'Patriotes pour l'Europe' : « Ouvrir une brèche dans l'unité européenne sur le soutien à l'Ukraine »
Le parti français d'extrême-droite Rassemblement national a annoncé dès dimanche soir par la voix de Jordan Bardella son ralliement au groupe initié par Viktor Orban (Fidesz), Andrej Babiš (ANO) et Herbert Kickl (FPÖ). Ce nouveau groupe au Parlement européen, initié la semaine dernière, porte le nom de Patriotes pour l'Europe et a déjà été rejoint également par le PVV hollandais, le Vlaams Belang belge, Chega (Portugal), ou encore Vox (Espagne). Le politologue Jacques Rupnik a répondu aux questions de Radio Prague Int.
Que penser de cette nouvelle alliance et de l'arrivée du Rassemblement national dans ce groupe formé à l'origine par des partis d'Europe centrale – le Fidesz de Hongrie, ANO de Tchéquie et le FPÖ d'Autriche ?
Jacques Rupnik : « C'est la grande recomposition de la droite populiste européenne qui est en cours et que souhaitait depuis longtemps Viktor Orban. Il s'est vu comme le pivot ou celui qui pourrait rassembler ces droites mais il y avait un problème majeur : Giorgia Meloni en Italie et Marine Le Pen du côté français étaient sur des positions à la fois divergente sur certains sujets mais aussi avec une relation personnelle qui n’était pas la meilleure. »
« Après des élections européennes et cette poussée de la droite populiste en Europe, Viktor Orban a pensé que le moment était venu de dépasser le clivage entre les deux groupes - ce qu'on appelle les conservateurs réformateurs (ECR) où est Giorgia Meloni et le PiS polonais de Kaczynski et de l'autre côté les identitaires (ID) où se trouvait par exemple non seulement Marine Le Pen mais aussi Wilders. Orban a donc créé un troisième groupe en espérant être le fédérateur, amener les deux autres à fusionner. Bien sûr, la stratégie est de peser beaucoup plus dans la politique européenne et en particulier au Parlement européen. »
« Indulgence vis-à-vis de la politique russe »
Viktor Orban revient de Moscou, dont l'armée a encore bombardé ce matin la capitale ukrainienne Kyiv et d’autres villes d’Ukraine avec des morts et des blessés. Ce nouveau groupe est perçu par beaucoup comme un groupe aux tendances pro-russes. Est-ce qu’Andrej Babiš et son mouvement ANO rentrent dans cette perspective ?
« En partie oui et c'est ça qui est quand même préoccupant. On avait Viktor Orban qui était sur une position disons indulgente vis-à-vis de Poutine - c'est un euphémisme - puis nous avions eu la victoire de Robert Fico en Slovaquie et nous avions donc un tandem Fico/Orban. Puis le score de Babiš et de son mouvement ANO aux élections européennes qui laisse à penser qu'il peut gagner les prochaines législatives en République tchèque. »
« On a donc un trio de personnes qui sont, disons, plutôt favorables à la Russie pour des raisons différentes à des degrés différents mais surtout qui n'ont pas envie que l'Europe se laisse entraîner dans un soutien ‘inconsidéré’ à l'Ukraine. On a vu que Babiš avait fait sa campagne électorale sur ce sujet en affirmant être le candidat de la paix. C'est ce que dit Fico et ce que dit Orban : ‘nous sommes les hommes de la paix’. C'est pour ça qu’Orban est allé à Kyiv et de Kyiv à Moscou, pour se présenter comme le grand faiseur de paix alors qu’il n'avait aucun mandat pour la présidence européenne. Il l'a fait alors qu'il prenait la présidence de l'Union européenne et il n'avait absolument aucun mandat pour le faire. Et on a vu les réactions très vives que cela a suscitées. »
« C'est vrai que Marine Le Pen est sur une position similaire. Et donc ce n'est pas qu’ils vont ouvertement proclamer un soutien à la Russie, mais disons une indulgence vis-à-vis de la politique russe. Leur raisonnement est le suivant : l'Ukraine ne peut pas gagner la guerre donc il ne faut surtout pas que nous nous laissions entraîner dans un soutien inconsidéré à l'Ukraine, ce qui est le cas avec la position du président Macron. »
« Bref, nous avons une force au sein de la politique européenne qui est prête à chercher une solution qui se rapproche ou qui conviendrait en tout cas à Moscou, pour ouvrir une brèche dans l'unité européenne qui s'était forgée au lendemain de l'agression russe contre l'Ukraine. »
Vous évoquiez Robert Fico, le Premier ministre slovaque et, à en croire les récentes déclarations à Bratislava, son parti Smer espère réintégrer les socialistes européens, ce qui n'est pas encore fait du tout. En ce qui concerne Andrej Babiš, est-ce qu’on est dans la ligne de ce que vous appeliez le ‘populisme entrepreneurial’ ?
« Au départ oui, Babiš représentait ce que j'appelais le populisme entrepreneurial, c'est à dire un peu le modèle Berlusconi : un entrepreneur qui réussit dans les affaires, qui rachètent des médias et qui ensuite se lance dans la politique et devient un entrepreneur politique. Donc c'est une sorte de populisme ni droite ni gauche et comme le voulait la formule de Babiš : un État, ça doit se gérer comme une entreprise. Donc ça c'est le populisme entrepreneurial et puis on a vu au fil des années le glissement de Babiš vers le national-populisme, vers quelque chose qui ressemble à ce que préconise Orban. D'ailleurs Orban est venu soutenir sa campagne il y a deux ans, ils ont fait campagne ensemble en République tchèque. »
« Il y a donc ce rapprochement sur le thème national, anti migration pour soi-disant protéger l'Europe et puis il y a maintenant aussi ce thème des ‘candidats de la paix’, c'est-à-dire ceux qui cherchent un compromis avec Moscou. »