L’appel à l’aide du rugby tchèque pour ses jeunes joueurs
Avec la Coupe du monde qui se tiendra en France cet automne, 2023 sera une année importante pour la promotion et le développement du rugby dans les pays où il est moins populaire que dans les places traditionnellement fortes du jeu. C’est le cas, par exemple, de la République tchèque, où la fédération a lancé un appel à l’aide auprès du grand public. Afin que ses équipes de jeunes (U-20 et U-18) puissent participer aux prochains championnats d’Europe pour lesquels elles sont qualifiées, et ainsi rivaliser à l’avenir avec les meilleures nations du continent, une campagne de financement participatif appelée « Nenech složit ragby » (« Ne laisse pas tomber le rugby » ou « Ne laisse pas le rugby se faire plaquer ») a récemment été lancée. Ancien joueur qui a évolué pendant treize années en France et actuel entraîneur de la sélection tchèque des U-20, Roman Šuster est à l’origine de cette collecte de fonds. Il s’est confié au micro de Radio Prague International.
« Nous sommes confrontés à des difficultés budgétaires cette année en raison de la forte augmentation des charges liées à notre participation à ces championnats d’Europe. Nous ne disposons tout simplement pas de suffisamment de moyens pour envoyer nos équipes à ces compétitions pour lesquelles nous sommes parvenus à nous qualifier et qui sont très importantes pour nous. »
De quelle somme avez-vous besoin ?
« Nous avons besoin de 3,7 millions de couronnes (157 000 euros) pour pouvoir participer à trois compétitions que sont le championnat d’Europe de rugby à XV pour les U-20 et les championnats d’Europe de rugby à VII et à XV pour les U-18. Nous avons lancé la campagne le 1er avril et nous avons pour l’instant récolté près de 790 000 couronnes (33 000 euros), soit la moitié de la première étape, qui permettrait aux U-18 de participer à leurs deux tournois. »
Quelle est l’importance pour le rugby tchèque de la participation à ces différentes compétitions ?
« Il y deux aspects. Le premier est la performance sportive des jeunes. Ces compétitions doivent leur permettre de poursuivre leur développement. C’est important aussi dans la perspective de leur intégration future à l’équipe nationale A ou seniors. Celle-ci va bientôt disputer un match pour accéder au niveau dit Trophy (l’équivalent de la 3e division européenne après le Tournoi des VI nations et le Championship où figurent actuellement l’Espagne, la Géorgie, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie et la Russie, ndlr) et nous aurons donc besoin de l’expérience que les jeunes joueurs auront préalablement acquise lors de ces compétitions européennes d’une grande qualité. »
« Le deuxième aspect est que nous aimerions bien pouvoir représenter la République tchèque et montrer que nous avons le niveau pour jouer à ce niveau-là. »
LIRE & ECOUTER
La sélection tchèque seniors évolue actuellement encore en Conférence 1 Nord (l’équivalent du 4e niveau européen) avec des pays comme la Hongrie, la Lettonie, le Luxembourg ou la Suède. Or, même si cela commence à remonter, cette même sélection tchèque évoluait encore en Championship, soit donc dans l’antichambre de l’élite européenne, juste en dessous du Tournoi des VI nations, il y a quelques années. Comment expliquez-vous cette perte de compétitivité ?
LIRE & ECOUTER
« À l’époque, beaucoup de joueurs tchèques évoluaient à l’étranger, et notamment dans des clubs français du Top 14 ou de Pro D2 ou dans d’autres pays comme l’Angleterre. Nous avions donc alors une génération exceptionnelle qui bénéficiait d’un fort soutien de la Fédération tchèque. Cela nous a permis de nous maintenir pendant un certain temps en Championship (à l’époque la compétition s’appellait Groupe A du championnat d’Europe). »
« Mais quand tous ces joueurs ont arrêté leur carrière, cela est devenu plus difficile. Nous n’avions plus le potentiel joueurs, mais peut-être plus non plus le même soutien, pour nous maintenir à ce niveau. Petit à petit, nous sommes descendus jusqu’à nous retrouver aujourd’hui en Conférence 1... »
« Nous travaillons pour que cela change, et cela passe d’abord par les jeunes. L’objectif est clairement de remonter dans la hiérarchie européenne, d’abord en Trophy à court terme, puis en Championship à moyen terme. Mais, encore une fois, cela passe par la possibilité pour nos jeunes joueurs de se mesurer aux autres sélections européenes, parce que, eux, dans leurs catégories d’âge, sont qualifiés pour le Championship. C’est vraiment avec eux que nous voulons construire, car l’idée est aussi de pouvoir leur donner la possibilité de se montrer et, pourquoi pas, ensuite, de partir dans de grands championnats européens, ce qui permettrait à notre équipe nationale de profiter de leur expérience. »
Dans l’état actuel des choses, l’équipe nationale seniors ne pourrait pas rivaliser avec des pays comme la Géorgie, l’Espagne ou le Portugal parce que la différence de niveau est trop importante. Mais qu’en est-il des sélections de jeunes ?
« Bon, cela reste compliqué même pour eux, parce que les pays que vous citez ont énormément progressé. Néanmoins, nous sommes désormais en mesure de rivaliser avec des pays comme les Pays-Bas, la Belgique, la Pologne, l’Allemagne ou même la Roumanie. Il nous arrive d’ailleurs de les battre. Nous espérons donc que nos jeunes amèneront ce niveau de performance aussi chez les seniors, et ce même si nous sommes bien conscients que cela sera toujours compliqué contre des grandes nations comme la Géorgie, le Portugal ou l’Espagne parce qu’elles ont déjà parcouru un long chemin. »
Quid de la base ? Quel est l’intérêt des jeunes Tchèques et de leurs parents pour le rugby ?
« C’est un sport qu’ils choisissent de plus en plus. Nous espérons que la Coupe du monde en France, qui sera un grand événement (et sera retransmise gratuitement par la Télévision tchèque), entraînera un boom de la popularité du rugby en République tchèque. »
« Mais cet intérêt est déjà manifeste, notamment à Prague. On voit bien que les enfants emmènent leurs enfants dans les clubs, même si on reste encore loin, là aussi, de l’Espagne ou du Portugal. Au total, nous sommes autour de 6 000 licenciés pour 32 ou 33 clubs à l’échelle du pays, ce qui reste assez peu. »
Les clubs disposent-ils de suffisamment de moyens, tant matériels qu’humains avec des entraîneurs, pour accueillir et s’occuper de ces jeunes ?
« C’est un problème, évidemment. D’abord, il y a des clubs qui n’ont pas d’équipe dans toutes les catégories d’âge. Mais, inversement, il y a aussi des clubs, notamment à Prague, qui ne peuvent pas accueillir tous les enfants et répondre à la demande. Ils ne possèdent pas suffisamment de terrains et d’entraîneurs. Oui, c’est un grand souci pour le développement du rugby. »
Où en est le championnat tchèque ?
« Il y a d’abord le championnat d’élite, l’Extraliga, auquel participent huit équipes. Puis il y a trois divisions inférieures. Je pense que les choses évoluent positivement, car nous voyons de plus en plus de jeu sur les stades tchèques et moins de bagarres. Le format des compétitions contribue à cela. Nous avons créé une compétition qui se déroule essentiellement au printemps, ce qui permet aussi aux clubs d’attirer quelques joueurs étrangers qui améliorent le niveau général. »
« Quant à l’équipe nationale, elle se porte plutôt bien. Elle occupe effectivement la première place de la Conférence 1 Nord et disputera prochainement un match très important en Lettonie pour y rester et ainsi pouvoir disputer un barrage pour la montée en Trophy. La dernière fois, nous avions échoué contre la Suède, nous espérons donc bien que cette fois, ce sera la bonne, car le rugby tchèque a besoin de cette montée ! »
Le rugby aime bien faire sa promotion à travers des valeurs que sont la solidarité, l’esprit d’équipe, le fair-play, le courage, etc. Est-ce que ce sont des valeurs auxquelles les parents tchèques sont sensibles eux aussi ?
« Ah bah, j’espère bien parce que c’est quand même ça qui est beau dans notre sport ! Ce sont des valeurs que nous respectons et que nous nous efforçons de faire vivre. Je pense même que c’est ce qu’il faudrait promouvoir davantage encore en République tchèque. Cela doit attirer les parents et plus encore les jeunes vers le rugby. »