible principale, ce sont les enseignants de français. La carte est faite pour eux, comme une boîte à outils où ils pourront trouver tous les renseignements dont ils ont besoin. Les autres personnes ciblées sont les élèves, les étudiants, leurs parents, la direction des établissements scolaires. Il n’y a pas de limites en fait.
On connaît la prééminence de l’anglais comme langue mondiale de communication dans la plupart des domaines. Pourtant, le français a longtemps eu cette place-là dans le passé et les pays tchèques ont une tradition de francophilie et de francophonie. Où en est-on à ce niveau-là aujourd’hui ? Quelle est la place du français dans l’enseignement tchèque dès le plus jeune âge ?
EP : « On ne peut plus comparer aujourd’hui le français et l’anglais. L’anglais est sans conteste la langue mondiale, elle s’est imposée comme langue de communication. Le français n’est pas dans un rapport de concurrence, mais est éventuellement dans un rapport de complémentarité. L’âge d’or du français était au XVIIIe siècle, donc on n’a pas de nostalgie à avoir. On est dans un autre monde, une autre époque. Il n’empêche que le français garde de nombreux atouts. C’est d’abord une langue de diffusion mondiale : il y avait 300 millions de locuteurs dans le monde en 2018 et certaines prévisions parlent de 750 millions de locuteurs à l’horizon 2070, en partie due à la grande croissance démographique en Afrique, un gisement de francophonie très important. Sa puissance mondiale risque fort d’augmenter dans les décennies à venir. Il est d’autre part la deuxième langue parlée dans l’espace européen après l’allemand. 12 % des citoyens européens parlent le français, et 16% l’allemand. L’anglais, c’était 13 % avant le Brexit, depuis ça a diminué à 2 %. Il n’empêche que l’anglais reste une langue de communication mondiale et la langue la plus apprise. Mais pour les Tchèques, il est important de savoir que 12 % des citoyens européens parlent le français.
Dans le système d’éducation européenne, le français est aussi très bien placé : si l’anglais est appris par 98 % des élèves, comme langue vivante 1, 26,1 % des élèves choisissent le français au premier cycle de l’enseignement secondaire, 19 % le choisissent au lycée contre 18 % pour l’allemand et 17 % pour l’espagnol. Donc le français est la deuxième langue vivante apprise par les Européens. C’est quand même un élément important. »
Le français a-t-il la même place en Tchéquie ?
EP : « Pas du tout ! Il y a là des progrès à faire. Dans le système éducatif tchèque, l’apprentissage du français a beaucoup baissé ces dix dernières années : il occupe la cinquième place, aussi bien dans le primaire que dans le secondaire, derrière l’anglais, l’allemand, le russe et l’espagnol. Il a beaucoup reculé ce qui ne correspond pas à l’évolution qu’il suit dans d’autres systèmes éducatifs de l’UE – sans vouloir généraliser car cela dépend de quel pays on parle. En Tchéquie, dans l’enseignement primaire, moins de 1 % des élèves l’apprennent, c’est très faible. Dans le secondaire, on est à 4,5 %. Cela reste une place modeste. L’objectif d’un échange comme celui-ci est de donner des arguments pour qu’il retrouve une place plus importante et peut-être qui corresponde plus à son poids réel. Mais tout cela demande beaucoup de communication et d’information. »
La notion d’utilité dans les études a pris une place importante dans la prise de décision quant aux matières à étudier : comment montrer, tant aux parents qu’aux élèves, qu’apprendre le français peut aussi être utile pour un futur emploi ?
EP : « Effectivement. Il y a des arguments qu’on peut faire valoir : le français est une langue qui permet de faire des études supérieures en France. Il y a un excellent système d’éducation supérieur en France qui est pratiquement gratuit – les coûts sont modiques en tout cas. La France est le cinquième pays au monde pour l’accueil d’étudiants étrangers. Il y a aussi des bourses d’études offertes par l’Institut français, l’ambassade de France. Sur le plan plus économique, et eu égard à l’employabilité des jeunes apprenant le français : la France est la deuxième puissance économique européenne en termes de PIB. En outre, la France est le quatrième client de la République tchèque. Cela veut dire que pour des entreprises tchèques qui veulent vendre en France, c’est dans leur intérêt d’avoir des gens qui parlent le français. Ce sera plus facile de remporter un marché en parlant français avec des Français. L’anglais est toujours possible, mais ce sera un résultat plus sûr avec le français. En outre, la France est le troisième investisseur en République tchèque : ce n’est pas rien que plus de 10 milliards d’euros soient investis par des entreprises françaises en Tchéquie. C’est créateur d’emploi et de richesses. 471 filiales d’entreprises françaises emploient plus de 60 000 personnes en République tchèque. Donc cette dimension d’employabilité avec le français n’est pas assez connue. En outre, de nombreuses entreprises internationales également ont besoin de francophones. Prenons l’exemple que m’a donné Hana Delalande : IBM, entreprise multinationale, a besoin de francophones par exemple. Et d’autres encore. La langue de l’entreprise est l’anglais, mais les francophones travaillent dans des équipes qui s’occupent des clients en français. Parfois le marché francophone n’est d’ailleurs pas nécessairement la France. Il faut donc sortir du cliché de l’inutilité de la langue française. »
Pouvez-vous donner des exemples concrets ? Quelqu’un qui vient consulter votre carte. Que va-t-il/elle trouver ? Comment va-il/elle chercher les renseignements nécessaires ?
« Prenons l’exemple d’un enseignant de français dans une école primaire de Brno : sur la page d’accueil de la carte, il trouvera une carte de la République tchèque avec des points de couleurs différentes, un champ de recherche dans la barre de gauche où il peut entrer le nom de sa ville et décider du périmètre de recherche entre 1 et 200 km. La personne est ensuite redirigée vers la page de résultats qui sont visibles à la fois sur la carte et dans la barre de gauche où la personne peut consulter les profils de chaque entité. Les points rouges correspondent à l’Institut français de Prague ou aux alliances françaises. Les points bleus sont les écoles primaires et secondaires, les points jaunes sont les universités, les points roses des centres français ou clubs franco-tchèques, et les points verts, les entreprises. Il est donc possible de consulter toutes les informations en lisant les profils des écoles, des entreprises etc. Ce professeur de Brno pourrait voir qu’il y a dans ce périmètre 20 écoles, 25 programmes universitaires, et 15 entreprises. Ainsi l’enseignant peut par exemple conseiller à ses élèves dans quelle école secondaire aller pour continuer le français ou discuter avec eux des études supérieures ou d’emplois éventuels.
De même, un lycéen se préparant au bac et qui commence à s’intéresser à ses études, peut également faire une recherche à partir de sa ville ou augmenter le périmètre de recherche, ou chercher directement la ville universitaire qui l’intéresse. A Brno par exemple, il peut consulter les 25 points jaunes des universités et trouvera des programmes d’études en français classiques : études de langues, littérature, enseignement, mais aussi des études en français de spécialité en économie par exemple. Lui seront proposés des programmes en master, licence ou doctorat. Il y a aussi des doubles diplômes : à l’Université Masaryk, nous avons un master franco-tchèque en administration publique, un master en communication plurilingue et interculturelle en situations francophones ou un master en philologie romane. Et au niveau national, les disciplines sont beaucoup plus variées encore.
La carte vient tout juste d’être lancée, comment allez-vous évaluer son efficacité sur le long terme ?
HD : « Nous avons déjà des retours positifs depuis le lancement, des écoles notamment où les enseignants parlent du projet sur le site de leur école. Ils nous envoient aussi des photos de la présentation et de l’utilisation de la carte dans leur établissement. Des entreprises nous contactent également pour être rajoutées à la base de données. Concernant le long terme, nous pourrons évaluer son efficacité selon les coopérations qui vont se créer entre les écoles et les entreprises. Peut-être que nos nouveaux inscrits à nos programmes d’études nous diront un jour qu’ils les ont découvert grâce à la carte. »
EP : « La carte a aussi cet intérêt, c’est qu’elle permet de montrer qu’il y a un continuum éducatif du primaire à l’université, même jusqu’à l’emploi, en apprenant la langue française. C’est un élément très important. La carte peut être aussi un outil de promotion du français. Elle informe, mais en même temps, met en lien avec les études supérieures, les entreprises, et donc argumente en faveur de l’apprentissage du français. C’est une très belle initiative donc. »
Consulter la carte et remplir le formulaire pour y figurer.