Quand la diplomatie tchèque « trolle » la Russie pour contrer la désinformation
Pour contrer la désinformation russe, la Tchéquie a récemment lancé une campagne sur les réseaux sociaux appelée « Les contes de fée pro-Kremlin » : avec une bonne dose d’humour, le ministère des Affaires étrangères tente de mettre en lumière l’absurdité des déclarations de la Fédération de Russie.
L’humour tchèque est souvent comparé à l’humour britannique pour son côté sarcastique : à l’automne 2022, quelques mois après l’attaque de l’Ukraine par l’armée russe, une blague potache sur le réseau encore nommé Twitter avait fait boule de neige, de nombreux Tchèques jouant à revendiquer l’enclave de Kaliningrad, sous prétexte que la ville de Kant, qu’on appela aussi Königsberg en son temps (et Královec en tchèque), doit en partie sa fondation au roi de Bohême Přemysl Otakar II.
Anonymes et institutions officielles s’en étaient donnés à cœur joie, multipliant les memes humoristiques. La blague avait même fait réagir le chef de la diplomatie en personne qui s’était fendu d’un tweet laconique mais assez clair : « Le partenariat avec nos voisins baltes n’a jamais été aussi fort ».
On comprend mieux alors l’idée de cette campagne lancée récemment sur les réseaux sociaux par le ministère des Affaires étrangères, suite au refus tchèque de se faire « convoquer » par la Russie au Conseil de sécurité des Nations Unies. Karel Smékal est le responsable de la communication au ministère, on l’écoute :
« Cette campagne réagit à un certain nombre de déclarations grotesques de la part de la Russie que nous avons remarquées au cours des dernières semaines. Bien entendu, lorsque ces déclarations sont apparues, la première réaction de la Tchéquie a été, et est toujours, la réaction officielle, par le biais d’une déclaration diplomatique en bonne et due forme. Mais au vu de ce qui circule sur la Tchéquie en provenance de la Russie, nous avons estimé qu’il serait bon de réagir également d’une manière peut-être un peu moins traditionnelle. En tant que ministère des Affaires étrangères, nous avons bien sûr deux publics. Nous avons un public dans les pays tiers à l’étranger, mais sur les sujets de politique étrangère, nous avons également un public ici en Tchéquie, nos concitoyens tchèques. Bien entendu, la propagande russe vise également les citoyens tchèques. Il était donc naturel de réagir à ces déclarations russes, même vis-à-vis des citoyens tchèques. »
Il en va ainsi de trois vignettes en anglais, à destination de l’étranger, mettant en scène, en plein hiver, une jeune fille et Ded Moroz, ce personnage russe au croisement du Père Noël et du Père Fouettard en fonction des légendes, et qui lui demande si elle a froid. Ce à quoi elle répond, espiègle, que non car « nous avons importé du gaz naturel liquéfié et nous améliorons la capacité de l’oléoduc transalpin ».
Mais aussi de messages plus directement adressés aux Tchèques montrant ce qui s’apparente à un livre de contes, avec sur la page de gauche, le « conte russe » qui prétend que « sept officiers tchèques sont morts à Odessa », et de l’autre, la réalité, diamétralement opposée puisque rien de tel n’est arrivé.
Pour Karel Smékal, cette façon de « troller » la Russie via les réseaux sociaux n’est pas contradictoire avec la « grande diplomatie », l’humour typique des Tchèques étant aussi une forme de force de réaction :
« Bien sûr, nous sommes avant tout un service public. Notre principale motivation n’est donc pas de faire des likes sur les réseaux. Nous n’avons pas cette mentalité, disons, d’influenceur. Nous sommes un service public et nous essayons donc de communiquer avec les citoyens tchèques de la manière la plus efficace possible. Dans ce cas particulier, l’ADN tchèque veut que lorsque nous atteignons un certain niveau d’absurdité - et les déclarations de la Russie ces dernières semaines, et pas seulement ces dernières semaines, ont atteint un certain niveau d’absurdité - nous réagissions par l’humour. On le voit avec le roman Le Brave soldat Chveïk, on le voit dans les pièces absurdes de Václav Havel - c’est quelque chose de très tchèque. Puisque nous avons atteint un tel niveau d’absurdité qui fait que les Tchèques réagissent spontanément avec humour, c’est aussi ce que nous avons choisi de faire pour cette campagne. »
Cette campagne on ne peut plus officielle, sérieuse sur le fond et légère sur la forme, montre en tout cas qu’au pays de Chveïk et du héros national totalement fictif Jára Cimrman, on n’en a pas fini d’utiliser l’humour pour tenter de désarmer les dictatures.