Pétrole russe : la Tchéquie pas encore tout à fait indépendante
La Tchéquie, qui bénéficiera d’une nouvelle dérogation dans le cadre de l’interdiction imposée par l’Union européenne, pourra continuer à importer du gazole, de l’essence et d’autres produits pétroliers raffinés russes, pendant encore six mois. Mais à compter de l’année prochaine, elle devrait devenir totalement indépendante des importations de pétrole en provenance de Russie.
Il en va du pétrole comme du gaz. Le gouvernement a beau clamer que la Tchéquie n'aura bientôt plus besoin et pourra se passer des livraisons en provenance de Russie, pour l’heure, les raffineries tchèques n’en continuent pas moins, de s’approvisionner via l’oléoduc Droujba. Celui-là même qui a été au centre de l’attention politique et médiatique la semaine dernière lorsque, pendant deux jours, le pétrole brut en provenance de l’est de la Russie a cessé de couler dans ses tuyaux.
« En Ukraine, nous avons constaté un fort soutien de la part de la Tchéquie et de l’Autriche. Aucun de ces pays n’a bloqué les paquets de sanctions de l’Union européenne. En revanche, la Tchéquie a continué à importer du pétrole de Russie et a même augmenté ses importations. Je pense que ce n’est pas idéal », a d’ailleurs récemment regretté Vladyslav Vlasiuk, le conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky chargé des sanctions contre la Russie, dans un entretien accordé aux médias tchèques Voxpot et Denik N.
En Tchéquie, une partie du gazole ou de l’essence que les automobilistes achètent à la pompe est importée de l’étranger. Toutefois, la majorité de ces deux carburants obtenus grâce à la distillation du pétrole brut est produite en Tchéquie, et ce, par les raffineries qui se trouvent à Kralupy nad Vltavou, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Prague, et à Litvínov, dans le nord-ouest de la Bohême, à proximité de la frontière avec l’Allemagne.
Ensemble, ces deux sites couvrent environ deux tiers de la consommation totale d’essence et de gazole en Tchéquie (sur les 9,3 millions de tonnes de produits pétroliers consommés en 2023, environ 4 millions ont été importés, dont 2,4 millions depuis l’Allemagne, viennent ensuite la Slovaquie, la Pologne et l’Autriche).
Il existe toutefois une différence notable entre les deux. En effet, alors que la raffinerie de Kralupy transforme du pétrole provenant d’autres pays que la Russie, celle de Litvínov est reliée à l’oléoduc Droujba et s’approvisionne donc principalement en pétrole russe. Une situation qui devrait toutefois évoluer à compter de l’année prochaine, puisque la raffinerie sera alors raccordée à l’oléoduc IKL (Ingolstadt-Kralupy-Litvínov), une canalisation qui, depuis l’Allemagne, fournit du pétrole brut provenant de l’extérieur de la Russie et dont la capacité de transport vers la Tchéquie a été récemment augmentée. Un pipeline qui est également relié à l’oléoduc Transalpin (TAL), qui relie, lui, l’Italie, l’Autriche et donc l’Allemagne.
Jusqu’à présent, la Tchéquie faisait partie des trois pays de l’UE, avec la Slovaquie et la Hongrie, qui bénéficiaient d’une dérogation pour importer des produits pétroliers russes. Cette exemption à titre temporaire a toutefois expiré au début du mois de décembre et, selon le ministère de l’Industrie, il n’était pas nécessaire de la prolonger. La Slovaquie n’était cependant pas d’accord et la Commission européenne a accepté sa vision des choses. Cette exemption doit encore être officiellement confirmée lors de la réunion du Conseil des ministres de l’Industrie des Vingt-Sept qui se tiendra lundi 16 décembre à Bruxelles.
Directeur du département chargé de l’énergie au ministère de l’Industrie et du Commerce, René Neděla confirme que Prague ne souhaitait pas s’aligner sur la position de Bratislava et du gouvernement dirigé par Robert Fico :
« La République tchèque n’a pas besoin de cette exemption pour sa consommation. C’est ce que nous avons également déclaré à plusieurs reprises lors des discussions, mais nos collègues slovaques ont justifié leur volonté de la prolonger par la nécessité d’aider l’Ukraine et de stabiliser l’approvisionnement en produits pétroliers de l’Europe centrale, soit un argument qui a ensuite été soutenu par la Hongrie. »
Concernant la Slovaquie, la société Slovnaft, dont le siège est basé à Bratislava mais qui est une filiale du groupe pétrolier et gazier hongrois MOL, produit des carburants essentiellement à base de pétrole russe dont elle exporte ensuite la majorité, y compris vers l’Ukraine.
Mercredi, les ambassadeurs des États membres auprès de l’Union européenne ont approuvé un accord politique sur le contenu du nouveau paquet de sanctions contre la Russie, le quinzième depuis le début de la guerre en Ukraine ; des sanctions qui concernent notamment le pétrole russe. Et si la Tchéquie ne s’est pas opposée à la demande formulée par la Slovaquie et la Pologne de prolonger l’exemption de l’interdiction, c’est notamment parce que cette prolongation ne durera que six mois. Aux yeux de son Premier ministre, Petr Fiala, l’essentiel désormais se trouve ailleurs :
« Ce qui est important pour la République tchèque, c’est que grâce aux négociations que nous avons menées à tous les niveaux et à notre décision d’investir [dans le projet], l’oléoduc Transalpin (TAL) ait pu être agrandi. Cet équipement sera pleinement opérationnel à partir de l’année prochaine avec une plus grande capacité de transport et nous permettra alors de nous débarrasser complètement de notre dépendance au pétrole russe. »
Ainsi donc, lorsque la nouvelle exemption touchera à sa fin, en juin prochain, le carburant ne devrait pas manquer sur le marché tchèque, et ce d’autant moins que les raffineries, propriétés en Tchéquie de la société Orlen Unipetrol, filiale du géant pétrochimique polonais Orlen, se disent prêtes à augmenter leurs approvisionnements et à s’adapter aux besoins du marché en Europe centrale. Reste bien évidemment à voir ce qu’il en sera réellement.