Regards tchèques sur une petite ville de province, Laval
Petite ville de 50 000 habitants située sur les rives de la rivière Mayenne et préfecture du département rural du même nom, Laval est un carrefour paisible entre les provinces historiques que sont la Bretagne, l’Anjou, la Normandie et le Maine. Contre toute attente, la diaspora tchèque y a étendu son influence puisqu’au moins un dix millième de sa population est originaire de Bohême ou de Moravie. Radio Prague est allée à la rencontre de trois de ces Tchèques, toutes des femmes, afin qu’elles racontent leur épopée lavalloise.
« C’est assez rural. Je trouve que c’est sympa. Mais même les Français ne connaissent pas bien cette région. Quand on est par exemple au nord de la France et qu’on dit aux gens où nous habitons, ils ne connaissent pas. Ou alors ils disent qu’ils sont passés par là. Donc ils passent par la Mayenne mais ils ne s’arrêtent pas en fait. »
Les amateurs de football sont souvent plus susceptibles de connaître la ville et d’éprouver un petit faible pour le Stade lavallois, longtemps pensionnaire et petit poucet de Division 1 dans les années 1980 sous l’égide d’un Michel Le Milinaire entré dans la légende locale.
Les Tchèques arrivées à Laval n’ont cependant pas été attirées par l’amour du ballon rond. Et ce sont cependant le plus souvent des histoires amoureuses qui expliquent leur venue sur les berges de la Mayenne. Suzana a ainsi suivi son mari français qu’elle avait rencontré en République tchèque et qui s’est retrouvé muté à Laval.
Pavlina travaille, elle, dans une chaîne de magasin de déstockage. Elle a débarqué en France en 2004 avec son compagnon d’alors, un Algérien rencontré dans la capitale tchèque avec lequel elle a une fille, Nadia. La petite famille ne s’est pas tout de suite installée à Laval. Attablée à la terrasse d’un bar irlandais situé en centre-ville, non loin de la rivière, l’un des rares endroits régulièrement animés de la ville, Pavlína raconte :
« Nous sommes arrivés en Vendée dans un très joli village, Mervent, près de Fontenay-le-Comte. C’est le père de ma fille qui a voulu venir ici pour essayer de vivre en France. On est arrivé avec un sac à dos, sans rien de plus. Ma fille a commencé à aller à l’école maternelle, en grande section, où elle a réussi à apprendre le français. Elle s’est très bien intégrée. »
L’expérience vendéenne n’est pas simple car Pavlína ne parle alors pas un mot de français et les autorités rechignent à lui fournir un titre de séjour. L’intégration de sa fille est un facteur de motivation. En 2006, soit deux ans après son arrivée, Pavlína rejoint Laval où elle rencontre moins de difficulté à trouver un travail :
« Après, j’ai déménagé à Laval. À l’époque, il y avait de la place dans les usines, dans les abattoirs par exemple. Maintenant c’est fini. »
En Mayenne, le taux de chômage est relativement faible comparé à la moyenne nationale. Il oscille entre 6% et 7% et, entre 1999 et 2010, le solde d’emplois est positif avec plus de 8 000 emplois créés. Pourtant, comme Pavlína, Suzana évoque un marché du travail délicat et a aujourd’hui des difficultés à retrouver une activité, notamment après une expérience professionnelle dans la vente de robes de mariée. Elle développe :« Après mes études, j’ai trouvé tout de suite. Mais je pense que maintenant c’est plus difficile, parce que là je suis à la recherche d’un emploi et il n’y a pas de possibilité. Par exemple, je suis trilingue voire quadrilingue, mais les employeurs préfèrent prendre des gens originaires de Laval ou de la Mayenne. Laval, cela marche plutôt entre familles, entre amis… Donc si vous connaissez quelqu’un, vous avez une chance. Moi, je ne connais personne ! »
C’est derrière le comptoir du même bar irlandais que travaille Kristýna. Arrivée fin 2012 à Laval, elle a eu, quant à elle, très vite l’opportunité de gagner un salaire alors même qu’elle ne maîtrisait pas le français. Elle a fait le voyage pour suivre son amoureux :
« Il se trouve que j’ai rencontré à Prague mon petit ami, j’ai donc décidé de déménager à Laval, où il vit. Pour moi, cela n’a pas été un choix difficile car je suis habituée à vivre dans des pays étrangers. »
Kristýna, originaire de Most, une des villes tchèques les plus durement frappées par la désindustrialisation et le chômage, avait depuis longtemps le désir de quitter la Bohême pour l’étranger. Elle a ainsi vécu un an et demi en Grèce. Elle parle de son ressenti vis-à-vis de ces différents peuples européens :
« Entre les Français et les Tchèques, je ne vois pas vraiment de différences. Les gens m’apparaissent complètement similaires. La mentalité est la même. Les gens sont amicaux. D’autres sont mauvais. En Grèce, j’ai seulement rencontré des personnes amicales. »
Toutes les trois sont d’accord sur le fait que Français et Tchèques ne diffèrent en rien. Suzana estime que l’on pourrait comparer la Moravie à la Bretagne, où vivent des gens « plutôt cools », mais considère que certains Lavallois sont peu curieux de découvrir de nouvelles cultures. En revanche, cette région rurale, peu densément peuplée et bénéficiant d’un climat peu rude influencé par l’océan Atlantique leur est agréable. On écoute Pavlína :
« Laval, c’est sympa parce qu’il y a des petits villages à proximité. Il y a la nature, vous pouvez sortir en forêt. Il y a quand même pas mal d’entreprises qui font du commerce à l’international. En revanche, il n’y a pas beaucoup de possibilités de sortir. »Le regard curieux, Kristýna ne s’ennuie pourtant pas. Elle pense même que Laval n’est pas dénué d’un certain charme, auquel les locaux sont indifférents par la force du quotidien. Le cœur historique de la ville avec ses maisons à colombage et ses ruelles escarpées à l’ombre du château, qui a longtemps surveillé le seul pont permettant de traverser la Mayenne vers la Bretagne, présente ainsi un réel intérêt. C’est ce que pense Kristýna :
« Les maisons sont ici traditionnelles, historiques. Ce que nous n’avons pas à Most où elles ont toutes été détruites et remplacées par de nouvelles habitations, des habitations modernes. Et il n’y a désormais que des HLM. Ici, il y a une architecture historique française et cela me plaît. »
Ce centre historique est toutefois relativement peu animé, comme le notait Pavlína, laquelle se souvient avoir été surprise de ne pas pouvoir trouver de cigarettes le soir venu. La vie nocturne de cette ville où sont nés des hommes comme Alfred Jarry ou le Douanier Rousseau est assez pauvre et les rues sont tristement vides à la nuit tombée. Suzana garde ainsi une nostalgie pour les « hospody », les fameuses brasseries tchèques, mais également pour la richesse du tissu culturel tchèque. Elle présente ses sorties à Laval :
« Soit on sort pour aller à des festivals à des concerts ou ce genre de choses ou alors au cinéma ou au théâtre. Mais c’est vrai que je trouve par exemple que les boîtes de nuit ici sont ringardes. Ce n’est pas du tout comme en République tchèque en fait. Parce qu’en République tchèque, on a beaucoup de rock café ou des choses comme cela. Ici ce sont des discothèques et je ne sors pas dans ce genre d’endroit. »
Ce qui manque le plus aux trois Lavalloises, ce sont évidemment leur famille et leurs amis restés en pays tchèques. Pour Kristýna, il y a encore autre chose : les « rohlíky », ces petits pains en forme de croissant qui constituent la nourriture de base pour de nombreux Tchèques. Pavlína, pour se rappeler des saveurs du pays, cuisine des plats tchèques « en improvisant » car elle ne trouve pas forcément les bons ingrédients. Suzana apparaît au contraire satisfaite d’avoir laissé cette gastronomie derrière elle :
« J’aime bien la cuisine française ou même la qualité des produits ici. Dès que j’arrive en République tchèque, je vois bien la différence. »
A Laval, les Tchèques se connaissent mais ne sortent pas forcément ensemble. Elles ont chacune leur vie. Des vies qui les amèneront peut-être à quitter la région. Pavlína parle de retourner en Tchéquie quand l’heure de la retraire aura sonnée et Suzana a un projet d’installation en Allemagne, dans la région de la Ruhr. Ce n’est pas le cas de Kristýna :
« Je préfère ma vie ici par rapport à celle que j’avais en République tchèque. Car ici j’ai un travail, je gagne plus d’argent et il y a également un garçon qui m’aime. Je n’ai donc pas à me plaindre. »
En définitive, Pavlína et Suzana sont en fait surtout chagrinées par une chose : elles sont constamment renvoyées à leur statut d’étrangère du fait de leur accent. Pavlína conclut :
« Il y a toujours l’obstacle de la langue. J’ai un accent différent, ça je l’entends tous les jours. Régulièrement, on me dit ‘Vous n’êtes pas de France, vous êtes d’où ? Vous êtes de République tchèque ? Ah oui, c’est Prague ? Ou bien la Russie ? La Tchétchénie ?’ »