« Nakládaný hermelín » : un fromage royal… lorsqu’il est en marinade

Du fromage et de l’huile : a priori rien de bien appétissant… et pourtant ! D’ailleurs, nous avons fait le test : s’ils commencent souvent par faire la grimace, les Français et autres puristes des produits laitiers fermentés se laissent en général séduire par le « nakládaný hermelín », un en-cas qui accompagne parfaitement la bière, et qui existe sous autant de formes et de goûts qu’il y a de hospody en République tchèque.

Conviction populaire tchèque dont on ne saurait dire si c’est une vérité médicale, il paraîtrait que l’amertume de la bière favorise la bonne digestion des plats gras. Quoi qu’il en soit, il est vrai que le goût du houblon accompagne particulièrement bien les saveurs de certains plats tchèques, le hermelín mariné accompagné de pain étant l’un de ces plats que l’on retrouve à la rubrique « Chuťovky k pivu » (« Amuse-gueules pour accompagner la bière ») sur le menu des bars et restaurants.

Tout un fromage

Mais au fait, de quoi s’agit-il ? Il y a quelques années, la coorganisatrice d’un événement gastronomique consacré aux fromages marinés (qui se tenait alors chaque année sur l’île de Kampa, à Prague), Bára Kopecká, nous avait expliqué le principe du « nakládaný hermelín », ainsi que l’un des grands avantages de ce petit plat :

« C’est une sorte de camembert, très populaire en République tchèque. Ça se mange beaucoup avec de la bière. Pour faire du ‘nakládaný hermelín’, on met le fromage dans l’huile et on peut ajouter ce qu’on veut : de l’oignon, de l’ail, des aromates et des épices. Puis il faut le laisser mariner pendant cinq jours, mais pas dans un frigo. Le mieux est de le laisser dans une pièce à 15-20 °C, puis il est prêt à être mangé. »

« Après trois ou quatre bières, un bon hermelín mariné permet de ne pas avoir la gueule de bois le lendemain. »

Photo: Martin Čuřík,  ČRo

Du gras et du goût

Photo: Michael Erhart,  ČRo

Une rapide recherche de recettes sur Google donne des milliers de résultats : clairement, les oignons ne sont pas une obligation ; certains cuisiniers garnissent en revanche les deux moitiés de hermelín (coupé dans son épaisseur, à l’horizontale) de noix, de figues, de pruneau ou encore de poire. Et pour ce qui est des aromates et des épices, on peut là aussi varier à l’infini et laisser libre cours à son imagination, sans se cantonner au classique trio feuille de laurier-poivre-piment de Jamaïque. Place par exemple au romarin ou au thym, à l’anis étoilé ou à la cannelle, au paprika doux ou au piment, etc.

Hermelín 4D

Hermelín | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

On le sait : à la différence de la France, où sont recensées quelque 1200 variétés de fromages français (d’après le Centre National Interprofessionnel de l’Economie Laitière), la République tchèque n’est pas une nation d’affineurs. Amateurs d’expériences gustatives fortes, passez votre chemin : à l’exception des « olomoucké syrečky » (ou « tvarůžky »), vous serez sans doute déçus. Frais, le hermelín ne réjouira guère vos papilles ; en revanche, mariné, il s’affirme et prend une nouvelle dimension, qui ne cessera de gagner en intensité que lorsque vous l’extirperez de son bain d’huile parfumée pour le consommer. Si vous l’avez oublié sur une étagère de la cuisine, d’ailleurs, attention au moment d’ouvrir le bocal : la bouffée aromatique qui s’en échappe peut faire chanceler même les gourmets les plus téméraires. Tout comme les estomacs les plus sensibles laisseront sur le bord de leur assiette les lamelles d’oignon cru.

Le « roi des fromages »

Hermelín | Source: Král sýrů

L’histoire du hermelín mérite qu’on y consacre quelques instants – tout comme son nom. Après la Première Guerre mondiale, les fromagers tchèques ont inventé un fromage à pâte molle et à croûte fleurie sur le modèle du camembert. L’appellation « camembert » étant protégée, c’est « hermelín » qu’il a été appelé, un mot tchèque qui signifie « hermine », choisi en raison de la ressemblance avec une cape de rois de la moisissure noble qui se trouve sur la surface moulée de ce petit fromage blanc. « Hermelín », une appellation qui a ensuite été déposée le 9 février 1946.

Hermelín piquant | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Fine bouche ou bec fin

S’il a l’apparence d’un petit camembert, le hermelín est, de par son goût, plus proche du brie. Ceux qui le trouvent trop fade tel quel l’apprécient en général, outre dans sa marinade, dans sa version panée : il devient alors « smažený hermelín », un autre classique des restaurants tchèques que les Français regardent souvent de haut avant de succomber à sa pâte coulante dans sa chapelure croustillante.

Néanmoins, tous ne sont pas séduits par cette approche panée ou marinée du fromage. Il y a quelques années, Mickaël Bernon, entrepreneur vendant notamment des fromages français en République tchèque, nous avait expliqué qu’en matière de fromage, lui préférait largement la qualité à la quantité :

« Tout cela correspond un peu à la façon de manger du fromage qui est celle de beaucoup de Tchèques, à savoir manger 100 grammes de fromage d’un seul coup. C’est ce qu’il faut sans cesse expliquer aux gens : quand le fromage a du goût, 10 ou 20 grammes en fin de repas peuvent suffire. Le problème est qu’ici ils peuvent faire un repas à base de fromage. Personnellement, je trouve cela trop indigeste. »

Un classique des hospody

Hermelín mariné | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Pour en revenir au hermelín mariné, difficile de savoir qui est le cuisinier ou gourmet qui a eu l’idée de plonger ce mets gras en soi dans de l’huile, tout comme on ne sait pas dater cette création gastronomique. Notre expérience personnelle nous permet néanmoins d’affirmer qu’il figure au menu de toutes les hospody tchèques (ou presque) depuis au moins deux décennies. Sans vouloir généraliser, petit bémol toutefois, même s’il est peut-être tout à fait subjectif : on trouve que la qualité gustative du « nakládaný hermelín » a tendance à décliner ces dernières années, certains établissements le servant même– ô sacrilège – directement sorti du frigo, à savoir froid, et parfois simplement recouvert d’une couche d’huile dans laquelle il n’a clairement pas mariné – ce qui, vous en conviendrez, est quand même le comble pour un « nakládaný hermelín » !

Photo: Martin Čuřík,  ČRo

Pour éviter la déception, la solution est sans doute de préparer vous-même vos hermelín marinés. Vous l’avez compris : il vous faut un hermelín, de l’huile et de la créativité. Les possibilités sont infinies, et pas qu’en matière d’arômes de marinade. Nous avons testé pour vous : rien ne vous empêche d’utiliser de l’huile d’olive plutôt que de l’huile de tournesol… voire d’y faire mariner des fromages tout autres que le hermelín !

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