Prague, nouvel eldorado des nomades numériques
Fini les emplois stables, les horaires fixes, les habituels collègues de travail à la machine à café et le temps maussade en hiver… Et si vous deveniez un « digital nomad » afin de voyager dans le monde entier ? Prague, notamment, est l’une des villes les plus attractives pour ces travailleurs flexibles ! Alors qui sont ces nouveaux travailleurs et pourquoi Prague est devenu leur nouvel eldorado ?
Depuis presque une quinzaine d’années, Fabrice Dubesset est un « digital nomad », c’est à dire, un « nomade numérique » en français. Il peut ainsi vivre et travailler de n’importe où tant qu’il a son ordinateur, son smartphone et une connexion internet… Ces nouveaux nomades peuvent être des auto-entrepreneurs ou bien employés dans une entreprise qui permet d’être en télétravail à temps complet. Alors pourquoi travailler depuis chez soit quand on peut partir travailler depuis la Thaïlande en plein mois de novembre ?
Fabrice Dubesset lui, a toujours aimé voyager mais c’est en 2011 qu’il décide de changer de vie :
« J’enchainais les CDD et les longs voyages en alternance. En 2009, je suis parti 7 mois en Asie du Sud-Est et c’était l’heure de rentrer, sauf que devoir trouver un petit CDD me soulait. Alors j’ai cherché sur internet ce que je pouvais faire… Comment je pouvais changer de vie… Je suis tombé sur des sites anglo-saxons qui parlaient des « location independant » et j’ai eu l’idée de créer un blog de voyage. J’ai quitté la France en 2011 et j’ai commencé cette aventure en Colombie ».
En tant que blogueur voyage, Fabrice se retrouve donc à travailler depuis les 4 coins du monde : Colombie, Mexique, Thaïlande, Europe… À cette époque le digital nomadisme n’est pas encore un phénomène très connu, et c’est la pandémie en 2020 qui a véritablement popularisé ce mode de travail. « Il y a eu un avant et un après Covid, témoigne Fabrice Dubesset. La pratique du télétravail s’est beaucoup développée dans les entreprises. » C’est d’ailleurs à cette époque qu’un éditeur le contacte pour lui proposer d’écrire un livre sur le digital nomadisme. Avec la pandémie, de nombreux jeunes ont également remis en question leur mode de vie : « Beaucoup ont cherché à donner du sens à leur vie, professionnelle comme personnelle. Pas forcément pour gagner plus d’argent, mais pour acquérir une plus grande liberté et un meilleur équilibre entre sa vie personnelle et professionnelle. » D’autant qu’avec un salaire supérieur à ceux des locaux, les digital nomades peuvent parfois se permettre de travailler moins qu’ils ne le faisaient dans leur pays d’origine.
Prague dans le top 20 des destinations les plus visitées
Selon les estimations de Mbo Parteners, il y aurait en 2023, 40 millions de nomades numériques dans le monde, et près de la moitié d’entre-eux seraient américains. Un nombre qui augmente chaque année. À l’échelle mondiale, la Tchéquie n’a pas à rougir puisque Prague se situe dans le top 20 des villes ayant accueilli le plus de digital nomades en 2023 selon Statista. Un classement tout a fait justifié pour Fabrice Dubesset, qui a déjà fait un périple à Prague et qui comprend l’attractivité de la ville.
« C’est une très belle ville, commente le blogueur, à dimension humaine, avec une grande richesse culturelle. Elle est très bien connectée à d’autres pays européens. C’est un pays moderne où beaucoup de gens parlent anglais. C’est aussi très cosmopolite, comparable à Budapest, qui est aussi une ville très prisée par les nomades numériques. »
Parmi les critères les plus importants dans le choix d’une destination pour les nomades numériques, on peut notamment retrouver : une connexion internet de qualité, la possibilité de dialoguer en anglais, un décalage horaire raisonnable avec son pays d’origine (avec lequel on travaille à distance), l’obtention de visa et surtout un coût de la vie intéressant par rapport à son propre salaire.
Autrement dit, Prague réunit un grand nombre de ces critères. Autre point très important pour Fabrice et de nombreux nomades numériques : la présence de lieux où peuvent se réunir les digital nomades comme des cafés ou des espaces de coworking. Là encore, Prague répond à cette demande avec plusieurs lieux qui ont d’ailleurs été créés ces dernières années pour accueillir les télétravailleurs. En 2010 par exemple, un digital nomade américain a créé Locus, le premier espace de coworking à Prague.
Se rassembler et travailler à l’étranger
Immeuble cossu, un espace maculé de blanc, de bois et de bureaux, dans lequel une centaine de travailleurs indépendants sont adhérents… Locus semble s’être adapté aux besoins de ces nouveaux travailleurs avec par exemple des cabines individuelles pour téléphoner sans déranger ses voisins, une grande cuisine conviviale, des salles de réunion et un open space lumineux et moderne. Au milieu de ce dernier trône un tableau « sur lequel nous affichons les évènements que nous organisons pour notre communauté de travailleurs, on essaye vraiment de créer des connexions entre nos membres » explique Eva Sanz, community manager du lieu.
Locus fonctionne via des abonnements, ultra flexibles pour s’adapter surtout à cette clientèle très volatile.
« Certains veulent venir tous les jours ou presque, alors ils payent un abonnement un peu plus cher pour avoir accès à cet endroit toute la semaine. D’autres préfèrent alterner entre ici, chez eux et des cafés, donc nous proposons également une formule moins chère avec laquelle les clients peuvent venir 2 jours par semaine » détaille Eva Sanz.
Pas d’engagement ou de règles strictes, une manière d’attirer ces travailleurs temporaires qui souhaitent avant tout socialiser en un temps record. « En créant ce lieu, l’idée était aussi de créer une petite communauté internationale à Prague. Ici, à partir du moment où tu arrives à Prague et que tu parles anglais, tu peux rencontrer des personnes immédiatement » confie la community manager. Il y a d’ailleurs un mur sur lequel sont affichées des photos des membres, ainsi que leur métier et leur passion pour que les travailleurs puissent échanger entre eux.
Des facilités pour certains ressortissants
Et même le gouvernement tchèque a décidé de prendre en main le sujet des nomades numériques à l’été dernier avec la mise en place d’un nouveau programme d’obtention de visas. Selon Lucia Legáthová, du centre des expatriés de Prague, « ce programme est destiné aux travailleurs hautement qualifiés, en particulier dans le secteur informatique. Le programme s’adresse aux citoyens de quelques pays seulement : l'Australie, le Japon, les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et Taïwan ». Ainsi deux types de nomades sont visés par ce programme : les personnes qui travaillent pour une entreprise étrangère et qui veulent déménagement en Tchéquie, et les personnes qui veulent déménager et travailler en République tchèque, mais qui sont des travailleurs indépendants, donc en free lance. Les membres de leur famille proche sont aussi autorisés à les accompagner.
Après le Covid, plusieurs pays comme la Colombie ou le Costa Rica ont également mis en place des programmes similaires. Mais pourquoi les gouvernement cherche-t-il à faciliter l’arrivée de ces travailleurs numériques ? Lucia Legáthová y voit deux avantages principaux pour le pays :
« D’abord, les nomades sont généralement des travailleurs hautement qualifiés. Il y a des recherches qui indiquent que 90 % d'entre eux ont un diplôme universitaire. Ils travaillent majoritairement dans l’économie ou dans les industries créatives : des domaines que la Tchéquie veut promouvoir. Cela permettrait peut-être à terme de recruter ces talents afin qu’ils aident également à développer leur secteur au sein du pays. Ensuite, la seconde explication, est que les nomades sont souvent très bien payés, puisqu’ils viennent généralement de pays plus riches, avec des salaires plus élevés, qu’ils peuvent donc ensuite dépenser en Tchéquie ».
Certains nomades peuvent également à terme offrir des emplois à des personnes locales.
Mais ces aspects positifs n’effacent pas pour autant certains effets néfastes de ce mode de travail. En effet, le cout écologique de ce mode de vie est souvent pointé du doigt, puisqu’il incite ces travailleurs à voyager en continu par avion. Mais la critique principale émise face à ces nouveaux travailleurs plus riches que les populations locales, est leur participation à la gentrification des villes dans lesquelles ils s’installent temporairement, souvent via des locations comme des Airbnb. Ils participent à la hausse des prix des logements, comme à Medellin en Colombie par exemple, où de nombreux habitants ont décidé de protester contre la venue de ces nomades, parfois considérés comme des néocolonialistes.