« Tant de cendres » : présentation du candidat tchèque au Prix de littérature de l’UE

Roman d’Ondřej Štindl publié en 2022, « Tolik popela » (littéralement « Tant de cendres » en français) est le candidat tchèque pour le prochain Prix de littérature de l’Union européenne, qui sera décerné à la fin du mois d’avril. Entretien à son sujet, et d’autres livres encore, avec Sára Vybíralová, responsable de la promotion de la littérature tchèque dans l’espace francophone à CzechLit, le Centre littéraire tchèque.

« Il y a dans ce livre, c'est vrai, à travers son titre et sa couverture, un côté un peu déprimant ou pré-apocalyptique, comme on dit aussi parfois. C’est un roman qui se déroule pendant la pandémie de Covid-19, ce qui lui donne une ambiance noire et un peu anxieuse. En même temps, c’est aussi un livre dans lequel il y a beaucoup d’humour et même de grotesque. Ondřej Štindl est quelqu’un qui sait très bien travailler avec l’absurde, la bizarrerie, l’étrangeté. Oui, on pourrait dire que tout cela n’est pas très optimiste, mais il y a quand même un côté optimiste à la fin. »

'Tant de cendres' | Photo: Argo

« Le personnage principal a le même âge que l’auteur, il est dans la cinquantaine. C’est une sorte de ‘boomer’ sympathique qui veut bien faire, mais qui vit dans un monde qui est en train de se fissurer et de devenir instable. Une des lignes les plus importantes du roman est la relation complexe qui se tisse entre ce personnage et une jeune sociologue qui représente la ‘woke culture’ d’aujourd’hui ; entre deux personnes qui entretiennent une sorte d’amitié malgré leurs opinions et points de vue opposés. Elles se confrontent d’abord avant de se rapprocher au fil de l’histoire. C’est là que se trouve le côté optimiste et très humaniste de cette histoire, à travers la recherche de ce qui est humain au-delà des opinions que l’on peut défendre. »

Dans quelle mesure le sujet de départ du roman, à savoir un conflit de générations et d'opinions entre un traducteur et écrivain vieillissant et une jeune sociologue progressiste, est-il représentatif de la littérature tchèque actuelle ?

« C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, car il faudrait d’abord définir ce qu’est la littérature tchèque actuelle. Or, je trouve qu’elle est très diverse. Et si le jury a choisi ce roman, c’est justement parce que nous pensons qu’il dépasse les standards de la littérature tchèque d’aujourd’hui. »

Quels sont ses standards ?  Et qu’est-ce qui, dans ce roman, pourrait séduire les lecteurs étrangers, comme le jury l’a mentionné ?

« C’est une histoire qui va au-delà de ce cadre en puisant dans des situations et des relations, en ouvrant sur des questions de conflits de générations sans les présenter d’une manière simpliste. Ondřej Štindl n’est pas seulement un psychologue, c’est aussi un ‘styliste’ dans le sens où sa langue contribue au grand plaisir que l’on prend à lire le roman. C’est un peu compliqué à expliquer dans le sens où l’histoire est difficile à saisir et à résumer en quelques mots. Mais c’est ce qui fait aussi son intérêt. »

Ondřej Štindl est aussi journaliste. Est-ce un aspect que l’on retrouve dans le style de son roman ?

Ondřej Štindl | Photo: Věra Luptáková,  ČRo

« Disons que c’est un style d’écriture avec du rythme ; ce qui n’est pas toujours le cas. Je trouve que dans la production prosaïque tchèque actuelle, on retrouve une langue très simpliste et plate. À mon avis, Ondřej Štindl est une exception, car il puise dans son métier de journaliste pour simplifier son style d’écriture. Mais il a un rythme et plusieurs registres. Lorsque, par exemple, on se retrouve dans le monologue intérieur du personnage, on ressent bien le changement de style vers quelque chose de plus poétique, ironique, voire absurde. Je parlerais même d’une langue presque savoureuse. »

Le jury était composé de cinq membres. « Tolik popela » a-t-il fait l’unanimité ? Ou d’autres romans ont-ils été aussi envisagés ?

« Un débat a précédé le choix, évidemment. Je représente CzechLit, à savoir l’organisation chargée de la nomination, tandis que les autres membres étaient des critiques littéraires de la jeune génération. Disons que nous sommes parvenus à un consensus, pas tout à fait unanime au début. Après le vote, nous avons continué à discuter, et lors du débat, chaque membre du jury a fait part de son coup de cœur. Mais finalement, le seul consensus possible était de trouver un point d’équilibre, un juste milieu, et c'est ce que nous avons fait avec 'Tolik popela'. »

Vous avez souligné que les autres membres du jury étaient des critiques. Vous êtes la représentante de CzechLit, le centre littéraire à Prague chargée de la promotion de la littérature tchèque à l’étranger. Vous êtes responsable de l’espace francophone. Cette position influence-t-il votre regard sur le choix du nominé ? Autrement dit, votre choix diffère-t-il de celui des critiques ?

Sára Vybíralová | Photo: České literární centrum

« Peut-être. Nous sommes une institution chargée de la promotion de la littérature. Quand je réfléchis au sujet d’un livre, j’ai donc toujours un peu cette arrière-pensée ‘marketing’. Comment pourrait-on le vendre ? Quelle maison serait susceptible de l’éditer en France ? Mais cela est aussi l’objectif de ce Prix de l’UE. C’est un prix spécifique, un peu un outil de marketing qui doit servir à faire voyager la littérature européenne et permettre de faire émerger de nouvelles voix. »

« Parmi toutes les productions étrangères actuelles, nous choisissons à partir de critères qui restreignent notre choix dans un premier temps. Par exemple, l’auteur doit être encore émergent, il ne doit pas avoir publié plus de quatre romans et ceux-ci ne doivent pas encore avoir été traduits dans plus de quatre langues. Ondřej Štindl était à la limite, car il est déjà assez connu et il s’agit de son quatrième roman. »

Vous êtes responsable de tout l’espace francophone, donc pas seulement de la France puisque, par exemple, un roman tchèque sera prochainement publié en Algérie. Cette réflexion marketing, est-ce un travail compliqué quand il s'agit de 'vendre' cette littérature tchèque dans le monde francophone ?

« Difficile, je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que c’est certes un beau travail, mais qui ne porte pas toujours énormément de fruits. Ceci dit,  y a quand même des traductions qui se réalisent. Nous sommes aidés et ne sommes pas seuls dans cette diffusion de la littérature tchèque : ce sont surtout les traducteurs qui effectuent le travail le plus important dans cette promotion et dans la mise en relation entre les différentes parties intéressés dans un projet de traduction. »

« Quand je lis un livre tchèque, j’essaie de me projeter, de me mettre dans la position du lecteur étranger potentiel. Je lis des livres français ou d’ailleurs. Il ne s’agit pas toujours de rechercher des éléments exotiques ou très étrangers. Ce que l’on recherche d’abord dans nos lectures, c’est la qualité ou une sorte de découverte. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit centrale dans le livre. Je m’efforce de me mettre dans la peau d’une lectrice et d’envisager le roman en tant que tel. J’imagine que je vis par exemple à Clermont-Ferrand ou que je ne suis allée à Prague qu’une seule fois dans ma vie et je me demande si j’ai envie de lire une histoire qui s’y passe, une histoire qui soit à la fois universelle et localisée. »

La République tchèque est un pays de taille moyenne à l’échelle européenne. Dès que l’on franchit ses frontières pour en sortir, on se dit parfois qu’on y vit comme dans un village un peu hermétique à ce qui se passe ailleurs en Europe et dans le monde. Est-ce là quelque chose que l’on retrouve aussi dans la littérature tchèque, dans le sens où, peut être, les auteurs auraient tendance à trop rester dans un environnement tchèque, notamment pour le choix des thèmes ?

« Peut-être, en effet, mais pas toujours. On peut quand même citer plusieurs œuvres qui ont rencontré beaucoup de succès et qui ne sont pas du tout ‘tchèques’. Tout commence à s’ouvrir, le monde est de plus en plus connecté, et les auteurs, eux aussi, voyagent, vivent ailleurs, tout en continuant à écrire en tchèque. »

« Des sujets plus globaux infiltrent également notre littérature. On peut citer Anna Cima qui a écrit au Japon et propose donc ces sujets japonais, Markéta Pilátová qui a écrit plusieurs romans se déroulant en Amérique latine où elle a vécu, ou encore Jaroslav Rudiš... Mais je pense que cela fait du bien aussi de vivre dans un village d’une certaine manière, du moins tant que l’on ne ferme pas la fenêtre complétement. »

Pour en revenir à ce Prix de l’UE de la littérature, qui exste depuis 2010, il y a eu depuis quatre lauréats tchèques : Tomás Zmeškal en 2011, Jan Němec en 2014, Bianca Bellová en 2017 et Lucie Faulerová en 2021. Qu’est-ce que ce prix a changé pour eux ? A-t-il abouti à davantage de traductions ?

« Oui, surtout les trois premiers ont été beaucoup traduits, mais d’abord parce qu’ils sont les auteurs de beaux livres. Ce n’est donc pas seulement grâce au prix, même si ce dernier y a bien sûr contribué. En particulier, « Le Lac » de Bianca Bellová a été énormément traduit et cela ouvre la voie pour d’autres romans de cette autrice. Je peux ainsi annoncer avec plaisir qu’elle sera rééditée en France l’année prochaine. »

Par contre, dans le cas de Tomás Zmeškal, qui a été le premier lauréat tchèque du Prix de l'UE, son roman « Lettre d’amour en cunéiforme » a été très bien accueilli par la critique sans pourtant jamais trouver d’éditeur pour le français...

« En effet, malheureusement cela arrive aussi parfois, mais peut-être que ce n’est pas encore définitif. »

Le livre a été traduit dans diverses langues, sauf le français. Cherchez-vous parfois des explications ?

« Je cherche une explication que je n’ai toutefois toujours pas trouvée. J’ai quand même une hypothèse. Ce qui est intéressant, pour moi, est de comparer le marché du livre francophone, avec par exemple, l’italien ou l’espagnol, où, en ce qui concerne les romans, la littérature tchèque fait l’objet de beaucoup plus de traductions. »

« Je me trompe peut-être, mais je pense que la France, en tant que pays postcolonial, couvre beaucoup plus d’espaces dans ce qu’elle publie. On y lit donc beaucoup de littérature africaine ou de l’espace méditerranéen. Le marché du livre français est très ouvert sur le monde, mais peut être que l’espace de l’Europe centrale et de l’Est reste un peu à l’écart, on y prête moins attention. C’est en tout cas mon impression. Mais je pense aussi que cela commence à changer, on cherche désormais davantage à couvrir tous les espaces, ce qui est une approche qui me plaît beaucoup. »

Pour être plus concret, quels sont les derniers livres tchèques qui ont été traduits en français et quels sont ceux qui paraîtront prochainement ?

« Parmi les romans, le dernier a été ‘Hana’ d’Alena Mornštajnová, un livre à succès en Tchéquie et publié par une nouvelle maison d’édition très intéressante. En ce moment, certaines parutions vont avoir lieu dans les jours à venir, notamment « Žítkovské bohyně», qui va s’appeler en français « Les dernières déesses » de Kateřina Tučková (l'article de RPI a été publié avant la traduction du livre, d'où un titre différent, ndlr.). Vous avez déjà évoqué une traduction en Algérie. Il s’agit du roman de Štěpán Kučera « La plus grande leçon de Don Quichotte » qui va être publié par une maison d’édition algérienne en français. »

De quel livre s’agit-il exactement ?

'La plus grande leçon de Don Quichotte' | Photo: Druhé město

« Le roman sur Cervantes se déroule en partie en Algérie et c’est pour cette raison que cela attirait l’éditeur algérien et j’espère que cela attirera les lecteurs algériens, et français également. Mais il y aussi des bandes dessinées qui se traduisent et des livres pour enfants. Le plus récent était un petit livre de Jiří Dvořák 'Comment dorment les animaux'. Il se vend apparemment très bien en France. Et concernant la bande dessinée, c’est toujours un plaisir parce que le monde de la BD est très petit en Tchéquie et de manière surprenante, la BD tchèque a beaucoup de succès en France récemment. »

Comment la présenteriez-vous ? Pourquoi est-elle si intéressante et qu’est-ce qui la définit en quelque sorte ?

'Comment dorment les animaux ?' | Photo: Baobab

« Il est toujours difficile de déduire des traits communs de quelque chose d’aussi divers. Chaque créateur a un personnage et je trouve que ce sont des créations de qualité, originales. Le succès est toujours un mystère mais la tendance est peut-être aussi à s’ouvrir, à chercher de nouvelles voies de manière générale dans le monde de la bande dessinée : apporter de nouveaux sujets, de nouvelles thématiques, diversifier le paysage. »

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