Liberté de la presse : la Tchéquie, 17e au classement RSF 2024
A l’occasion de la Journée mondiale de la presse, l’organisation Reporters sans frontières a publié son index annuel, faisant l’état de la liberté de la presse dans le monde. La Tchéquie se classe à la 17e position (14e en 2023). Radio Prague Int. fait le point sur la situation des médias dans le pays.
Un paysage médiatique bouleversé, puis remodelé depuis 2013
LIRE & ECOUTER
Le paysage médiatique tchèque a été profondément bouleversé par le rachat en 2013 du groupe Mafra, par l’homme d’affaires Andrej Babiš, animé par des ambitions politiques concrétisées dans son mouvement politique ANO et sa participation au gouvernement, d’abord en tant que ministre des Finances puis en tant que Premier ministre. Plus de dix ans plus tard, ce dernier est passé dans l’opposition, a décidé de vendre « ses médias » et, au début de cette année, l’Office tchèque de la concurrence a donné son feu vert au rachat du groupe médiatique Mafra par le groupe Kaprain (propriété d’un autre entrepreneur, Karel Pražák).
Dans le contexte d’une forte concentration des médias déjà existante dans le pays, cette mainmise médiatique et ce mélange des genres entre affaires, médias et politique, avait conduit à l’adoption en 2016 de la « Lex Babiš » qui, entre autres, interdit aux membres du gouvernement d’être propriétaires de médias – une loi durcie en 2023 par les députés de la nouvelle majorité.
L’affaire Mafra, qui a entraîné des investissements d’autres milliardaires et le départ de nombreux journalistes vers de nouveaux horizons, a paradoxalement permis la création de nouveaux médias indépendants en ligne, et/ou papier. Une situation qu’on pourrait qualifier d’« un mal pour un bien » puisque cela a remodelé et renouvelé une partie du paysage médiatique du pays.
A noter d’ailleurs que l’hebdomadaire de référence Respekt a annoncé à l’automne 2023 quitter le groupe Economia d’un autre milliardaire, Zdeněk Bakala, sa rédaction devenant en partie actionnaire du titre dans un autre groupe.
Des médias publics « de confiance », mais soumis à des logiques économiques
Du côté des médias du service public, en comparaison avec d’autres régions comme les pays scandinaves, il y aurait probablement beaucoup de choses à faire et à redire, mais si l’on compare avec les pays d’Europe centrale et orientale, les médias publics tchèques s’en sortent plutôt « bien » - a fortiori à la lumière de ce qui se déroule actuellement chez le voisin slovaque où le gouvernement de Robert Fico a approuvé une loi qui mine l’indépendance de l’opérateur audiovisuel public (RTVS). Ils sont globalement indépendants et respectés par les citoyens tchèques.
LIRE & ECOUTER
L’actuelle majorité gouvernementale a fait passer un projet de loi visant à changer le fonctionnement des conseils de surveillance des médias publics et à renforcer leur indépendance. Cette réforme de l’élection de leurs membres était attendue depuis longtemps pour essayer de contrebalancer l’influence exclusive d’une tendance politique ou d’une autre au sein de la Chambre basse du Parlement. Depuis 2023, députés et sénateurs votent désormais de concert pour renouveler les membres de ces conseils.
Selon une étude du Reuters Institute de 2023, la Radio tchèque est le média qui bénéficie de la plus grande confiance du public (59 %) suivi de la Télévision tchèque (57 %), puis du quotidien économique Hospodářské noviny (55%). Fait notable, le site d’informations Seznam Zprávy, issu à l’origine du projet à succès d’un moteur de recherche local, et où se sont « réfugiés » de nombreux journalistes inquiets des pressions dans leurs anciens médias, arrive à la 4e place (54%).
L’audiovisuel public tchèque reste toutefois soumis à des logiques économiques, avec des licenciements survenus ces dernières années à la Radio tchèque et prévus à terme pour la Télévision tchèque. D’où la campagne menée actuellement pour la hausse de la redevance audiovisuelle, farouchement battue en brèche par les populistes : une redevance qui n’a pourtant pas augmenté depuis 2005 pour la Radio et 2008 pour la Télévision.
Hausse de la défiance et scène de désinformation en sourdine
Si les chiffres du Reuters Institute apparaissent comme une bonne nouvelle pour les médias du service public et pour les médias dits « traditionnels », ils ne peuvent cacher une réalité moins rose : celle de la baisse globale de la confiance des Tchèques dans les médias en général, et plus particulièrement pour ces mêmes médias traditionnels. Selon les conclusions du Digital News Report pour 2023, la confiance des Tchèques dans les médias est d’environ 30 %, soit le niveau le plus bas jamais enregistré par cette enquête depuis 2015.
Une tendance à mettre en parallèle avec la présence d’une scène de désinformation locale importante, sous les radars certes, mais en ébullition depuis le Covid-19 et la guerre en Ukraine, avec des personnalités publiques qui attisent la défiance vis-à-vis des médias classiques. A cet égard, la Tchéquie a eu un temps un chargé gouvernemental pour les médias et la désinformation, poste créé après le début de la guerre en Ukraine, mais supprimé en février 2023.
Si la situation de la liberté de la presse en Tchéquie est globalement meilleure qu’elle ne le fut un temps, de nombreux experts estiment qu’il n’y a pas, dans le pays, de réelle volonté politique d’aborder de manière systématique la question de l’indépendance des médias, mais aussi des opérations d’influence menées par des acteurs étrangers. Récemment une cyberattaque contre l’agence de presse tchèque ČTK, avec deux fausses informations publiées sur son site web par un acteur extérieur, constitue un précédent notable en ce qu’il visait à miner la confiance du public dans ce pillier de la scène médiatique.
Accueillir les journalistes persécutés
A noter toutefois qu’à moins d’un revirement politique notable, la Tchéquie tente de se positionner comme un hub d’accueil pour les journalistes étrangers menacés. Alors que le siège de Radio Free Europe se trouve à Prague depuis 1995, la capitale tchèque a été envisagée pour accueillir un centre pour les journalistes russes indépendants qui ont fui leur pays. C’est en tout cas le projet défendu – mais non concrétisé pour l’heure –, par l’euro-commissaire tchèque et vice-présidente de la Commission européenne Věra Jourová.
En outre le ministère des Affaires étrangères tchèque rappelle en cette Journée de la liberté de la presse qu’en réponse à l’agression de la Russie contre l’Ukraine, la Tchéquie a délivré plus de 1 000 visas Schengen à des militants et des journalistes indépendants qui ont été contraints de quitter leur pays au cours des deux dernières années.