Milan Kundera (1929-2023)

Milan Kundera, photo de la Bibliothèque Milan Kundera à Brno

Décédé ce mardi à l’âge de 94 ans, l’écrivain Milan Kundera a marqué de son empreinte la littérature mondiale. Son œuvre, son parcours et sa vie ont évidemment fait l’objet de nombreux entretiens au cours des années sur nos ondes. Malgré son refus de parler aux médias depuis des décennies vous entendrez ici sa voix, ainsi que celle de certains de ses proches, plusieurs de ses collaborateurs et enfin ses biographes et traducteurs.

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Enfance morave et jeunesse stalinienne

Né en 1929 dans la métropole morave de Brno, d’un père musicologue et pianiste, Milan Kundera : d’où son penchant pour la musique, qui traverse toute son œuvre littéraire. Diplômé de l’école de cinéma de Prague, la FAMU, où il continue à enseigner la littérature jusqu’en 1970, Milan Kundera rentre en littérature par la poésie.

'L’Homme,  ce vaste jardin' | Photo: Československý spisovatel

En 1953, il publie un recueil de poèmes d’inspiration marxiste, intitulé « L’Homme, ce vaste jardin », et il continue dans cette veine jusqu’en 1957. Kundera allait prendre, plus tard, ses distances avec cette période stalinienne de sa carrière littéraire qui, pour lui, ne commence véritablement qu’avec la publication du recueil de nouvelles Směšné lásky (Risibles amours), écrites dans les années 1960.

En 1950, Milan Kundera, alors âgé de 21 ans, est exclu du Parti communiste, accusé d’une supposée activité dirigée contre l’Etat. Il réintègre néanmoins le parti une seconde fois, en 1956.


J-D Brierre : « Je ne me doutais pas qu’il avait joué un rôle si important en tant qu’intellectuel communiste dans les années soixante. »

« J’ai écrit une biographie de Milan Kundera qui n’en est pas une », remarque Jean-Dominique Brierre, auteur du remarquable livre « Milan Kundera - Une vie d’écrivain », paru en 2019 aux éditions de L’Archipel. Un récit captivant, dont l’équivalent n’existe pas en Tchéquie, et qui permet de découvrir le riche parcours de l’un des écrivains majeurs du demi-siècle dernier. Au micro de Radio Prague, Jean-Dominique Brierre raconte le grand défi qu’a représenté pour lui l’écriture de cette biographie littéraire consacrée à Milan Kundera, personnage secret, paradoxal et absent des médias :

« J’avais un peu peur de la réaction de Milan Kundera. Avant d’écrire, je lui ai envoyé une lettre pour le prévenir, où je lui disais que j’aimerais bien le rencontrer tout en sachant que ce ne serait sans doute pas possible. Il n’a pas répondu. Après avoir fini mon livre, je le lui ai envoyé, et à ma grande surprise, il m’a adressé une très gentille lettre pour me remercier. Je sais qu’il a beaucoup aimé mon livre. »

Dans votre livre, vous parlez peu de la vie privée de Milan Kundera, à l’exception d’un personnage qui a exercé une grande influence sur sa vie : c’est son père, Ludvík Kundera, pianiste de renommée internationale, musicologue et professeur. Au début du livre, vous racontez que Ludvík Kundera a veillé avec beaucoup de rigueur à la formation musicale de son fils qui se destinait d’ailleurs jusqu’à l’âge de 25 à une carrière de musicien. Que représente pour vous, qui êtes musicologue, le fait d’écrire sur le rôle que joue la musique dans les romans de Kundera ?

« Le cas de Kundera est très particulier dans la littérature : je ne connais pas de romancier contemporain chez qui la musique est aussi présente. A la fois, il parle énormément de musique et de musiciens, notamment de Beethoven, Janáček et Stravinsky, et aussi, la musique l’a influencé dans sa manière d’écrire. C’est-à-dire qu’il construit, qu’il compose ses romans comme des œuvres musicales, avec des rythmes, des parties lentes, des parties rapides… C’est un phénomène unique. Il y a d’autres écrivains, comme Lawrence Durrell, qui ont été influencés par la musique, mais pas à ce point. Kundera écrit aussi que, souvent, quand les romanciers commencent leur livre, ils ne savent pas encore comment il va finir. Lui, au contraire, il sait exactement comment cela va finir, comme un musicien qui connaît la fin de son œuvre quand il la compose. »

En écrivant votre livre, qu’avez-vous appris de nouveau sur Kundera ?

« Je ne me doutais pas qu’il avait joué un rôle si important en tant qu’intellectuel communiste dans les années soixante. Car Kundera est très peu bavard sur ce passé, il ne renie pas, mais il a tendance à minimiser. En consultant les documents et les archives, on s’aperçoit qu’il était un intellectuel de premier plan dans la société communiste tchécoslovaque de cet époque-là. En France, on l’ignore complètement. »


En 1967, Milan Kundera publie le premier de ces grands romans, La Plaisanterie (Žert) qui lance sa carrière internationale. Un roman polyphonique où se croisent quatre destins. Un roman qui se passe à l’époque des purges staliniennes en Tchécoslovaquie, mais qui reste, pour son auteur, essentiellement un roman d’amour. L’écrivain et ancien professeur de l’Université libre de Bruxelles, Jan Rubeš, recommande La Plaisanterie à ceux qui n’ont encore rien lu de Kundera et souhaitent découvrir son univers :

« Je pense que La Plaisanterie est le livre fondamental. Il contient les grands thèmes que Kundera va développer dans ses autres romans. Parmi ces thèmes il y a l’humour. Il ne faut pas oublier que Kundera se lit avec délectation. C’est un homme qui a un grand sens de l’humour et du paradoxe où il mélange l’histoire, les destins des individus et les dimensions un peu psychologiques. Il joue avec ses personnages. On a l’impression que ses romans sont écrits comme un dialogue entre les personnages et l’auteur et parfois il laisse même entrer le lecteur dans ses romans, en demandant par exemple : ‘Que fera-t-on de ce garçon ?  Va-t-il aller au rendez-vous ou bien va-t-il rester à la maison ?’  C’est comme un échiquier sur lequel il bouge ses personnages. Et cet échiquier c’est en fait le monde actuel avec tous les défis et tous les obstacles, et ces personnages ce sont ses protagonistes et c’est nous. Donc, je pense que c’est un jeu d’échecs qu’il développe dans chaque roman et La Plaisanterie pour moi, est caractéristique de cela.

Ensuite il y a L’Insoutenable légèreté de l’être, le roman postérieur, qui parle de différents destins possibles et de l’exil et qui est inspiré aussi par l’expérience vécue par Kundera en France. Je pense que ce sont les deux grands romans qui constituent l’axe de l’œuvre de Kundera. »

Puisque l’écrivain continue de critiquer le régime, il en est exclu définitivement en 1970, en même temps qu’il est renvoyé de la faculté de cinéma et interdit de publication dès 1968.


Départ pour la France 

Sans avenir professionnel dans leur pays d’origine, Milan Kundera et son épouse Vera, ancienne présentatrice à la télévision tchécoslovaque licenciée elle aussi pour des raisons politiques après le Printemps de Prague, quittent tous les deux la Tchécoslovaquie pour la France en 1975. Pendant deux ans, l’écrivain séjourne légalement en France, en qualité de professeur à l’Université Rennes 2.

Photo: Folio

Avant cela, Milan Kundera écrit deux autres romans : La vie est ailleurs et La valse aux adieux qui forment une sorte de trilogie avec La Plaisanterie. Deux romans dont sont d’abord publiées les traductions en français, avant même la version tchèque, non officielle, publiée  aux éditions Sixty-Eight-Publishers à Toronto. A la fin des années 1970, l’écrivain, qui est en permanence dans le viseur de la police secrète communiste, décide de s’installer définitivement en France. En 1979, suite à plusieurs interviews qu’il accorde à la presse française, mais surtout suite à la publication de son roman Le livre du rire et de l’oubli, les autorités tchécoslovaques lui retirent sa citoyenneté, alors qu’il obtient, en 1981, la nationalité française.

Le grand roman de Kundera L’Insoutenable légèreté de l’être, adapté en 1988 au cinéma par le réalisateur Philip Kaufman, est publié pour la première fois en France en 1984, encore traduit du tchèque. Mais progressivement, Kundera passe du tchèque au français. Cette conversion ne se fait pas sur le plan du roman, mais dans le domaine de l’essai qui constitue, lui-aussi, une partie importante de l’œuvre de Kundera.


Auteur de langue française... finalement traduit en tchèque  

A partir des années 1990, Milan Kundera rédige ses romans en français Il écrit d’abord plusieurs textes et articles pour la presse, écrit sur l’histoire du roman, sur certains romanciers, et ces textes sont publiés en français, dans des revues littéraires. Progressivement, il rassemble ces textes dans un volume intitulé L’Art du roman. Cela date à peu près de 1990, et à partir de ce moment-là, il décide d’écrire en français aussi ses œuvres littéraires.

En 2020, la sortie en tchèque de La fête de l'insignifiance (Slavnost bezvýznamnosti) par les éditions Atlantis est donc un véritable événement. La précédente publication officielle d’un livre en tchèque de Milan Kundera datait de 1993 avec L’immortalité, écrit en français et traduit par l’auteur dans sa langue maternelle. Publié en français en 2013, ce roman a été traduit en tchèque par Anna Kareninová, qui nous a parlé de ce cette traduction pas comme les autres.

Anna Kareninová : «  Ce n’est pas une traduction habituelle mais plutôt la reconstruction de la langue d’un grand écrivain. Donc j’ai essayé de reconstruire, reconstituer son tchèque – et c’était difficile, vraiment difficile… »

C’est-à-dire que quand vous lisez une phrase de Kundera en français, vous vous demandez comment il l’aurait écrite en tchèque, ou comment il l’a pensée en tchèque ?

« Tout à fait. J’ai cherché dans les romans qu’il a écrits en tchèque les procédés syntaxiques et le vocabulaire employés. Donc le vocabulaire est le sien. »

Avez-vous été régulièrement en contact avec Milan Kundera pour ce travail ?

« Quand il m’a demandé de traduire La fête de l’insignifiance, j’ai dit que l’allais traduire une partie du roman puis la soumettre à son consentement. Une fois que j’ai terminé, nous avons envoyé la traduction à Paris, à M. Kundera et son épouse et nous avons travaillé sur la traduction pendant plusieurs mois pour parvenir à reconstituer sa langue personnelle. »

Comprenez-vous pourquoi Milan Kundera a changé d’avis, lui qui ne voulait pas laisser traduire en tchèque par d’autres ses romans écrits en français ?

« Je comprends, et j’en étais d’abord très triste… Il s’est résigné au fait qu’il n’avait plus la force ou bien le temps de traduire en tchèque ses quatre livres écrits en français. Mais comme il est très soucieux de ces traductions, alors il a préféré veiller sur la traduction en tchèque pour avoir une influence sur ce que ses livres français deviennent en tchèque. »

En tant que traductrice tchèque, repérez-vous parfois le tchèque derrière la phrase écrite en français par Milan Kundera ?

« Non, ça non, mais plutôt l’inverse. En traduisant son français et en essayant de trouver les procédés de son style dans ses anciens livres écrits en tchèque, j’ai trouvé qu’il avait écrit avec des procédés français, j’ai retrouvé l’influence du français sur son écriture en tchèque même avant son départ en France… »

C’est assez étonnant !

« Oui, c’était très étonnant pour moi ! Mais il était traducteur vers le tchèque lui aussi et il a notamment très bien traduit Guillaume Apollinaire et je crois que c’était vraiment sa façon de penser et d’écrire. »


Même si Milan Kundera n’accorde plus d’interviews aux journalistes depuis 1985, il a fait une exception dix ans plus tard, lorsque le président Václav Havel lui a remis une distinction d’Etat. Il s’est alors confié à un journaliste de la Radio tchèque de Brno :

« J’ai été très ému. Ce qui m’a ému encore plus c’était une lettre que j’ai reçue de la part de Václav Havel. Il m’a écrit que pour lui, cette distinction était comme un point final. Un point final derrière toutes les interrogations sur mon rapport à ma patrie et vice-versa. Le rapport au pays natal où vous ne vivez plus est toujours problématique. Lorsque vous êtes absent pendant deux, trois ou même cinq ans, le retour est encore relativement facile : rien n’a vraiment changé chez vous. C’est comme si vous reveniez après une maladie ou après les vacances. Or moi, j’ai été absent pendant vingt ans… Maintenant, je suis établi en France, dans mon écriture, je me rapporte à la vie en France, à la langue française. C’est pareil pour vous, dans le milieu tchèque. Je n’en sais rien sur mes retours au pays et dans l’univers littéraire tchèque. Je n’ai jamais rien su de mon avenir. Lorsque avec ma femme, nous avons quitté le pays, nous n’avons espéré une seconde de revoir un jour la Vltava ou le château de Špilberk. Depuis, la vie est pour moi une énorme surprise sans fin… »


LA polémique

En 2008 a été publié dans la presse tchèque un procès-verbal daté de mars 1950 selon lequel Milan Kundera aurait dénoncé à la police Josef Dvořáček, déserteur de l’armée tchécoslovaque. L’écrivain a fermement rejeté cette accusation et a mis en cause l’authenticité du document. Dans quelle mesure cette affaire très suivie et commentée a compliqué encore davantage les relations de Milan Kundera avec sa patrie tchèque ?

Jan Rubeš : « Je pense que  c’était effectivement la dernière goutte qui a fait déborder le vase. Personne ne sait ce qui s’est passé et je crois que personne ne le saura jamais. Un autre écrivain tchèque avec qui j’en ai parlé, Jiří Gruša, qui est déjà décédé, m’a dit : ‘Celui qui n’a pas vécu dans les années cinquante, ne peut pas s’imaginer ce qui aurait pu se passer’. Donc je pense que c’est un chapitre qu’il vaut mieux fermer parce qu’on ne saura jamais si c’est une histoire vraie ou fausse. Et je crois que c’était effectivement le point qui a compliqué terriblement les relations de Milan Kundera avec son pays. »

En 2011, Milan Kundera est entré dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Il fait ainsi partie des rares auteurs à y avoir été publiés de leur vivant. Dans un entretien à France Culture en 2016, Antoine Gallimard estimait que "Kundera exprime toute la Mitteleuropa avec la plume d’un Diderot".

« A la recherche de Milan Kundera » est le titre du livre qui vient de paraître en France aux éditions du Sous-Sol. Dans sa quête, la journaliste Ariane Chemin part sur les traces du célèbre et mystérieux écrivain âgé de 92 ans, de Brno, sa ville natale, à Paris, sa ville d’adoption, en passant par Rennes, la Corse, Le Touquet et, bien sûr, Prague :

« Cela a été une stupéfaction pour moi. Quand j’arrive à Prague je pense faire le Kundera Tour ! C’est à dire que je pense trouver une plaque là où il a habité à Prague ou là où il a enseigné à l’école de cinéma FAMU, ou qu’à Brno tout le monde va m’en parler. Je m’aperçois que ce n’est pas du tout le cas. C’est aussi pour ça que c’est toujours très intéressant de brosser les portraits de personnes à l’existence tellement mouvementée.

A Prague, il est l’homme qui est parti. J’ai été frappée par cette phrase qu’on m’a répétée : ‘Kundera est parti à Paris et est devenu écrivain et Havel a fait de la prison et est devenu président’. Evidemment, Prague n’a pas la même perception de Milan Kundera que Paris peut avoir, et c’est en ça que c’est intéressant. »

Cette mise en opposition entre Kundera et Havel vous a-t-elle surprise ?

« Oui, parce que j’ai été voir aussi d’autres écrivains tchèques contemporains de Kundera et je voyais que ce n’était pas le grand amour. Alors qu’en France il est un héros. Mais il l’est sur la base d’un malentendu, on a absolument voulu faire de Kundera un dissident, c’est en tout cas comme ça que François Mitterrand le présente plus ou moins malgré lui au moment de lui accorder la nationalité française. A Prague, ce n’est pas ça la dissidence…

Ce qui m’a intéressée aussi en consultant ce dossier StB avec mes yeux de Française, c’était de voir aussi ces visites d’éditeurs qui venaient rencontrer le couple Kundera dans les années 1960 et 1970, notamment le fondateur et patron des éditions Gallimard. Tout ça c’est vrai que c’est un pan de l’histoire française dans l’agenda de Milan Kundera soigneusement recopié par la StB… »

A propos de Gallimard, vous revenez sur l’entrée de Kundera dans la bibliothèque de la Pléiade. Milan Kundera est à nouveau un cas exceptionnel, qui là encore verrouille et contrôle tout, jusqu’à enlever ses écrits antérieurs au Printemps de Prague et également effacer des passages de certains autres livres, notamment un passage peu amène consacré au chanteur Karel Gott…

« Oui, d’abord la Pléiade de Kundera parue en 2011 s’appelle ‘Œuvre’ et non ‘Œuvres’, ce qui est exceptionnel dans la collection. Ensuite Milan Kundera ne voulait pas de biographie, comme il l’a toujours refusé.

« La fameuse préface de La plaisanterie par le communiste Louis Aragon a notamment disparu. Effectivement il a enlevé un certain nombre d’œuvres. La fameuse préface de La plaisanterie par le communiste Louis Aragon a notamment disparu. Quant à Karel Gott, je ne le connaissais pas mais je me suis fait raconter son histoire – il faut avoir l’œil mais j’ai été aidée à Prague pour voir qu’il a effectivement disparu du livre dans lequel il apparaissait. »


La citoyenneté tchèque, quarante ans après 

Déchu de la nationalité tchécoslovaque par les autorités communistes il y a quarante ans et naturalisé français en 1981, l’écrivain Milan Kundera s’est vu attribuer sa citoyenneté tchèque le 28 novembre 2019 à Paris. « Un geste symbolique très important » selon l’ambassadeur tchèque en France Petr Drulák, qui a remis en personne le certificat officiel au géant de la littérature européenne. Petr Drulák est revenu pour RPI sur ce moment historique.

Quelle était la réaction de Milan Kundera ?

« Il était très content. Visiblement, l’attribution de la citoyenneté tchèque l’a enchanté. »

Vous avez dit au quotidien Le Figaro : « je lui ai présenté (à Milan Kundera, ndlr) les excuses de la Tchéquie pour les attaques dont il avait été la cible pendant des années ».

« Oui, j’ai tenu à le faire, car j’ai toujours regretté le fait que Milan Kundera ait été confronté à ces attaques souvent très méchantes qui dépassent le cadre d’une critique légitime d’un auteur. »

Dans une interview exclusive accordée à la revue littéraire tchèque Host, Věra Kunderová, l’épouse de l’écrivain, a fait part de ses regrets par rapport à l’émigration. « L’émigration est la plus grosse bêtise que l’on puisse faire dans la vie », a-t-elle dit précisément. Avez-vous parlé, avec les époux Kundera, de ces regrets ?

« Oui, je ne peux que confirmer les propos de Věra Kunderová. Chaque émigration est une expérience difficile. Elle l’a été aussi pour les époux Kundera, même s’ils ont été très bien accueillis en France. Ils ont été naturalisés français, Milan Kundera est considéré comme un grand écrivain de langue française… Mais quand même, l’émigration est une condition qui n’est pas facile. »


Prix Franz Kafka et déménagement des archives vers Brno

Le Prix Franz Kafka 2020 a été décerné à l’écrivain Milan Kundera à l’occasion d’une cérémonie organisée ce jeudi à l’ambassade de France à Prague. Milan Kundera avait souhaité être représenté lors de la remise de cette récompense prestigieuse par son éminente traductrice en tchèque, Anna Kareninová :

« Milan Kundera a été très ému. Il s’est sincèrement réjoui d’avoir reçu un prix qui porte le nom d’un écrivain qu’il estime beaucoup. Il a dit précisément : c’est un prix que je reçois de la part de mon collègue. »

Dernière étape marquante en date dans la vie de l'écrivain et des rapports plus ou moins difficiles entretenus avec sa patrie natale : le retour des archives du couple Kundera à Brno, en 2022. Une partie des archives et de la bibliothèque de Milan Kundera est arrivée fin juin en Moravaie. La décision de transférer les écrits de Kundera de Paris vers sa ville natale a été prise il y a deux ans. Ces archives de l’écrivain et de son épouse seront conservées par la Bibliothèque régionale de Moravie.

Tomáš Kubíček est le directeur de cette institution :

« Ce projet de transférer les archives personnelles remonte à plus de deux ans. Je connais depuis longtemps Věra Kunderova et il y a trois ans nous avons préparé une exposition pour la Tchéquie puis pour le salon du livre de Leipzig et à cette occasion le couple Kundera m’a fait part de son souhait de transférer livres et documents à Brno à un moment opportun. »

Le premier chargement d’archives arrivé en Moravie en cette fin de semaine comprend plusieurs types de documents :

« Il s’agit d’un ensemble de la correspondance avec ses éditeurs, de photographies, de prix littéraires qu’il a reçus pendant 70 ans et d’autres belles archives selon moi. Il y a notamment le Prix de Jérusalem parmi les dizaines de prix qu’il a reçus et qui montrent que Kundera est apprécié dans le monde entier et jusqu’à aujourd’hui, avec un prix encore reçu il y a deux ans. »

Ces archives du couple Kundera sont multimédia, avec également des archives audiovisuelles de Věra Kunderová, notamment du temps où elle travaillait pour la radio et pour la télévision tchécoslovaque.

« Maintenant nous allons devoir pendant environ une année faire un travail de classement de ces archives pour faire en sorte que les chercheurs puissent y avoir accès sous forme numérique. Věra Kunderova a déjà elle-même fait un premier travail de classement mais nous devons encore archiver de manière à donner accès au public. Il y a une partie de ces archives qui sera disponible en ligne et une partie qui devra être consultée sur place dans notre bibliothèque. »


Milan Kundera en treize dates

  • 1929 : naissance à Brno
  • 1967 : publication de Žert, publié en France un an plus tard sous le titre La plaisanterie et préfacé par Louis Aragon
  • 1970 : exclusion du Parti communiste tchécoslovaque
  • 1975 : émigration en France
  • 1981 : naturalisation française
  • 1984 : publication de L’insoutenable légèreté de l’être, adapté en 1988 au cinéma par le réalisateur Philip Kaufman
  • 1995 : publication de La lenteur, premier livre écrit en français
  • 2008 : polémique à Prague autour d’une supposée collaboration avec la StB
  • 2011 : entrée dans la Pléiade
  • 2014 : publication de La Fête de l'insignifiance, son dernier livre
  • 2019 : citoyenneté tchèque officiellement accordée
  • 2022 : déménagement des archives Kundera de Paris à Brno
  • 2023 : décès à Paris

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Auteur: rédaction
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