Xavier Galmiche, bohémiste : « Les prix tels que Premia Bohemica rendent visible et stabilisent la discipline »
Premier Français à se voir décerné le prix Premia Bohemica, Xavier Galmiche était récemment à Prague pour se voir officiellement remettre ce prix récompensant des bohémistes ou traducteurs étrangers qui participent à la diffusion de la littérature tchèque dans leur pays. Au micro de Radio Prague International, Xavier Galmiche parle de la visibilité relative de la bohémistique, mais également du prix Décembre, qu’il vient d’obtenir pour son dernier ouvrage, « Le Poulailler métaphysique », paru à l’été 2021 aux éditions Le pommier.
Le prix Premia Bohemica vous avait été accordé en début d’année. Qu’est-ce que cela fait de le tenir maintenant entre vos mains ?
« Cela fait plaisir, bien sûr. Cela fait aussi très plaisir de voir les amis, les proches, en vrai, après toute cette période passée à travailler certes ensemble, mais par Zoom. »
Est-ce une consécration pour vous ?
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« Ça serait beaucoup dire. Quand on est bohémiste étranger, on se rend compte qu’il y a beaucoup de choses qui manquent. Et puis, on devient un peu le spécialiste de tout, quand on est spécialiste de langue tchèque dans – comme c’est mon cas – un département de langues salves qui compte beaucoup de spécialistes de russe, de polonais… Et quand on fait de la littérature un peu tout seul, on a parfois le sentiment de ne jamais avoir le temps de creuser certaines choses en profondeur. Bien sûr, on le fait quand même, selon les goûts, les opportunités. Mais j’ai l’impression que ce prix est un peu exagéré. Mais cela fait plaisir quand même. De plus, c’est une vraie reconnaissance d’un travail souvent solitaire en France, et on a l’impression – c’est d’ailleurs la réalité – qu’une communauté se tisse au fil des années, à travers les longs colloques, les programmes, c’est très agréable. »
D’une façon générale, il me semble que les traducteurs sont de plus en plus mis en valeur ces dernières années. Cela dit, le prix Premia Bohemica ne récompense pas uniquement des traducteurs, mais également des personnes qui œuvrent pour la promotion de la littérature tchèque de différentes façons…
« Oui, d’ailleurs, dans la définition de ce prix, j’ai l’impression que les activités de recherche sont plus valorisées que la pure traduction. D’après la liste des lauréats, ce prix a récompensé Robert Pynsent, Urs Heftrich, Annalisa Cosentino et Susanna Roth, qui sont des académiciens, issus du monde universitaire. Certes, ils ont tous également traduit, certains un peu, d’autres beaucoup, mais leur activité principale était le discours critique. J’estime être aussi de cette catégorie-là. »
Pour en revenir au prix Premia Bohemica, outre cette récompense personnelle, et étant donné que vous êtes le premier Français à le recevoir, pensez-vous qu’il pourrait aider à renforcer l’intérêt des éditeurs français pour la littérature tchèque ?
« On se demande toujours comment faire pour que l’âge d’or de la connaissance mutuelle des Tchèques et des Français – qui a existé à plusieurs reprises, mais essentiellement dans les années 1930 puis à la fin du XXe siècle, dans les années 1990 – puisse revenir. Car il a disparu brutalement – de façon spectaculaire et intéressante à analyser – après l’entrée des pays d’Europe centrale dans l’Union européenne. C’est un phénomène qu’il faut comprendre pour essayer de lutter contre. Cependant, beaucoup d’autres éléments entrent en ligne de compte, notamment une atmosphère générale, mais aussi le manque d’éditeurs capables de se lancer, financièrement indépendants ou indifférents au succès commercial. Mais bien sûr que le fait d’avoir des prix rend plus visible, et surtout, cela stabilise la discipline. Dans mon cas, la bohémistique en tant que telle – qui, à la Sorbonne, où j’enseigne, existe dans le cadre d’études plus larges que l’on appelle ‘Etudes centre-européennes’ – se trouve [grâce à ce prix] confortée pour au moins quelques années. Dans quelques années, il faudra recommencer, avec quelqu’un d’autre que moi. »
« Je pense que c’est vraiment cet effet de communauté, l’idée d’une sociabilité autour de la culture et de sa transmission, qui crédibilise la discipline et favorise le fait que ces études se maintiennent. Car elles sont toujours, par définition, menacées. »
Y a-t-il un auteur ou une autrice tchèque qui, selon vous, mériterait que son œuvre soit traduite en français ?
« J’ai toujours regretté que Jan Balabán, qui est décédé, je crois, il y a une quinzaine d’années [en 2010, ndlr] ne soit pas publié en français. La question, c’est : est-il possible de réintroduire quelqu’un qui n’a pas trouvé sa porte d’entrée en son temps ? Par ailleurs, je traduis et essaye de faire connaître l’œuvre de Miloš Doležal, dont la poétique m’est très proche, de par son côté à la fois intimiste et catholique, ou spiritualiste, d’une façon plus générale, et également très proche de la vie quotidienne et de la vie de la nature. J’en ai traduit une partie et j’espère qu’il sera connu. Mais c’est un poète, bien sûr, et les poètes s’adressent à des petits auditoires, à des petits lectorats.
Heureux hasard du calendrier, il y a peu, vous vous êtes vu remettre un autre prix, le prix Décembre, pour un livre dont vous êtes l’auteur et intitulé « Le Poulailler métaphysique ». Pouvez-vous nous expliquer de quoi traite ce roman ?
« Il ne s’agit en fait pas d’un roman, mais de ce qu’en tchèque on appellerait ‘próza’, une prose faite de petites saynètes, d’histoires et d’anecdotes qui racontent ma vie ainsi que ce que j’appelle mon ‘commerce’ avec les poules, à savoir mes ‘petites affaires’ mentales, mais aussi d’exploitation, puisque je vends les œufs de mes poules. C’est donc un récit autobiographique en grande partie. Mais pour raconter l’histoire différemment – et ainsi expliquer le deuxième terme du titre – il s’agit d’une poule qui voit Dieu dans son jardin. Elle voudrait lui parler, mais elle n’y parvient pas. Elle essayer donc de parler de lui à ses congénères, mais elles ne l’écoutent pas, car elles ne sont pas très intéressées par la question. Elle finit donc par parler à l’herbe. Très terre à terre, donc, et même plus, puisqu’une poule gratte pour chercher des vers sous la terre. »
Cette œuvre comporte-t-elle quelque chose de tchèque ?
« J’ai beaucoup aimé – et traduit –Jakub Deml, dont les textes sont eux aussi inclassables, à cheval entre écriture de soi, poésie et sermon, puisqu’il était également prêtre. Son œuvre est franciscaine, et son atmosphère de dialogue, souvent à mi-voix, avec les bêtes, avec sœur Terre et frère Soleil, c’est quelque chose qui me parle. Je pense qu’il s’agit d’une tradition européenne ; cependant, il est vrai que pour moi, le jalon tchèque – le jalon Jakub Deml – est essentiel. »
« Le titre a bien sûr quelque chose de drôle avec l’association de ‘poulailler’ et ‘métaphysique’. Je pensais qu’il s’agit d’un livre très dramatique, puisqu’il parle énormément de mort, mais en fait, mais les gens s’amusent plutôt en le lisant. Le livre a donc quelque chose d’héroïcomique. »
L’écriture est-elle une activité à laquelle vous aimeriez plus vous consacrer à l’avenir ?
« Je pense que c’est assez limité pour moi, car j’écris très peu de temps le matin. Je n’ai qu’une fenêtre de une heure, une heure trente, après c’est fichu. Je serais plutôt content de publier des choses que j’ai déjà dans mes tiroirs. Par ailleurs, je suis heureux d’avoir, grâce au prix Décembre, crédibilisé à mes propres yeux mon activité d’écrivain. C’est une grande chance. »