« Ils voulaient dire l’Amérique » ou la symbolique du jean dans la Tchécoslovaquie d’avant 1989

Symbole de l’Occident et du monde libre, le blue-jean était un produit particulièrement convoité durant les deux dernières décennies du régime communiste en Tchécoslovaquie. Comment les gens parvenaient-ils à s’en procurer ? Quelles marques importées étaient alors disponibles ? À Prague, au Retro Muzeum, une nouvelle exposition rappelle le phénomène et à quoi ressemblaient les célèbres pantalons en toile bleue avant 1989.

Photo: Ian Willoughby,  Radio Prague Int.

Au dernier étage du grand centre commercial Kotva, construit dans le pur style des années 1970, se trouve le Retro Muzeum qui a accueilli plus de 50 000 personnes depuis son ouverture l’année dernière. Comme son nom l’indique, le musée, qui s’étend sur 2 500 mètres carrés, propose à ses visiteurs, nostalgiques ou simples curieux, une plongée dans une époque révolue, donnant à voir ce à quoi ressemblait la vie matérielle dans l’ancienne Tchécoslovaquie, plus concrètement la Tchécoslovaquie d’avant la chute du régimme communiste en 1989.

Photo: JOTA

Depuis quelques semaines, le musée propose une nouvelle exposition dédiée au jean, un produit très à la monde, très convoité, mais surtout peut-être aussi difficile à trouver dans la Tchécoslovaquie des années 1970 et 1980 que le Coca-Cola. Son commissaire est Michal Petrov, auteur du formidable livre intitulé « Jeans Story: Retro Blue ». Il affirme que le denim était relativement cher à l’époque, d’abord parce que le montant moyen des salaires dans les années 1980 correspondait à l’équivalent de quatre paires et demie de jeans :

« Nous n’étions pas isolés du reste du monde. En réalité, nous en étions même très proches puisque nous sommes voisins de l’Allemagne et de l’Autriche. Il y avait des touristes qui voyageaient de l’Ouest et nous voulions leur ressembler, être comme eux. Évidemment, le jean voulait dire l’Amérique. C’était le plus grand ennemi de l’URSS, et cette même URSS était notre plus grand ennemi. C’est pourquoi nous voulions porter des jeans. »

Photo: Ian Willoughby,  Radio Prague Int.

Puisqu’ils étaient si étroitement associés au fantasme de l’Occident et que leur port était mal vu des autorités, comment les Tchécoslovaques parvenaient-ils donc à se procurer des jeans ?

« Le moyen le plus simple était de demander à des membres de la famille à l’étranger. Il existait également quelques magasins en Tchécoslovaquie dans lesquels des jeans étaient parfois vendus à des prix en couronnes inconvertibles. Et puis il y avait aussi un réseau de boutiques de tailleurs illégales, qui étaient tenues par des Vietnamiens. Ils travaillaient à l’usine pendant la journée et fabriquaient des jeans chez eux la nuit. Mais la méthode la plus courante consistait à les acheter dans des magasins qui s’appelaient ‘Tuzex’, en utilisant les devises envoyées légalement par des proches qui vivaient à l’étranger ou qu’il fallait se procurer au marché noir ».

Tuzex était une chaîne de magasins de luxe dans lesquels la couronne tchécoslovaque, monnaie inconvertible à l’époque, était refusée. Les clients avaient besoin de bons spéciaux pour pouvoir acheter.

Michal Petrov affirme que la marque la plus demandée était celle qui était également numéro un sur le marché occidental :

« Le Levi’s 501 était incontestablement le jean le plus populaire. La légende était bien vivante derrière le rideau de fer aussi. Mais d’autres marques étaient aussi très appréciées. Il y avait les jeans Rifle d’Italie et la marque écossaise Wildcat. Et pour un petit groupe de gens passionnés, il y avait le British label Pace. Excusez-moi, je ne suis pas sûr de bien prononcer... Tuzex vendait aussi des salopettes de la marque DC, qui ont d’ailleurs été les derniers jeans américains que vous pouviez acheter en Tchécoslovaquie. »

Photo: congerdesign,  Pixabay,  Pixabay License

Pour beaucoup de Tchèques d’un certain âge, le mot « rifle » (prononcez « riflé »), tiré de la marque italienne très populaire dans les pays d’Europe de l’Est dans les années 1980, est d’ailleurs toujours synonyme de jean. Probablement parce qu’il s’agissait de la première marque étrangère, qui a même été la seule et unique pendant de longues années, importée en Tchécoslovaquie. Michal Petrov précise toutefois que ce mot vintage est aujourd’hui plus utilisé en Moravie qu’en Bohême.

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